Minique du Petit-Diaude

ou

Aperçu des mœurs, coutumes et superstitions

anciennes d’un village des Hautes-Vosges

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Louis GODAT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA FERME DE L’ORMONT

 

Au pied de la charme de l’Ormont, dans la paroisse au Ban de Saint-Joseph, aujourd’hui commune du Tholy, vivait en 17..., dans une modeste « grange 1 », trois personnes parfaitement unies.

Le chef de famille, Claude Charmille, connu plutôt sous le nom de Petit-Diaude, était un robuste montagnard, à la figure ronde, au teint blanc, aux larges épaules. Sous sa rude écorce, on pressentait une énergie rare, une ténacité toute vosgienne, un grand amour du travail. Franc, ouvert et gai viveur à l’occasion, mais très loyal, il était néanmoins plein de ruse et de finesse lorsqu’il s’agissait de ses intérêts ; nul ne pouvait lui en remontrer pour la vente ou l’échange de ses denrées ou de son bétail.

Sa femme Marie-Barbe Duhoux, était la fille d’un cultivateur de la même paroisse, Michel Duhoux. De là le nom sous lequel on l’appelait habituellement, de « Marie-Barbe-Michel ».

De taille moyenne, mais de bonne corpulence, de figure jeune encore avec des couleurs rouges, signe d’une santé florissante, sans être absolument belle, elle plaisait. Dans le temps jadis, elle avait été une des belles filles du pays. Aussi, Petit-Diaude aimait-il de tout cœur sa femme Marie-Barbe, qui le lui rendait bien.

Active, travailleuse, économe, d’une propreté exemplaire, elle secondait admirablement son mari dans la tenue de la ferme. Elle seule s’occupait d’« arranger 2 » le bétail et de confectionner les fromages dits de « Gérômé ».

À ses moments de loisir, pendant l’hiver, elle « broquait 3 » le lin récolté, le « shréhait 4 », le filait. Petit-Diaude fabriquait la toile.

 

 

LA VIEILLE GUIGUITTE SERHOUX

 

Avec les deux époux, logeait la mère de Marie-Barbe, Guiguitte Serhoux 5, petite vieille de soixante ans passés, « remuante 6 » encore malgré son âge. Elle s’occupait du ménage. Sa plus grande occupation en hiver était de filer.

De grand matin, assise au « pole 7 », près du fourneau, elle adaptait la « knoïe 8 » garnie de lin à son corsage, et se mettait à l’œuvre. Il fallait voir avec quelle vitesse, entre ses doigts amaigris, tournait le « fisé 9 ».

La pauvre vieille eût préféré bercer un petit-fils ! C’était en effet le grand souci de cette famille de voir que Dieu ne voulait pas bénir l’union des deux jeunes gens par la naissance d’un enfant. Quatre années s’étaient écoulées déjà sans que la moindre espérance de maternité se manifestât chez la jeune épousée.

Sur les conseils d’une voisine, il fut convenu qu’un pèlerinage serait fait à saint Nicolas pour avoir « un brayard 10 ».

 

 

NAISSANCE DE MINIQUE DU PETIT-DIAUDE ET DE MÉNANE

 

Faut-il le dire ? Les résultats désirés furent réalisés au-delà de ce qu’on demandait, car l’année suivante, le jour de la « Grande Notre-Dame 11 », Méri-Bâbe accouchait de magnifiques jumeaux : un gros « gas » bien bâti, et une mignonne petite fille.

Dépeindre la joie de tous ces braves gens n’est pas possible. Petit-Diaude, en contemplant son garçon, ne se sentait plus d’aise. « Lo té bé fâ 12 ! », s’écriait-il, « lo té bé fâ ! ». Dès ce jour, on ne s’occupa plus que du baptême, du « banquet ». On choisit pour parrains les deux frères de Petit-Diaude et pour marraines, la grand-mère Guiguitte avec une voisine, une amie. On attendait le dimanche pour qu’au village on « vît » le baptême, toujours un événement dans une localité.

