Le secret de la grotte

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Frère GILLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARGUMENT HISTORIQUE

 

 

Choumin le Montagnais avait cédé aux Récollets de Québec son enfant Nanéogauachit, pour qu’il fût élevé dans la religion chrétienne. Les talents et les dispositions de cet enfant des bois étaient admirables, et l’Esprit de Dieu était sur lui, comme son histoire, que l’on peut lire tout au long au chapitre XXI de l’Établissement de la foi au Canada par le R. P. Odoric, o.f.m., en témoigne abondamment. Mais l’histoire de Louis Nanéogauachit s’interrompt brusquement au départ des Récollets en 1629. « Il retourna aux sauvages », nous apprennent vaguement les chroniqueurs. Dans quelles circonstances ? comment vécut et mourut le jeune Indien ? Ce que l’histoire ne dit pas, la légende va nous l’apprendre...

 

P. HUGOLIN.

 

« Viam mandatorum tuorum cucurri ;

cum dilatasti cor meum. »

Ps. 118.

 

 

 

 

I

 

 

Dans la bibliothèque aux rayons vides, à la lueur tremblante d’une bougie, le Père Joseph achevait la rédaction d’un volumineux mémoire. Il avait déjà répandu la poudre sur sa dernière page d’écriture et il ouvrait son bréviaire pour réciter, en attendant que l’encre séchât, une partie de son Office. Mais à peine eut-il fait le troisième signe de croix – il voulait réciter Complies sans doute – que la porte s’entrebâilla sans bruit, laissant voir la figure d’un enfant qui fixait sur le religieux des regards interrogateurs.

Sans interrompre d’abord sa prière, le Récollet leva les yeux vers l’extrémité plus sombre de la salle où se tenait le nouveau venu ; reconnaissant aussitôt le visiteur tardif, le Père mit ses lunettes dans son bréviaire qu’il déposa sur la table, et se tournant vers le petit Louis qui attendait silencieux dans la porte entr’ouverte, il lui dit avec douceur :

« Oui, viens, cher petit ; il est onze heures à peine ; il me suffira de vingt minutes avant minuit pour terminer mes prières : approche ! »

Et le Père Joseph commença une dernière leçon de catéchisme.

C’est ainsi que ce soir-là, comme beaucoup d’autres soirs précédents, malgré les multiples occupations qui remplissaient ses jours et même ses nuits, le missionnaire avait pu préparer à sa première communion, Nanéogauachit, l’enfant que Choumin le Montagnais avait donné aux Récollets.

Le lendemain matin, jour même du départ des Religieux pour la France, le Père Joseph enlevait la dernière hostie du tabernacle et la déposait dans le ciboire de cette âme d’enfant, comme aux jours endeuillés de la Semaine-Sainte on transporte la Sainte Réserve dans une chapelle plus richement ornée en attendant l’Alleluia pascal.

Mais le prêtre ne voulut pas laisser ce reposoir vivant sans lumières, et, de l’esprit de son cœur, mente cordis sui, l’action de grâces jaillit comme une gerbe d’étincelles venant enflammer de vives ardeurs le zèle ingénu du nouveau communiant.

– « Nous partons, mon fils, dit, entre autres choses, le saint religieux ; dans le refus que le vainqueur oppose à notre désir de t’emmener en France, nous devons voir l’expression de la volonté toujours adorable de Dieu. Ses desseins, impénétrables à nos courtes vues humaines, sont sûrement miséricorde et amour.

« Tu avais désiré d’être missionnaire, et voici que le Dieu des missionnaires, que l’on cherche à expulser avec eux, vient de se réfugier dans ton âme, y demandant ce droit d’asile inviolable au moyen duquel il veut demeurer plus longtemps et malgré ses ennemis, dans ce pays qu’Il aime du même amour dont Il aime les Francs. Que dans ta petite poitrine, Il trouve un cœur large, d’où Il puisse resplendir et rayonner dans toute ta vie ; tes vertus, tes exemples seront alors comme autant de voix persuasives, autant de missionnaires, qui convertiront les âmes autour de toi.

« Si vous demeurez en Moi et que mes paroles demeurent en vous – te dit à cet instant même le Bon Maître – demandez tout ce que vous voudrez, et cela se fera en vous, car « c’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruits ». Ce tout que nous pouvons, que nous devons demander, sera toujours infiniment au-dessous de tout ce qu’Il veut nous faire de bien. N’oublie pas que sa puissance est au service de son amour !

« Eh ! pourquoi ne Lui demanderais-tu pas, aujourd’hui, une âme ? Une âme que tu Lui remettrais ensuite rachetée, sanctifiée, en reconnaissance du don de Lui-même qu’Il vient de te faire, pour ta propre rédemption et sanctification. Après celui de ce jour, si le bonheur se pose encore une fois dans ta vie, crois-moi, ce sera le jour où tu auras pu donner une âme à Dieu, sinon Dieu à une âme.

