Promenade des Anglais

 

 

 

C’est un beau chemin, tout ensoleillé, qui longe la mer bleue.

On y flâne, on s’y repose, on y papote aussi, comme il se doit.

Les habitants du lieu en sont très fiers et vous y conduisent dès votre arrivée. Sur la « Promenade des Anglais », j’ai retrouvé un ami lépreux.

– Il paraît qu’il y en a une aussi à Nice, m’a-t-il dit d’un air mécontent.

Je dus confesser ce plagiat.

Car celle dont je vous parle se trouve à Ducos, en Nouvelle-Calédonie.

 

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On m’affirme que Ducos, c’était jadis une léproserie sombre, sale, à l’abandon. C’est aujourd’hui un sanatorium. Les malades tiennent beaucoup à ce nom. Et ils ont raison.

Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny y règnent, avec leur dévouement coutumier. Et elles font la police sur la Promenade des Anglais.

L’une d’elles, Sœur Othilde, a contracté la maladie. Quand je lui ai tendu la main, elle a eu ce petit geste de recul que j’ai vu tant de fois, et qui me fait honte.

– Savez-vous que je suis lépreuse ? m’at-elle murmuré.

– Savez-vous que je m’en fous ? lui ai-je répondu.

Elle est partie d’un grand rire d’enfant et sa main est restée dans la mienne.

Nous sommes amis.

Bien que souffrante, elle fait ici le travail de tout le monde. Les poings sur les hanches, elle ameute ses malades, les gronde – en roulant les yeux et les r, « terriblement » – puis éclate de rire et repart à grandes enjambées vers d’autres besognes, éreintée, mais infatigable.

Et je pense, en la regardant, au mot de Chesterton : « La joie, c’est le secret gigantesque du chrétien. »

 

 

Raoul FOLLEREAU, Cinquante ans chez les lépreux,

Flammarion, 1978.

 

 

 

 

 

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