Chacun s’était mis dans ses atours : les hommes portaient la culotte courte, dite à l’anglaise, un gilet très long, l’habit français à longues basques ; les chaussures étaient des souliers à boucle d’argent, et les coiffures, un large feutre mou.

Les femmes étaient habillées d’étoffes voyantes : jupons de laine à raies vertes, rouges, violettes et jaunes ; corsages ou corsets d’une étoffe différente de celle du jupon ; mouchoirs ou larges fichus de coton à raies larges, bonnets à longues barbes encadrant la figure et descendant sur les épaules. Comme on craignait la pluie, les femmes qui à cette époque, pas plus que les hommes, ne se servaient de parapluies, s’étaient munies du capuchon obligatoire dans le trousseau d’une jeune fille.

Les poupons étaient emmaillotés fortement dans de petits berceaux en bois. On les portait précieusement sous le bras.

Les paniers suivaient pour l’achat et la distribution des bonbons aux amis et connaissances. À la sortie de l’église, on jeta aux enfants de grosses poignées de dragées, puis avant de remonter, on s’en fut « prendre un verre » à l’auberge Lemarquis.

À l’église, le petit garçon avait reçu le prénom de Dominique. Il devenait donc « Minique du Petit-Diaude ».

La « gamine » fut inscrite sous les prénoms de « Marie-Anne ». C’est pourquoi, dans la suite, elle sera appelée « Ménane du Petit-Diaude ».

Le repas, naturellement, fut copieux et plein d’entrain. On but, on chanta et on se sépara bien tard. Les parrains et marraines remirent à la mère des enfants un gros cornet de bonbons (semblable à celui de M. le curé), avec une pièce d’argent.

Dès lors, tous les ans, ils apportèrent à leurs filleuls « le coinue 13 » de Noël et les deux enfants y mordaient toujours à belles dents.

Cette famille était donc heureuse.

 

 

LE GUÉRISSEUR PAR LE SECRET

 

Mais le bonheur parfait n’est pas de ce monde, Minique avait trois ans déjà. Il courait, maniait le fouet, chassait les bœufs en criant comme son père tout fier de lui : « Dia, Jansé ; hott, Véro. »

Un beau matin, il ne voulut pas se lever ; sa bonne petite figure, si gaie d’habitude, si rouge de santé, avait une expression indicible de tristesse, et présentait une pâleur inquiétante. Ses paupières alourdies avaient peine à s’ouvrir ; ses dents claquaient sous le froid.

On réchauffa donc tout d’abord le mieux possible le petit malade et l’on courut chercher un guérisseur par le secret. Celui-ci se transporta près du malade. Il commença par arrêter le mal au moyen d’eau bénite, de cire et de signes de croix, mélangés à des oraisons mystérieuses et sans aucun sens. Le mal arrêté, il attacha au cou de l’enfant un petit sachet à porter, pendant neuf jours sur la poitrine. Après ce temps le sachet ne devait pas être brûlé, mais caché avec soin, car la personne qui le retrouverait serait sûrement atteinte du même mal.

Que pouvait contenir le sachet ? C’était le secret de l’empirique. Grand-mère Guiguitte assura que c’était un mélange d’araignées, d’os de crapauds, de couleuvres et autres animaux immondes qui jouaient un si grand rôle dans la médecine du Moyen Âge.

Le guérisseur donna en outre, des poudres, des drogues, dont seul il avait le secret.

 

 

SAINT VIT, SAINT LANGUIT ET SAINT MOURRA

 

Cependant si l’enfant n’allait pas plus mal, il traînait en langueur. Se tirerait-il de ce mauvais pas ? Succomberait-il ? Telles étaient les questions que se posaient sans cesse les parents éplorés. Ils craignaient d’autant plus que des pies, depuis quelque temps, volaient en caquetant, indice certain d’une mort prochaine dans le logis.

– Pour être fixés, dit grand-mère Guiguitte allons consulter saint Vit, saint Languit et saint Mourra.