« Souviens-toi pourtant, toi qui veux être rédempteur, que le Thabor demeure toujours une étape du Calvaire ; si toute rédemption s’opère par l’amour, l’amour opère, lui, par la souffrance et triomphe par la croix, car toutes les âmes doivent être lavées dans le Sang de l’Agneau.

« Oui, présente avec confiance ta demande à Notre-Dame par les mains de l’apostolique François, notre très-aimé Père ; en renouvelant chaque jour ta consécration à ta Mère Immaculée, tu t’assureras sa puissante protection pour tous les moments de la vie et surtout pour l’heure de ta mort. »

Le Père Joseph remit ensuite au petit Louis un souvenir de première communion, en lui recommandant de le porter toujours sur lui, puis il ajouta, les mains croisées sur la tête de l’enfant : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ; qu’Il te montre Sa Face et qu’Il ait pitié de toi ; qu’Il tourne son regard vers toi et te donne sa paix. Moi, son indigne ministre et serviteur, je te bénis au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Adieu pour le temps ! au revoir dans l’éternité ! »

Quelques instants après, tous les Religieux étaient à genoux à la porte du couvent, sur le seuil de la chapelle fermée qu’ils baisèrent en recevant la bénédiction de leur supérieur. Puis, les portes closes et les clés remises à l’envoyé de Kirck, tous descendirent au port où l’on n’attendait plus qu’eux pour lever l’ancre.

 

 

*

*   *

 

Au lieu de suivre les voyageurs à l’embarcadère, Louis préféra monter sur la citadelle, d’où, après les dernières manœuvres, il pourrait voir partir le vaisseau et le suivre des yeux plus longtemps et plus loin.

En effet, il vit les chaloupes transporter les religieux qui montèrent sur le tillac par les échelles de cordage. Il vit ensuite les chaloupes elles-mêmes reprendre leur place sur le passavant, et enfin le vaisseau lever l’ancre et, poussé par la brise de l’ouest, partir avec lenteur, salué par les gestes d’adieu des colons.

Les années de vie de famille que Nanéogauachit avait passé avec les Récollets ; les mille détails de ces humbles vies héroïques qui seront toujours les meilleurs enseignements ; le récit cent fois répété de leurs voyages et de leurs missions ; tout cela avait accumulé au fond de cette âme neuve des désirs têtus d’apostolat, des ambitions tenaces de zèle et de dévouement. C’étaient des germes sains que les semeurs apostoliques avaient vu croître avec joie dans cette terre vierge, débarrassée par eux des épines du paganisme et de la superstition ; c’étaient encore des moyens puissants dont les éducateurs s’étaient servi pour élever cette nature sauvage à la hauteur de sa future mission ; mais à l’heure actuelle, où l’expulsion des missionnaires venait ruiner toutes ces belles espérances, ces souvenirs d’hier étaient comme un encens rare jeté sur la brûlante douleur de Louis, et dont le parfum lui remontait à fleur d’âme à mesure que les expulsés s’éloignaient sur la route bleue du fleuve.

Lorsque le navire se fut enfoncé tout à fait dans la perspective baissante des eaux lointaines, lorsque les yeux mouillés du petit Louis ne virent plus que la ligne mobile et brisée mais toujours droite de l’horizon vide, il quitta son poste d’observation et instinctivement, ramené par la force même de ses pensées, il revint au monastère.

La palissade de pieux qui entouraient les dépendances du couvent était élevée, il est vrai, mais sa hauteur n’était pas un obstacle insurmontable pour la souplesse d’un enfant des bois ; en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Louis escalada la barricade et, parvenu sur le toit de la remise qui lui était adossée, il descendit dans le préau.

De solides cadenas avaient été posés à toutes les portes extérieures du monastère et les fenêtres, munies de contrevents et de barres de fer, étaient toutes bien verrouillées. Il s’était proposé seulement de revoir cette maison paternelle de sa vie heureuse, lorsque, rendu devant la porte de service qui donnait sur le potager, il pensa que peut-être on aurait oublié de remettre avec les autres la double-clé de cette porte. Il enjamba les marches du perron, souleva sans peine une pierre plate tout près du seuil, et mettant la main dans l’excavation, en retira la clé. Se relevant alors dans une cabriole où pointaient des réminiscences de danse sauvage, de la joie plein les yeux, il ouvrit la petite porte et entra dans le couvent désert comme un roi exilé rentre dans son royaume.

Il se rendit d’abord au bout du cloître, devant l’oratoire de la « Bénédiction », ainsi nommé d’un fac-similé de la bénédiction écrite par saint François, incrusté par les frères dans le grand panneau d’érable qui tenait lieu de tableau de fond ; après une courte prière devant le petit autel dénudé, il continua, presque à tâtons, la visite du monastère, car seuls, les losanges de lumière dans les contrevents trouaient l’obscurité des pièces. Il examina longuement chacune des salles conventuelles, entra dans toutes les cellules, ouvrit tous les placards. Au guichet du réfectoire, il trouva le pauvre déjeuner refroidi que des religieux avaient oublié de prendre ; il mangea en pensant que la Providence n’était pas partie avec les Récollets.

