La druidesse

 

CHANT PROPHÉTIQUE.

 

 

SILENCE !... Elle paraît au pied du chêne antique ;

Le feu de ses regards a dévoré ses pleurs,

Et ses cheveux, mêlés à la verveine en fleurs,

Ombragent de son front la pâleur prophétique.

 

Elle dit : « Ô douleur ! Peuple, prosternez-vous ;

« Druides, balancez nos étendards funèbres :

« Teutatès m’a parlé dans le sein des ténèbres ;

« Le glaive de la mort est suspendu sur nous !

 

    « Déjà de nos autels je vois tomber la pierre,

« La faucille sacrée a frémi dans ma main ;

     « Un Dieu combat notre culte inhumain ;

« Il défend de mêler le sang à la prière.

     « De la vengeance il a maudit le nom ;

« Sur ses propres autels, victime volontaire,

         « À ses lois il soumet la terre

         « Par la puissance du pardon.

« Une reine 1 à ce Dieu servira d’interprète,

« C’en est fait... Contre nous son triomphe s’apprête ;

« Je l’entends ; à vos fils, à son royal époux

« Elle parle du ciel et commande à genoux ;

« Les femmes, imitant sa pieuse tendresse,

« Aux horreurs des combats renoncent sans retour ;

« Et désormais quittant l’armure qui les blesse,

         « Leur puissance est dans leur faiblesse,

         « Et leur génie est dans l’amour.

 

« Ô rocher d’Erminsul ! ô tombe révérée,

« Vous que ce peuple altier n’approchait qu’en tremblant,

« L’ingrat vous abandonne, et sur l’autel sanglant

« Il ne répandra plus la verveine adorée !

« Ce peuple, à la clarté d’un céleste flambeau,

« Des plus lointains déserts franchira la distance,

« Et jusque sur la mort portant son inconstance,

     « Ira prier sur un autre tombeau.

« Et toi qui des vainqueurs suspendais la framée 2,

« Chêne ! seul confident de nos destins secrets,

« Au magique pouvoir d’une fleur embaumée

« Va céder en un jour ta vieille renommée !

     « Roi détrôné de nos vastes forets,

« Tu mêleras ton deuil au deuil de nos cyprès !

« C’est alors qu’on verra tomber les pleurs du saule ;

« Le gui ne ceindra plus le front de nos guerriers,

         « Car les nobles fils de la Gaule

         « Ne cueilleront que des lauriers.

 

« Ô berceau des Gaulois ! Armorique 3 sauvage,

« Adieu ! d’un long oubli tu subiras l’affront,

         « Jusqu’au jour où sur ton rivage

     « Naîtra le barde au sublime langage 4.

         « Dont les chants te ranimeront.

« Ces chants dans le passé réveilleront l’histoire ;

     « Ils te rendront à l’immortalité :

         « Ton malheur deviendra ta gloire,

         « Dès que sa voix l’aura chanté !

 

« Mais d’un autre art encor la puissance infinie

         « Te réserve un autre génie ;

     « Pour retracer ta gloire et tes malheurs.

« Par ses brillants pinceaux moi-même rajeunie,

     « Je revivrai sous ses riches couleurs :

     « Sa main rendra mon image immortelle ;

« Au culte de nos dieux seule restant fidèle,

« Je garderai la harpe et la faucille d’or ;

« Mes yeux d’un feu divin s’enflammeront encor,

« Et les siècles futurs sauront que j’étais belle !

 

« Non, d’un culte si grand tout ne périra pas :

         « Votre divinité chérie,

         « La Victoire, suivra vos pas. !

« Gaulois, vous resterez la terreur des combats,

« L’appui des opprimés, l’honneur de la patrie ! »

La vierge alors reprend sa sombre rêverie,

Du chêne d’Erminsul disperse les rameaux,

Et, plus fière, s’éloigne en répétant ces mots,

    Ces mots sacrés : « Honneur, Patrie. »

 

Ce cri cher aux Gaulois n’a pas été perdu :

Les échos de la Seine en résonnent encore ;

Et la France, aux accents de cette voix sonore,

Par des siècles de gloire a déjà répondu.

 

 

 

Delphine GAY.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.

 

 

 

 

 

 



1 Clotilde, femme de Clovis.

 

2 Espèce de javeline, arme de jet et de main. (Dict. de Boiste.)

 

3 Nom que les anciens donnaient à la Bretagne, parce qu’en langage gaulois il signifie maritime. (Dict. de Moréri.)

 

4 L’auteur des Martyrs.

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net