On réunit douze personnes (jeunes gens ou enfants) et l’on se rendit au pied de la croix miraculeuse du Rupt-de-la-Grange. Trois petits bouts de bougies, de grandeur uniforme, sont allumés en même temps l’un est dénommé saint Vit, l’autre saint Languit, le troisième saint Mort. Celui qui s’éteindra le dernier décidera du sort de l’enfant.

Ô bonheur ! c’est saint Vit ! L’enfant vivra !!

On revint l’espérance dans le cœur.

Minique, en effet, se tira de cette maladie.

 

 

LE MARCHAND DE MÉDAILLES

 

Un jour, arriva à la ferme, un mendiant porteur de saint Hubert. Il avait en bandoulière une boîte en sapin contenant des petites statuettes rangées sur des étagères. Il vendait des médailles préservant de la rage. Chacun en acheta, après que le colporteur eut récité son boniment en montrant les statuettes :

– Voici, disait-il, ici, le grand saint Hubert, « qué » fut le plus grand de tous les « chaissous 14 ». « Chaissant » dans la forêt des Ardennes, notre seigneur « li » apparut un grand jour de vendredi saint. Donc, « qué » tout chacun doit l’invoquer contre peste, accident, tonnerre, et contre les chiens enragés. Donc « qué » tout chacun sera à jamais préservé, et ira tout droit dans le ciel, s’il porte sur lui la médaille du grand saint Hubert, « qué n’y a » point de si grand « miraques qué » le grand saint Hubert « nau fâ 15 ».

 

 

L’ÉCOLE DU CREUX

 

Les enfants avaient dix ans déjà quand on songea à leur apprendre à lire. On les envoya donc à une petite école qui se tenait au Creux. Tous les jours, en hiver, ils se rendaient en classe, la bûche de bois sous le bras.

Minique ne tenait pas beaucoup à l’instruction. Il préférait écouter sa grand-mère lui conter des histoires.

 

 

CROYANCES POPULAIRES À CETTE ÉPOQUE

 

En ces époques arriérées, où l’instruction était peu développée, on s’entretenait pendant les « lourres 16 » d’histoires fantastiques ; on parlait de fantômes, de femmes blanches, de revenants, de sorciers, de culâs, de mannihennequin, etc. À l’exception de quelques malins ou farceurs, chacun croyait fermement à tous ces contes et les écoutait en tremblant.

Tout donnait matière à ces récits mystérieux. Les arbres des environs, éclairés par la lueur blafarde de la lune, étaient pris pour des fantômes, qui agitaient leurs longs bras décharnés et saisissaient ou emportaient les voyageurs.

Par la nuit sombre, si le vent faisait rage au-dehors, et s’il pénétrait en sifflant par les lucarnes du grenier, sa voix était celle d’un revenant ou d’une âme en peine se recommandant aux prières des parents et amis.

Par certaines nuits d’automne, on pouvait voir, à cette époque, des personnages mystérieux, enveloppés dans un long suaire, se promener près des habitations et répandre la terreur dans les campagnes.

Le lendemain, on constatait que, dans le poulailler, il manquait quelques poules, que, dans le jardin, les plus beaux légumes et les fruits les meilleurs avaient disparu ; mais, jamais on ne cherchait les voleurs. N’était-ce pas en effet la « femme blanche » qu’on avait vue rôder pendant la nuit précédente qui était la coupable ?

Les loups-garous, ou voir-loups, jouaient aussi autrefois un grand rôle dans les croyances populaires.

– C’étaient, disaient nos grand-mères, des hommes qui vivaient comme des loups, qui mangeaient les petits enfants comme les ogres du temps des fées, qui se jetaient sur les voyageurs passant nuitamment près de leur repaire.

Ils étaient la terreur de tous, des enfants en particulier 17.

Dans les forêts, les vallons, les ruisseaux, dans l’air même, il existait, si l’on veut en croire les contemporains, des fées 18 et des esprits ; les uns ne pensaient qu’au mal, les autres, au contraire, faisaient le bien.

On accusait certaines personnes de pactiser avec le diable, de se métamorphoser, de prendre telle forme d’animal qu’il leur plaisait. Enfin, on racontait qu’elles pouvaient jeter des sorts et se venger ainsi de leurs ennemis.