Il sortit ensuite au jardin, fit le tour des allées, s’arrêta devant la remise, poussa jusqu’au bout du terrain et revint finalement devant la chapelle. Déjà il avait essayé d’entrer au chœur dont la porte donnait sur le cloître, près du chapitre ; mais il avait trouvé cette porte fermée à double tour. Il longea donc lentement le mur de côté et parvint vis-à-vis de la sacristie. Ses regarda tombèrent alors sur le soupirail de la cave, par lequel on jetait le bois de chauffage ; en deux sauts il fut auprès, fit voler les vieilles planches mal clouées qui le fermaient, s’introduisit dans l’ouverture béante et tomba dans la cave d’où il remonta ensuite par le vestiaire dans l’église.

L’enfant commença alors dans la chapelle une visite plus minutieuse encore et plus recueillie, de tant de choses qu’il n’avait jamais pu voir que de loin. L’autel par exemple, avec ses festons de raisins d’or et de blés d’argent ; les deux figures joufflues de séraphins à six ailes qui se tenaient aux côtés de ce tabernacle, dont on lui parlait toujours, et dont il n’avait jamais seulement vu la porte de près, etc. ; autels, stalles, crédences, sculptures, tableaux, il examina tout attentivement, dans chaque détail, comme un connaisseur.

Il ouvrit les confessionnaux et, après s’être assuré par un regard circulaire que personne ne le voyait, s’assit une minute dans celui du Père Joseph, pour voir comment cela ferait de confesser ; il fit glisser les planchettes des guichets, tout surpris que de gros péchés puissent passer par de si petits trous.

Il monta ensuite dans la chaire qui était au-dessus du confessionnal ; mais les regards froids et l’air sérieux du Moïse sculpté sur le retable l’intimidèrent. Il lui passa la main sur la barbe qui était douce pourtant, et ne comprenant rien à cette contradiction évidente, il s’assura qu’il était bien cloué, et descendit à reculons en se disant que ce monsieur ne devait pas être commode dans sa jeunesse.

Devant le tableau représentant le Baptême du Christ, placé aux Fonts baptismaux, il remarqua que saint Jean ne versait pas plus d’eau pour baptiser un homme que les missionnaires n’en usaient pour baptiser un enfant. Cette économie d’eau lui parut d’autant plus singulière que le saint Précurseur était à même le fleuve et que le Sauveur lui-même semblait l’inviter à y puiser largement, puisqu’il avait mis sa robe sur le rivage. Pour protester, il plongea sa main dans le bénitier et fit un grand signe de croix.

Revenu au sanctuaire, il alluma un bout de cierge oublié et, devant l’image de Notre-Dame-des-Anges, renouvela sa consécration. Sa visite terminée, sa dévotion satisfaite, il reprit le chemin par lequel il était venu, referma le soupirail, puis la porte du couvent, et après avoir sauté la palissade, prit le chemin du Fort pour remonter chez madame Hébert.

Il était déjà tard lorsqu’il y arriva. Dans la grande cuisine, à la lueur de l’âtre, les gens de la maison attendaient l’heure du souper, pendant que les femmes s’occupaient activement à préparer la table. Sans proférer une parole, Louis s’assit sur le seuil de la porte ouverte en caressant le chien de garde qui le reçut comme un ami. Peu après, madame Hébert, venant à passer près de là, l’aperçut et, se penchant vers lui, lui dit à mi-voix :

– « Je ne t’ai pas vu au départ des missionnaires ce matin et je t’ai attendu toute la journée ; où étais-tu donc ?

– « Je viens du couvent, marraine.

– « Du couvent ? mais les portes doivent être bien fermées, il me semble... »

Un gros soupir fut toute la réponse de l’enfant. La bonne dame comprit ce langage muet et n’insista pas davantage ; se tournant aussitôt vers les personnes de la maison : « Allons ! le Benedicite et tout le monde à table, s’il vous plait. Louis, viens t’asseoir près de moi. »

Le souper, en réunissant la famille et les serviteurs, semblait aussi mettre leur tristesse en commun, on se parlait à voix basse, par phrases courtes qui recevaient de brèves réponses, suivies de longs silences. On se serait cru dans une famille où la mort a passé. Aussi le repas ne traîna-t-il pas en longueur et, lorsque tous furent levés de table, madame Hébert demeurant seule avec le petit sauvage : « Que feras-tu maintenant, mon pauvre petit gars ? »

Louis cacha sa figure dans ses mains et éclata en sanglots. La charitable hôtesse passant alors maternellement son bras autour de son cou, lui releva la tête sur son épaule et baisant, après les avoir essuyés, ses yeux d’où les larmes coulaient toujours, elle lui dit d’une voix douce : « Cela me peine de te voir partir, mon cher petiot, mais le Père Joseph, tu le sais, a décidé ton retour vers ta tribu et ta famille. »

