Les enfants dans le bois

 

BALLADE IMITÉE DE L’ANGLAIS 1

 

 

Mes amis, le jour tombe, et sa lueur expire ;

Déjà dans nos vallons le froid est rigoureux.

Mon foyer vous appelle ; entrez, je vais vous dire

De deux pauvres enfants le destin malheureux.

 

La cité de Norfolk vit jadis la vieillesse

D’un gentilhomme intègre et fidèle à l’honneur.

Il avait de grands biens, mais toute sa richesse

Était le fruit heureux d’un honnête labeur.

 

Sa femme l’adorait ; la mort, que rien ne touche,

Hélas ! vint de leurs jours éteindre le flambeau ;

Et comme ils n’avaient eu jusqu’alors qu’une couche,

Ils devaient sommeiller dans le même tombeau.

 

Deux enfants demeuraient, fruit de leur mariage :

L’un, garçon de six ans, plein d’âme et de bonté ;

L’autre, petite fille à peu près du même âge,

Et modèle de grâce autant que de beauté.

 

Ils laissaient à ce fils le toit héréditaire ;

À leur fille une dot pour trouver un mari ;

Mais, s’ils mouraient, leur oncle était seul légataire,

D’après le dernier vœu de ce père chéri.

 

Frère ! dit le mourant d’une voix affaiblie,

Conduis ces orphelins à la maison des champs,

Je te les recommande ; à toi seul je confie

Le soin de dérober leur jeunesse aux méchants.

 

Qu’ils retrouvent en toi l’amitié paternelle,

Afin que le Seigneur te protège toujours ;

Et ne leur sois jamais un tuteur infidèle,

Car tu vois, notre vie est de bien peu de jours.

 

Ami ! dit à son tour la mère infortunée,

Comme un ange du ciel vous veillerez sur eux.

Et, dans ce doux espoir, déjà plus résignée,

La mourante en pleurant les embrassa tous deux.

 

Ah ! répondit le frère, en quittant cette vie,

Épargnez-vous du moins des chagrins superflus.

Vos enfants sont les miens ; que le ciel me châtie

Si je leur fais du mal quand vous ne serez plus !

 

À peine eut des époux sonné la dernière heure,

Qu’à ces pauvres enfants, doux objets de pitié,

Il donna sa maison pour nouvelle demeure,

Et leur montra d’abord une tendre amitié.

 

L’un et l’autre, aux vertus formés par la nature,

Laissaient voir un bon cœur, même au sein de leurs jeux.

Souvent le rouge-gorge au temps de la froidure,

Languissant, dut la vie à leurs soins généreux.

 

Mais l’avare tuteur, convoitant leurs richesses,

Osa bientôt former des projets inhumains.

Bientôt, à force d’or, à force de promesses,

Le perfide contre eux arma deux assassins.

 

Un soir, à son épouse il dit d’un air tranquille,

Qu’à la pointe du jour, conduits par des amis,

Les jeunes orphelins se rendraient à la ville,

Où lui-même autrefois fit élever ses fils.

 

Les deux pauvres enfants, remplis d’impatience,

Partirent tout joyeux de se voir à cheval ;

Et près de leurs bourreaux, qui marchaient en silence,

Ils babillaient sans crainte et sans penser à mal.

 

Leur naïf entretien, leur gaîté, leur folie,

De l’un de ces brigands attendrirent le cœur ;

Mais l’autre n’aspirait qu’à leur ôter la vie,

Dans l’espoir des trésors promis par le tuteur.

 

Comme il allait frapper, le moins impitoyable

Accourt, se précipite au-devant de ses coups,

Et d’une prompte mort punit ce misérable,

Tandis que les enfants tremblaient à ses genoux.

 

Puis, les menant tous deux au fond d’un bois sauvage,

Et pour les égarer suivant de longs détours,

Attendez-moi, dit-il : au plus prochain village,

Enfants, je vais pour vous réclamer du secours.

 

Des noms les plus touchant alors chacun le nomme :

Chacun s’alarme et pleure en le voyant partir.

Mais, hélas ! jamais plus ils ne revirent l’homme

Qui leur avait promis de bientôt revenir.

 

En se donnant la main tout le jour ils errèrent,

Cherchant sur les buissons de quoi tromper leur faim ;

Et lorsque vint la nuit, tremblants, ils s’arrêtèrent,

Poussant de faibles cris et demandant du pain.

 

Mais le vent se joua de leur plainte innocente.

Couchés l’un près de l’autre, immobiles, glacés,

Ils moururent enfin à l’aurore naissante,

Comme deux passereaux que leur mère a laissés.

 

On ignora longtemps leur funeste aventure ;

Le rouge-gorge seul, cherchant ses bienfaiteurs,

Les aperçut tous deux privés de sépulture,

Et, triste, les couvrit de feuilles et de fleurs.

 

Bientôt le ciel punit ce tuteur exécrable ;

Des fantômes affreux hantèrent sa maison.

Messagère de mort, dans les champs du coupable,

La foudre tous les ans dévora la moisson.

 

Pour lui plus de bonheur : en de gras pâturages

Il vit périr la fleur d’un immense troupeau ;

Et ses deux fils, partis pour de lointains rivages,

Au sein des vastes mers trouvèrent leur tombeau.

 

Lui-même enfin, maudit de toute la nature,

Privé de biens, d’honneur, ainsi que d’héritiers,

Mourut, plein de remords, dans la prison obscure

Où l’avaient enfermé d’avides créanciers.

 

Pour le vil scélérat, dont le lâche artifice

Avait trop bien servi de coupables desseins,

Souillé d’un nouveau crime et conduit au supplice,

Il avoua la mort des pauvres orphelins.

 

Ainsi tous les forfaits reçurent leur salaire !

Vous donc, méchants tuteurs d’enfants naïfs et doux,

Gardez-vous d’oublier qu’un Dieu leur sert de père,

Et de ce Dieu vengeur redoutez le courroux.

 

 

 

Edmond GÉRAUD.

 

Recueilli dans Tablettes romantiques, 1823.

 

 

 

 

 

 

 


1 Il n’y a pas, en Angleterre, un livre à l’usage de la jeunesse où l’histoire des Enfants dans le bois ne soit racontée en vers ou en prose. Le traducteur a essayé de rendre la naïveté du texte original ; mais il est loin de croire avoir réussi ; c’est surtout dans le naïf que se fait sentir la différence des langues comme celle des mœurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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