Si, par hasard, la ménagère ne retrouvait pas une casserole, un couteau ou un autre objet, si les quenouilles des fileuses étaient emmêlées, c’était l’œuvre du Sotré, génie très taquin.

Un chat-huant, une chouette criant au loin dans les bois, un chat miaulant dans la campagne, le vent mugissant dans les buissons étaient des « sabbats ».

Les comètes, les aurores boréales étaient le présage de grands événements ; en général, c’était un signe de guerre.

Les étoiles filantes étaient des âmes sortant du purgatoire, où elles avaient expié leurs fautes, et admises en paradis.

Les aérolithes, qui, à grand fracas, traversaient l’espace en produisant des myriades d’étincelles étaient le « Dragon » ou la « Mannihennequin ».

Dans les cimetières et les endroits marécageux, il se dégage du sol un gaz qui s’allume de lui-même et brûle à l’air avec une flamme vacillante : c’est un feu follet. À cette époque, c’était Culâ, un génie malfaisant qui poursuivait ses victimes et les égarait dans les sentiers déserts.

Une quantité de légendes circulaient sur toutes ces superstitions.

On se les racontait pendant les longues soirées d’hiver. Elles se transmettaient de père en fils et chacun avait en elles une confiance absolue.

Nous nous contenterons d’en citer quelques-unes : celles du Houeran, des sabbats, de la bête du Mourot et du ménétrier Colas Mayou.

 

 

LE HOUERAN

 

Un certain soir de décembre, le vent faisait rage au-dehors, et la neige tourbillonnait avec force. Tous les habitants de la ferme de l’Ormont étaient réunis dans le « pole » et formaient un grand cercle autour du foyer. La ménagère avait hâté le souper, car la grand-mère Guiguitte avait promis pour ce jour-là des histoires de revenants.

C’est au milieu du plus profond silence que l’aïeule commença son récit :

– Or donc, mes enfants, dit-elle en s’adressant à Minique et à Ménane, je vous ai déjà raconté qu’il existe des revenants, des loups-garous, des fées, mais ce n’est pas tout ; aujourd’hui,. je veux vous conter l’histoire du Houeran et vous parler des sabbats. Cet être mystérieux, le Houeran, se tient sur les hauteurs afin de pouvoir dominer la région entière et mieux découvrir ce qui se passe dans les environs. Parfois, il se trouve sur le Haut de Bouvacôte ; d’autres fois, on le rencontre près de La Grande-Charme. Même, si on m’a bien dit la vérité, il a été entendu près de chez nous, à la Charme de l’Ormont, par plusieurs personnes. Il plane sur un grand nombre de communes et sur leurs immenses forêts. Si les pauvres gens profitent des ténèbres pour aller, en cachette des gardes, couper le bois indispensable aux besoins du ménage, c’est à eux surtout que le Houeran s’attaque.

Un soir, deux de nos voisins, Coliche et Diaude, tout aussi pauvres que Job, arrivent dans la forêt pour y couper des arbres. Pour voir clair, ils allument un grand feu dans une clairière. Ils se mettent à abattre des sapins. Tout à coup, ils entendent dans la direction des montagnes de Tendon des cris perçants : « Houe ! hou hou hou ! ! houe ! hou hou hou houe !!! » En un instant, les voix sont tellement rapprochées qu’elles deviennent assourdissantes.

Glacés de terreur, les délinquants laissent tomber leur cognée. Un être affreux, grand comme un géant, se dresse devant eux. Sa barbe est rousse, longue et hirsute. Ses yeux sont brillants comme des charbons. Il est coiffé d’un large chapeau noir à bords rabattus. Ses jambes ne sont point celles d’un homme : minces et courbes, elles ressemblent à celles d’une chèvre ; son derrière est formé d’une tête de bouc portant deux cornes énormes qui lui servent pour s’asseoir près du feu.