En entendant ces paroles, un frisson courut sur les membres de l’enfant qui se serra plus fort près de sa protectrice ; celle-ci continua : « Deux hommes de ton pays, arrivés hier soir, doivent repartir demain matin. Tu es libre cependant, ou de les suivre ou de demeurer avec nous ; je suis ta marraine, ce qui veut dire un peu ta mère ; je n’ai pas le courage de te renvoyer, car je crains qu’un jour Dieu ne me demande compte de ton âme. L’hiver, il est vrai, s’annonce rude ici – nous sommes déjà à la ration –, mais s’il y a des vivres pour neuf, il y en aura bien pour dix ; Dieu qui nourrit les oiseaux du ciel y pourvoira, j’en ai l’assurance. »

Le petit Louis pleura plus fort et ne répondit pas.

L’émotion qu’avait trahie la voix de madame Hébert ayant trouvé un trop fidèle écho dans le cœur des braves gens de la maison, celle-ci, en véritable mère et en grande chrétienne qu’elle était, ne trouva rien de mieux que d’avancer l’heure de la prière du soir en commun.

La prière, ponctuée par les gros soupirs du petit Louis, fut, faut-il le dire, fervente et émue. On pria pour la Colonie orpheline de ses pères spirituels ; on pria pour les Récollets à la merci des fureurs de l’Océan ; on n’oublia pas le petit sauvage que tous considéraient comme un legs vivant laissé par les missionnaires. Puis, la prière terminée, chacun se retira pour le repos de la nuit.

 

 

 

 

II

 

 

Quand la douleur passe sur une nature vulgaire, celle-ci fait pour ainsi dire naufrage, en proie aux forces brutales d’une chair en révolte ou noyée dans les molles fluctuations d’un caractère veule et fade. Malgré ses privilèges de purifier et d’ennoblir, elle perd sa vraie grandeur et devient vulgaire comme celui qui la frustre de sa divine efficacité.

Mais au contraire, que la souffrance effleure une âme délicate, qu’elle touche un grand cœur, aussitôt sa noblesse s’affirme et son austère beauté resplendit. Ses vouloirs crucifiants, ses dures exigences, ses amers caprices amoureusement acceptés par la volonté reconnaissante et soumise, se transforment en actes d’héroïsme qui, élevés comme des phares au-dessus des chemins de la vie, éclairent comme une aube d’idéal la pauvre humanité se dirigeant dans les ténèbres, à travers mille pièges, vers les sommets de la céleste Patrie.

Quel accueil la souffrance recevra-t-elle dans l’âme de ce petit sauvage à peine née à la vie de la Foi ? Sera-t-elle traitée en esclave ou recevra-t-elle les honneurs dus à une reine ? Devra-t-elle taire son merveilleux secret devant des récriminations et des plaintes injustes ? Ou, persuasive et réconfortante, pourra-t-elle plutôt accompagner cette âme dans les sentiers ardus qui montent vers les cimes, pour l’immolation il est vrai, mais pour la seule gloire féconde aussi ?

C’est ce que la suite du récit nous dévoilera.

Demeuré seul, après la prière du soir, dans la vaste cuisine où madame Hébert lui avait fait préparer un lit, l’enfant se coucha, mais ce ne fut pas le sommeil qui vint, ce fut la réflexion avec ses voix contradictoires.

Retourner chez ses parents ? Jamais !... plutôt mourir de faim ! La conduite indigne de son père envers lui ; les mauvais traitements dont il gardait encore les marques sensibles, pour l’amener à fuir les Récollets et leur sainte Religion, tout cela repassait dans sa mémoire. Il redoutait plus encore de s’exposer sans soutien moral à l’emprise diabolique, subie jadis, emprise dont il avait été délivré par un miracle que, dans les circonstances présentes, il ne lui était plus permis d’espérer.

D’autre part, rester chez sa marraine, dans l’atmosphère chrétienne de cette famille modèle, avec, autour de lui, les souvenirs vivaces des missionnaires, attendre ainsi un retour que Dieu ne pouvait refuser longtemps aux prières et aux larmes des colons : quel bonheur ! quelle paix !

Autant la première perspective se présentait sombre et désolante, autant la seconde était pleine de lumière et de joie. Toutefois, dans cette âme primitive qu’elle avait commencé d’affiner, la grâce divine – ce ne pouvait être qu’elle – excitait un sentiment de délicatesse plus puissant que l’intérêt. Un invincible instinct inspirait à l’enfant de ne pas accepter l’offre généreuse de cette famille parce que, en retour, son âge ne lui permettait de lui offrir le plus léger travail de compensation, alors surtout que l’hiver s’annonçait déjà avec deux compagnes plus détestables que lui : la misère et la faim. Tour à tour, cette alternative avec son double visage grimaçant et terrible, ou doux et souriant, attirait et repoussait le choix du pauvre petit Louis, berçant sa volonté incertaine, jusqu’à ce que, harassé de fatigue, il s’endormit dans l’indécision, sans avoir pris parti.

