Noël au chemin de fer

 

 

Saint Joseph n’avait jamais vu de locomotive

et il avait peur de perdre les billets.

C’était un soir de grand départ, la gare enfiévrée

par les multitudes et les sifflets, les lumières.

Arrivés trop tôt, trop traîné au buffet...

Ils n’avaient pas retenu leurs places

Et l’on a dit qu’ils s’étaient trompés de train.

 

Personne pour leur souhaiter bon voyage.

Les amis n’avaient pas été prévenus.

Crachant fumée jaune et bleue comme un dragon,

le train changeait de voie aux aiguilles

et change encore, il va plus vite, il va.

Disparaissent les banlieues et les signaux.

 

Debout dans le couloir. Qui donc aura pitié

d’une femme grosse et si belle et qui geint ?

Dans le compartiment voisin, des zélotes

s’empoignèrent en partageant leurs provisions.

Des soldats rappelés faisaient les malins.

Un publicain qui avait commis des exactions

et sa maîtresse, une négresse très belle,

occupaient les coins côté couloir.

Le grand prêtre faisait semblant de lire.

 

Un train passa en fracas et l’enfant

dans la nuit maternelle déjà s’effraie.

Filons dans l’étendue, il neige, il pleut, qu’importe.

Il fait chaud jusque sur les ponts bruissants

lorsque fraîchit la rivière traversée.

Déjà le temps s’endort et les villes s’espacent.

Des forêts sont franchies et des bourgs, la vallée monte.

 

Aux stations inconnues les barrières

s’abaissent et se lèvent dans la campagne

arrondie très haut par la voûte étoilée.

Le chant des anges assourdi par les nuages

ne perce pas les grondements du wagon.

La Vierge ferme les yeux contre la vitre, elle voit.

 

– Tout le monde descend – C’est le petit jour.

Saint Joseph a rassemblé les bagages.

L’employé ouvre les portières.

Sur le quai l’âne et le bœuf

sont là et déjà chuchotent.

Ah, dit Marie humblement,

c’est ici que la parole doit s’accomplir.

 

 

 

André FRÉNAUD, Il n’y a pas de paradis,

Gallimard, 1962.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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