Ce singulier personnage prend dans ses mains des charbons ardents sans se brûler. Plus de doute, Coliche et Diaude sont bien en face du Houeran, de l’homme géant, du diable, dont ils ont entendu parler maintes et maintes fois dans les « lourres ». Éperdus, ils s’enfuirent à toutes jambes pour regagner en tremblant leur « grange » dont ils ferment, par prudence, soigneusement les portes.

 

 

LE SABBAT

 

Après avoir repris haleine pendant quelques minutes, la vieille Guiguitte continua :

– Puisqu’il n’est pas bien tard, j’aurai le temps de vous parler encore aujourd’hui du sabbat.

Quand par une nuit d’été, on traverse le bois de La Grande-Voye, au-dessus de Bouvacôte, il n’est pas rare d’entendre, dans les environs, un fracas terrible d’instruments et de voix de toute espèce où dominent des aboiements de chiens. Ce tintamarre dure près d’un quart d’heure. Il se termine par des éclats de rire formidables, poussés par deux cents ou trois cents personnes : c’est le sabbat ou la danse des sorciers et des démons.

Près de Bouvacôte, habite un petit vieux, ancien cultivateur, encore alerte malgré ses soixante-dix ans, le père Joson. Depuis longtemps, le bruit court dans le pays qu’il a fait un marché avec le diable : il lui a vendu son âme. Presque toutes les nuits, il assiste au sabbat.

Il y a quelques années, il avait, comme domestique, un jeune homme d’environ vingt ans, Batis, qui m’a conté l’histoire suivante :

Un certain soir du mois d’octobre 17..., Batis, en soupant, remarque sur le visage de son maître, les traces d’un grand ennui. Joson semble réfléchir. Soudain, il sort de sa rêverie, se lève d’un bond et dit à son domestique : « Mets tes brodequins, tu viendras avec moi ! »

Batis, en serviteur docile, obéit aussitôt. À peine est-il chaussé qu’un bruit terrible se fait entendre dans la cheminée ; d’une voix de tonnerre, un être invisible crie ces seuls mots : « En route ! » Au même instant, Batis se trouve assis à califourchon sur un fagot de bois vert, à côté de son maître, et tous deux sont enlevés dans les airs avec une vitesse vertigineuse. Au milieu de la nuit sombre, le malheureux se croit perdu : il vient d’apercevoir, attelé au fordeau, un personnage étrange qu’il n’a pas de peine à reconnaître pour le roi des Enfers. Instinctivement, il se serre contre Joson. Enfin après quelques minutes qui leur semblent des siècles, les deux voyageurs sont déposés par Lucifer au milieu de la forêt de La Grande-Voye, éclairée en ce moment par des feux immenses.

En un clin d’œil, ils sont entourés par un cercle de diablotins à figure grimaçante, à pieds fourchus, à longue queue, et de quelques vieilles femmes au nez crochu qu’ils reconnaissent pour les avoir rencontrées plusieurs fois dans les environs de leur grange.

Ils se mêlent à cette horde, et aussitôt commence une ronde effrénée qui dure environ une demi-heure. Au même moment, un concert lointain se fait entendre ; le son des instruments de cuivre se mêle aux éclats de rire des danseurs et aux cris lugubres des chouettes et des chats-huants.

La danse terminée, chacun s’assied devant un somptueux repas qui se trouve servi là comme par enchantement.

À l’aurore, Joson et son valet, de nouveau traînés par le démon, sont reconduits jusqu’à leur grange. Le même jour, Batis quitta la maison de son maître, rie voulant plus à tout prix rester chez un sorcier.

Passant par hasard chez mes parents, il raconta tremblant encore de peur, ce qui s’était passé la nuit précédente.

Chacun le prit pour un fou ; personne ne voulut rien croire à ses contes.

Cependant nous changeâmes d’opinion quand, après nous avoir conduits à la Grande-Voye, il nous montra l’endroit où avaient eu lieu la ronde et le festin. Nous remarquâmes sur le sable des traces de pieds fourchus, des souliers de femmes, des manches à balai et des débris de repas.

Batis et son maître avaient assisté au sabbat.