En ce temps-là comme de nos jours, la nuit, selon l’adage, portait conseil. Bien avant l’aurore Louis était debout. Sur la pointe des pieds, il traversa la cuisine et alla déposer un baiser sur la porte de la chambre de sa marraine, comme pour la remercier de son maternel dévouement, solliciter son pardon et lui faire ses adieux. Sortant ensuite de la maison, il fit taire d’un mot les chiens de garde qui commençaient à grogner, et dans la nuit obscure prit la route qui descendait à Notre-Dame-des-Anges.

Après avoir escaladé la clôture de pieux avec non moins de succès que la veille, il se rendit devant la chapelle, s’agenouilla sur le seuil et, les mains jointes, le front appuyé sur la grande porte close, les regards de l’âme cherchant l’autel invisible de la Vierge, il fit sa prière du matin.

Affermi dans une résolution qu’il avait voulu faire bénir par sa Mère du Ciel, l’enfant descendit vers la Petite-Rivière ; il retrouva facilement, pour l’y avoir vu mille fois, un vieux canot d’écorces à moitié caché sous les joncs et les glaïeuls, le tira avec peine du sable où il était enlisé et le remit à flot, puis l’ayant monté, il en abandonna la direction aux caprices du courant.

Où va-t-il celui qui n’a pour toute force que sa faiblesse ; pour toute science que sa candeur ; pour tout itinéraire que sa confiance en Dieu et le désir impulsif né d’une parole de zèle : « Tu dois être missionnaire ! »

Depuis que, dans le Temple de Jérusalem, à l’âge de douze ans, le Christ avait inauguré sa mission rédemptrice en prêchant devant les Docteurs ébahis, jamais peut-être le Ciel ni la terre n’avait revu un conquérant d’âmes de cette taille. Mais l’Esprit ne souffle-t-il pas où Il veut ? Dieu qui dépose des parfums subtils dans de pauvres fleurettes des bois et qui donne à des herbes des champs que l’on nomme « des simples » la vertu de guérir des maladies mortelles, ne peut-il pas une fois de plus se servir de la faiblesse selon la chair pour confondre la force qui chancelle, et de l’ignorance selon le monde pour abaisser la sagesse de ses prétendus savants ?

À nos étonnements curieux, à nos objections mesquines, à nos raisons humaines, entendez l’ardent petit néophyte répondre, après son inimitable modèle, l’Apôtre des Nations : « C’est lorsque je suis faible que je suis fort ! »

Et doucement le canot glissait...

Il ne faisait pas encore jour et pourtant ce n’était plus la nuit, car les ténèbres bleuissaient là-bas, derrière la ligne mate des eaux tranquilles. L’embarcation entra dans le fleuve, laissant à sa droite Québec endormi là-haut, la tête sur l’oreiller sombre des nuages, et oubliant un instant la tristesse de sa récente épreuve ; elle passa devant la chute, cette reine du paysage québécois, moelleusement enveloppée de sa robe d’hermine, descendant avec grâce l’escalier royal des rocs incrustés de perles liquides, pendant que des fanfares puissantes cachées au fond de l’abîme depuis la création de l’harmonie célèbrent éternellement sa beauté et chantent sa puissance. Mais le petit Louis n’en voyait que les masses d’eaux tombantes, et ne rêvait de rien moins que de pouvoir les verser toutes sur la tête de tous les infidèles de tous les mondes.

L’horizon se frangeait légèrement de rose lorsqu’il passa à l’île d’Orléans, entre le velours du ciel et le satin des eaux.

Et, doucement, le canot glissait toujours...

Bientôt le firmament gris devint d’un lilas soyeux sur lequel des lueurs lointaines montaient comme des lames d’argent. L’aurore, qui semblait vouloir choisir un trône au soleil avant qu’il ne sortît de son berceau, caressa d’un regard humide la pente de nos fières Laurentides. Mais déjà l’astre roi avait franchi la porte de l’horizon et s’avançait sous son dais de pourpre, étalant sur le fleuve les replis de son manteau d’or.

Au fond, là-bas, faisant le salut militaire au soleil qui le décorait de médailles, le Cap Tourmente se dressait, guerrier indomptable, sentinelle inamovible aux portes de cet océan dont les vagues vaincues viennent en escadrons pressés lui présenter les armes et retournent au galop vers les plaines limpides où les entraîne la soif d’une victoire qui les appelle et les attend.

Et le canot glissait toujours... portant au milieu des merveilles de la nature canadienne notre petit apôtre, merveille bien autrement admirable de la grâce divine.

