L’enfant aveugle

 

 

Les fleurs embaumaient la campagne ;

Le vent léger de la montagne

Caressait leur sein gracieux.

L’oiseau dans le val solitaire

Chantait gaîment, et sur la terre

Tout riait comme dans les cieux.

 

Le cœur bercé du plus doux rêve,

J’errais au hasard sur la grève,

Le long d’un bois, par un beau soir ;

Quand, vers la prochaine charmille,

Une jeune et charmante fille

Près de son frère vient s’asseoir.

 

Je la vois qui vers lui se penche,

Serre sa main de sa main blanche

Et le regarde avec amour.

De ces soins j’ai compris la cause ;

Pauvre enfant ! sa paupière est close

À la douce clarté du jour.

 

Seul auprès d’eux sur cette plage,

Et caché par l’épais feuillage,

Nul ne pouvait m’apercevoir ;

Tandis qu’en mon secret asile

Je puis, observateur tranquille,

Tout entendre à l’aise et tout voir.

 

– « Oh ! comme il est doux le ramage

« De l’oiseau qui chante au bocage !

Dit l’enfant aveugle à sa sœur.

« Dis-moi, le peux-tu voir, Marie ?

« Est-il aussi beau, sœur chérie,

« Qu’il a dans la voix de douceur ?

 

– « Oui, s’écria la jeune fille ;

« Je le vois qui joyeux babille

« Sur un arbre, tout près d’ici. »

Le pauvre enfant alors soupire ;

Puis, avec un triste sourire :

– « Je voudrais bien le voir aussi !

 

« Et des bois la fraîche verdure,

« Et ces fleurs, des champs la parure,

« Que ton œil voit s’épanouir.

« Tous ces présents du divin maître

« Quel beau spectacle ce doit être

« Pour celui qui peut en jouir !

 

« Mais quoi ! des fleurs je sens l’arôme ;

« Ces bois me couvrent de leur dôme ;

« L’herbe m’offre un siège en ce lieu ;

« Et près de toi, sœur bien-aimée,

« Je puis ouïr, sous la ramée

« Chanter les oiseaux du bon Dieu.

 

» Oh ! qu’il soit béni comme un père,

« Bien qu’il ait fermé ma paupière

« Au beau soleil qui luit pour toi !

« Mais, dans la céleste patrie,

« Est-il des enfants, dis, Marie,

« Qui soient aveugles comme moi ? »

 

– « Non, tous ont des yeux comme l’Ange.

« Mais d’où te vient ce soin étrange

« Et pourquoi me parier ainsi ?

– « Ah ! c’est qu’il est si doux de croire

« Que je puis là-haut, dans sa gloire,

« Près du bon Dieu, le voir aussi ! »

 

Le ciel entendit sa prière ;

Il tomba malade, et sa mère

Le veille en son lit de douleurs

Nuit et jour, et cent fois l’embrasse,

Et demande à Dieu pour lui grâce,

En baignant son front de ses pleurs.

 

– « Ô ma mère ! pourquoi ces larmes ?

« Ah ! calme plutôt tes alarmes.

« Je vais au séjour enchanté

« Où, l’œil ouvert à la lumière,

« J’en verrai la source première,

« Dieu lui-même en sa majesté.

 

« Toi-même aussi, mère chérie,

« Je t’y verrai !... mais, je te prie,

« Appelle-moi, quand tu viendras,

« Pour qu’aux lieux où je vais renaître,

« Je puisse à ta voix te connaître,

« Ne t’ayant pu voir ici-bas. »

 

En disant ces mots... il expire.

Sur sa bouche un dernier sourire

Cherchait le souris maternel,

Comme s’il eût fait un beau rêve.

Puis un Ange en ses bras l’enlève,

Et ses yeux s’ouvrent dans le ciel.

 

 

 

GINDRE DE MANCY.

 

Recueilli dans La Muse des familles,

journal bimensuel tout en vers inédits,

Quatrième année, 1860.

 

 

 

 

 

 

 

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