Joson demeure encore aujourd’hui dans sa grange, mais personne n’ose le fréquenter depuis qu’on sait comment il passe ses nuits et quel pacte il a fait avec les Enfers.

 

 

LA BÊTE DU MOUROT

 

Le lendemain soir, personne ne manquait au coin du feu de la grange de l’Ormont. On attendait des histoires de revenants, car la bonne vieille grand-mère en connaissait beaucoup.

Elle commença :

– Il y a au Mourot une femme déjà vieille, décrépite et d’assez mauvaise réputation. Souvent, on la rencontre pendant la nuit dans la forêt, où elle cueille certaines plantes. Elle en compose des philtres qui lui permettent de répandre ou d’arrêter les maléfices. Elle assiste au sabbat, jette des sorts, fait venir à volonté dans les maisons des souris, des rats et des puces.

Veut-elle atteindre ses ennemis pour leur nuire ? Vite, elle se métamorphose soit en chat, soit en souris, et les poursuit.

Malgré cela, on ménage avec soin son amitié, car on la redoute.

Son frère Coliche, qui demeure avec elle, est capable de la seconder. Il a rapporté de l’Allemagne, où il a fait campagne, un vieux livre qu’il a trouvé, dit-il dans le pillage d’un couvent, et qu’il conserve avec soin sans le montrer à personne. Il y trouve une quantité de recettes magiques qu’il met à profit pour sa sœur et pour lui. Un jour (il y a au moins trente ans de cela, mais je m’en souviens comme d’hier), il devait ôter les cailloux d’un champ qu’il voulait changer en pré. Voyant que le travail serait trop long, il s’avisa de lire un passage de son grimoire, propre à appeler le diable.

Satan apparaît immédiatement et reçoit l’ordre de nettoyer le champ de toutes les pierres qui s’y trouvent. Aussitôt des légions de petits diablotins arrivent, et, sous la direction du maître, font l’ouvrage en un instant.

Pendant ce temps, Coliche s’occupe, non à les regarder travailler, mais à chercher sur son grimoire la formule qu’il sait capable de renvoyer les esprits infernaux, une fois la besogne finie. Il la cherche en vain ; le feuillet qui la recèle a disparu.

Le travail terminé, le démon s’impatiente, cherche querelle au vieux soldat, le rosse d’importance, et tâche même de l’assommer, afin d’avoir son âme. Mais Coliche est un gaillard solide ; il tient bon.

Bientôt, il ne trouve plus qu’un moyen de se tirer d’embarras, celui de battre en retraite jusqu’à ce qu’il rencontre quelqu’un qui puisse appeler M. le curé, seul capable de chasser le démon.

Quand le prêtre arrive, le vieux troupier est presque étranglé et prêt à mourir. Revêtu de son caractère sacré, le ministre de Dieu, armé d’un simple goupillon, met en fuite le prince des ténèbres qui disparaît en laissant une forte odeur de soufre et en poussant un beuglement effrayant. Pour se venger, au haut de Bouvacôte, il tire par la queue une vache dans un précipice. Cette vache appartenait à celui qui était allé chercher M. le curé.

Le terrain d’où les pierres furent enlevées s’appelle encore aujourd’hui « lé champ di diable ».

Ces deux méchantes gens, Coliche et sa sœur, sont cause d’un grand nombre d’accidents, tous bien singuliers.

Tantôt un de leurs ennemis a une partie de ses vaches qui boitent ; tantôt un autre trouve ses bêtes détachées du râtelier, ou attachées par la queue ; d’autres entendent pendant la nuit un vacarme formidable au grenier. Beaucoup de personnes voient des fantômes, des bêtes de toutes sortes, et tout cela depuis le jour où ils ont mal parlé de la femme du Mourot, car un lutin familier lui rapporte chaque jour les propos désavantageux tenus sur son compte.

Bien plus, chaque fois qu’on parle d’apparitions ou d’accidents auxquels la vieille n’est pas étrangère, on voit, le soir même, paraître à la fenêtre ou à la porte du logis, un animal étrange ressemblant à un singe. Cette bête aux longues griffes, se dresse près des fenêtres et jette l’épouvante dans le cercle des fileuses.