Un peu plus bas que le Cap, Louis fut aperçu par trois sauvages cachés dans les broussailles de la grève. Vivement, ils sautèrent dans leurs canots et, parvenus près de l’enfant, se saisirent de lui et le ramenèrent sur la rive ; puis, après l’avoir chargé de leur bagage, ils le poussèrent devant eux, à travers les bois, vers leur wigwam, où ils arrivèrent à la nuit tombante. Deux femmes les y attendaient : l’une, la plus jeune, tout occupée de son enfant malade ; l’autre, qui se mit sans retard à préparer le repas du soir. La journée avait été chaude, et la pêche à l’anguille de la nuit précédente particulièrement heureuse ; le souper fut copieux, et bientôt après les pêcheurs se couchèrent en laissant leur prisonnier à la surveillance de la jeune femme.

Aile-Brune – c’était le nom de la sauvagesse –, lorsqu’elle était encore au village natal, avait assisté à plusieurs instructions des missionnaires ; malheureusement, elle avait dû suivre son mari avant d’avoir pu recevoir le baptême. C’est un désir que, depuis lors, elle avait toujours caché dans son cœur, mais qui venait de prendre une forme nouvelle, depuis la naissance de son premier enfant. Résolue à ne pas priver le petit être de l’héritage du Grand-Esprit, elle n’attendait qu’une absence plus prolongée de Dent-de-Renard, son roi et maître, pour aller faire baptiser leur enfant, soit au Cap, soit même à Stadaconé. Mais depuis quelques jours, une maladie inconnue avait frappé le pauvre petit, et ce soir-là les regrets de sa mère passaient dans le langage imagé par lequel elle lui disait sa peine :

« Mon bel oiseau bleu, lui répétait-elle, tu n’iras donc pas dans les prairies sans limites et dans les bois sans fin que la Robe Noire promet à ceux qui tendent leur front aux baisers de l’eau pure ! »

Louis, qui avait entendu ces paroles naïves, sentit une bouffée de joie envahir son âme. Voilà, pensa-t-il, ce que j’ai demandé au Bon Maître : le Père Joseph m’avait promis que le Seigneur était prêt à m’accorder tout ce que je lui demanderais ; et cela, c’est tout ce que je lui ai demandé !

Des ronflements sonores lui donnaient l’assurance que ses ravisseurs étaient profondément endormis. Il s’approcha d’Aile-Brune, et se servant de l’idiome de sa tribu, lui annonça que les missionnaires n’étaient plus au pays, mais que, avant leur départ, ils lui avaient donné mission spéciale, à lui, de venir baptiser son enfant, pour ouvrir à l’âme du petit chrétien la voie qui conduit, non pas dans les bois et les prés de la terre, mais dans les prairies des cieux, où les étoiles fleurissent sous les pas du Grand-Esprit et de ses petits anges.

La jeune mère, surprise, regarda longuement le petit Louis sans répondre, comme pour s’assurer qu’il ne la trompait pas, et resta hésitante. Elle ne doutait pas certes de la mission de Louis – les paroles de cette âme candide avaient convaincu ce cœur simple – mais elle savait trop bien la violence de Dent-de-Renard et son hostilité brutale à la religion des missionnaire. Et pourtant, le pauvre petit allait mourir...

Aile-Brune jeta enfin un regard furtif vers la tente des pêcheurs, et dit à mi-voix en présentant son enfant à Louis : « Tiens ! hâte-toi de lui verser le bonheur, le bonheur le plus ensoleillé, le plus profond que le Grand-Esprit t’a permis de donner. Mais ne sois pas lent comme le soleil d’hiver, car vois, ses lèvres sont pâles comme la neige d’octobre ; ses joues se fanent comme la corolle des fleurs coupées ; ses yeux, étincelles de vie qui s’éteignent, ne cherchent plus les miens, mais regardent et cherchent plus haut, toujours plus haut ; ses petites mains sont déjà humides comme le lis des grands lacs ; sa poitrine, vois, oh ! vois comme elle se soulève ! on dirait celle d’un oiseau que la flèche du chasseur a touché à l’aile... »

Elle disait... Laissant la jeune femme gémir sa plainte maternelle, Louis s’était mis à la recherche d’un peu d’eau, tout en repassant dans sa mémoire la formule prescrite pour conférer le sacrement. Il revint près du petit moribond et, l’âme emparadisée de joie, lui versa sur la tête l’eau sainte de la régénération.

Mais à peine le petit être eut-il reçu cette douche d’eau froide gauchement administrée par le missionnaire novice, qu’il recueillit toutes ses petites forces et, avec des accents dignes d’une longue série d’ancêtres fameux, il poussa un cri aigu, vrai cri de guerre, qui fit bondir les sauvages endormis.

Le baptiseur, pris en flagrant délit d’apostolat, n’eut que le temps de se retourner pour recevoir en pleine poitrine un coup de pied qui le projeta comme une balle sur le tronc d’un arbre où il se fendit la tête et s’évanouit, baigné dans son sang. Ses ennemis, en vociférant des menaces terribles, se hâtèrent de lui faire reprendre ses sens : morsures, soufflets, coups de pieds, toute la pharmacie guerrière en pareil cas fut mise en œuvre. Le pauvre petit, plus mort que vif, fut ensuite lié à un arbre, et en dérision du baptême qu’il venait d’administrer, ses bourreaux lui versèrent sur la tête une grande quantité d’eau froide ; ils le laissèrent enfin, jugeant qu’il n’était pas convenable de troubler davantage le repos d’illustres guerriers de la célèbre tribu des Pétuneux. Ils furent bientôt aussi profondément endormis qu’avant l’alerte.

Le petit Louis, dont la faiblesse était extrême, sentit une brume froide envelopper son corps frissonnant : sa tête était de feu, ses regards obscurcis, mais son âme nageait dans une allégresse inénarrable, son cœur surabondait de joie, d’une joie à lui inconnue, celle sans doute qu’ont goûtée tous ceux qui furent trouvés dignes de souffrir quelque chose pour le Nom de Notre Seigneur Jésus-Christ.

La jeune sauvagesse s’approcha alors du petit prisonnier, défit ses liens et, lui montrant la forêt, lui dit à l’oreille : « Va ! et que le Grand-Esprit te conduise loin des renards et des loups ; je suis heureuse, puisque mon enfant chante déjà dans les bosquets du Paradis. »

Et lorsque le petit Louis, tout chancelant, disparut à l’orée de la forêt sombre, Aile-Brune alla, afin d’égarer les recherches des persécuteurs de l’enfant, remettre le vieux canot au gré des vagues et du vent.

 

 

*

*   *

 

La nuit plus encore que le jour, la marche était difficile dans cette forêt inextricable où notre petit martyr avançait avec peine, en proie aux vertiges et aux défaillances. Ses pieds, lourds comme du plomb, s’accrochaient dans toutes les racines ; les branches basses des arbres, heurtées par sa tête meurtrie, se vengeaient en le souffletant à la figure ; les épines des halliers déchiraient ses habits, éraflaient ses membres. Mais le Père Joseph ne lui avait-il pas dit que toute rédemption s’opère par la souffrance ? Quel bonheur inespéré de pouvoir offrir son sang pour laver les âmes de ses bourreaux, ce sang qui coule de son front blessé et de ses joues endolories, de ses mains déchirées et de ses pieds contus !

Par étapes de marches lentes et de repos forcés, il monta ainsi pendant deux jours la pente de la montagne et arriva un soir, n’en pouvant plus, sur un petit plateau qu’abritait un bloc énorme de rochers. Le murmure d’une cascade voisine l’invita à laver ses plaies ; ce pansement le soulagea sans pourtant refaire ses forces épuisées. Il s’étendit sur le sol couvert de feuilles mortes et s’endormit.

Le lendemain, ses pieds lui refusèrent tout service ; pourtant sa tête était si brûlante encore !... et l’eau du torrent était hier si fraîche !... Il ne réussit pas toutefois à satisfaire son désir et il dut s’étendre de nouveau sur sa couche en attendant, pensait-il, que l’engourdissement et que les forces vinssent.

C’est dans l’air attiédi de septembre que la forêt canadienne apparaît dans toute son incomparable beauté. Les érables, les plaines, les hêtres et les chênes se colorent d’une variété infinie de nuances dont les gammes exquisement adoucies et les notes mourantes rendent hommage à la jeunesse toujours verdoyante des sapins. Dans le silence qui lui appartient, le chant des oiseaux s’interrompt et devient un thème de quatre notes brèves, refrain brisé comme tant d’autres belles choses qui vont mourir...

Une ramille sèche craque, elle tombe sur le sol ouaté de mousse, bientôt ensevelie par les mains tremblantes des fougères émues. La cascade seule chante plus fort en précipitant ses eaux plus bleues sur les cailloux, dans une course vertigineuse dont la vitesse s’accélère à mesure qu’elle se rapproche de son but.

Et la vie du petit martyr s’écoule, rapide comme elle...

Le petit Louis promène ses regards autour de lui et se repose pour ainsi dire dans la caresse de ce jour d’automne ; il écoute la voix de ce silence éloquent et remercie le Bon Maître de l’avoir arraché aux mains de ses bourreaux pour le remettre entre les bras maternels de la bonne nature d’où, à travers les branches de la clairière soleilleuse, derrière cette tenture mouvante de feuilles mordorées, il voit, dans les profondeurs du firmament, son Père du Ciel qui l’appelle à Lui.

Cependant, aux sueurs abondantes qui avaient inondé le petit sauvage exposé aux ardeurs du soleil, succédèrent des frissons glacés lorsque le soir ramena la fraîcheur avec l’ombre. Il eut des heures de lassitude extrême, de fatigues lourdes, écrasantes, suivies de douleurs aiguës, le traversant de part en part. La blessure de la tête surtout le faisait horriblement souffrir ; il croyait porter un casque de fer doublé de pointes brûlantes.

Le soir venu, la fièvre le saisit, une fièvre accompagnée de délire, mais un délire peuplé d’esprits célestes. Il lui semblait qu’on ornait sa grotte de tapis précieux, de tentures magnifiques, de fleurs rares, tandis que de petits anges jouaient avec des palmes et tressaient des couronnes. Un saint parut bientôt que les anges entourèrent de grandes marques de déférence ; celui-ci s’approcha de sa couche et, de ses mains incrustées des plaies divines, toucha ses blessures qui se guérirent toutes ; puis il le conduisit par une voie lumineuse vers un trône où une belle dame se tenait debout avec son enfant dans les bras.

Comme il avait reconnu le saint qui était saint François, il reconnaît la Reine dont il a vu l’image au couvent des Récollets : c’est bien Notre-Dame-des-Anges, sa Mère Immaculée. La Vierge le regarde avec bonté, et le petit Jésus, dont les deux mains tiennent le dard de sa croix dans la gueule d’un serpent dont sa Mère écrase la tête, tourne son regard vers lui et, levant une de ses petites mains, le bénit en souriant. Puis, pendant que les harmonies veloutées d’un orchestre invisible préludaient à quelque cantilène divine, les petits anges s’approchent, le couronnent, lui remettent la palme, et tout le cortège de la Reine des Cieux se dirige et le précède vers des plages ignorées, au chant d’un cantique que seuls chantent ceux qui ont lavé leur robe clans le Sang de l’Agneau.

La joie, une joie pure et douce ; le bonheur, un bonheur immense, incompréhensible, remplit le cœur de Louis, et la vision disparaît emportant avec elle cette âme privilégiée.

Avec le soleil qui meurt dans son sang, comme lui calme et tranquille parce qu’il sait qu’il renaîtra demain plus beau et plus glorieux, le petit Louis expirait sur cette terre pour, au Ciel, commencer à vivre éternellement.

La splendeur de l’ange qui ne sait pas la mort enveloppa de sa sérénité le corps du petit missionnaire martyr, dont l’âme avait été attirée, illuminée, transformée par le plus beau de tous les rayons qui aient touché notre terre : la présence de Notre Seigneur Jésus-Christ ; c’est pourquoi les bêtes fauves respectèrent cette dépouille virginale, tabernacle brisé qui exhalait un parfum du paradis.

Plusieurs années plus tard, des chasseurs passant par cet endroit furent surpris de respirer un parfum d’une rare douceur et d’un arôme inconnu au centre d’une forêt. Leurs recherches les conduisirent à la grotte que les frondaisons avaient pieusement recouverte d’un rideau de verdure. Sous un linceul de feuilles mortes, ils découvrirent le squelette d’un enfant d’où semblait émaner le parfum qui embaumait cette solitude.

Les voyageurs revinrent en toute hâte avertir les missionnaires d’une chose qu’ils leur disaient être miraculeuse ; ceux-ci les accompagnèrent et, après avoir constaté l’étrangeté du fait, ils ne voulurent pas abandonner dans un lieu si peu convenable ces ossements qui les avaient fait courir à l’odeur de leurs parfums. En relevant la dépouille pour la transporter dans le cimetière du couvent, les Récollets trouvèrent, sous les os d’ivoire des petites mains croisées sur la poitrine, une tablette de bois grossièrement sculptée, sur laquelle ils lurent avec émotion :

 

« Que le Seigneur te bénisse et te garde ;

qu’il te montre sa Face et qu’Il ait pitié de toi ;

qu’Il tourne son regard vers toi et

te donne sa Paix ! »

 

C’était la bénédiction de saint François, que le Père Joseph avait donné à Nanéogauachit, le jour de sa première communion : n’avait-elle pas été magnifiquement féconde ?

 

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L’histoire assure qu’après le départ des missionnaires le petit Louis repassa chez les sauvages, et de là les historiens infèrent son retour à la barbarie.

Plein de respect pour notre histoire et de vénération pour nos historiens, cependant j’aime mieux croire que le petit Nanéogauachit ne reçut pas en vain la grâce du Baptême, et qu’ayant grandi au milieu d’une famille de héros, nourri de la doctrine qui forme les saints, dirigé par des maîtres qui furent des apôtres et des martyrs, il resta digne de cette famille en devenant tout à la fois héros et saint, apôtre et martyr.

Il serait si glorieux pour ce petit sauvage que les Récollets avaient élevé, selon la belle parole qui dit si éloquemment le but de l’éducation chrétienne, pour cet enfant que nous nommerions avec fierté le « premier séraphique du Canada ».

 

 

 

 

 

Frère GILLES, Trois légendes franciscaines de l’an 1629,

Montréal, Librairie Notre-Dame, 1916.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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