Si quelqu’un sort de la maison, il est assailli par l’animal qui lui saute familièrement sur les épaules pour l’effrayer.

C’est presque toujours à Bouvacôte qu’ont lieu ces apparitions ; aussi, on appelle ce singulier animal « la bête de Bouvacôte, la bête du Mourot ou la bête aux yeux rouges ».

Plusieurs fois, on essaya de tuer cet être malfaisant, mais on ne put jamais le blesser, car c’est un être surnaturel et magique.

La sorcière est cause encore de bien d’autres événements. Il y a quelques années, un jeune homme du nom de Charles, habitant Bouvacôte, allait voir une demoiselle des environs, Marie C., qu’il devait épouser. Tous deux s’aimaient et se convenaient. Mais la jeune fille fit sur ses amours des confidences à la vieille du Mourot.

Comme celle-ci n’aimait pas le jeune homme, elle se vengea à sa manière.

Chaque fois que Charles allait voir sa future, il rencontrait, dans un lieu isolé, un gros lièvre qui, devant lui, traversait le chemin.

Intrigué, il prend un soir son fusil et, quand il rencontre l’animal, il fait feu sur lui à bout portant. Le lièvre ne paraît pas blessé ; cependant il s’éloigne assez lentement en jetant des cris plaintifs semblables à des sanglots humains.

Arrivé chez la jeune fille, notre amoureux est fort étonné de la trouver tout attristée, la mâchoire ensanglantée et ayant deux dents cassées. Il l’interroge sur l’accident et elle répond : « On vient de me tirer un coup de fusil, et je connais mon lâche assassin ! »

Persuadé que sa fiancée se change en lièvre, abattu par la douleur d’avoir blessé celle qu’il aime, Charles devient triste et taciturne.

Quelque temps après, il s’engage. Depuis on ne l’a plus revu au pays.

 

 

LÉGENDE DU TROU-DE-L’ENFER

 

Quelques jours après, la grand-mère reprit :

– Il y a environ vingt-cinq ans, un célèbre ménétrier du nom de Francis jouissait d’une grande réputation. On se le disputait pour une veillée, une noce ou une fête, car il tirait facilement de son violon d’excellents airs de valse ou de quadrille.

Une nuit, revenant gaiement d’une noce, le ménétrier fait la rencontre d’un individu à physionomie étrange, au regard perçant. Ses vêtements riches sont ceux d’un grand seigneur. L’étonnement du violoneux est à son comble quand il voit ce singulier personnage s’arrêter et lui adresser la parole en bon français : « Qui es-tu ? – Je suis Francis, le joueur de violon. – Ah ! je te reconnais. C’est toi qui jouais la grande lourre du Haut-des-Charmes, à la dernière pleine lune ? – Oui, c’est moi. – Écoute-moi bien, je suis excessivement riche ; voudrais-tu me rendre un service ? – Mais bien certainement, seigneur. – Demain soir, je donne un bal dans un de mes châteaux, il me manque un violon. Trouve-toi à minuit ici-même. Voici ton paiement », ajoute l’inconnu en remettant une pièce d’or à Francis et en s’éloignant rapidement.

Tout ahuri de cette rencontre et du marché qu’il vient de conclure, le ménétrier s’éloigne sans mot dire. Comme il est bon chrétien, il ne doute pas qu’il vient de parler au diable en personne.

Craignant pour son âme, lié par sa promesse et par l’argent reçu, le ménétrier se trouve dans un grand embarras.

Le lendemain matin, il va prendre conseil du curé de la paroisse qui lui dit :

« Vous avez reçu le salaire de votre travail, vous devez vous rendre au lieu désigné. Vous jouerez pendant quelque temps, et, quand vous croirez vous être acquitté de votre tâche pour le prix de votre salaire, entonnez le Veni Creator. Vous verrez alors si le bal est peuplé d’êtres humains, ou s’il tient des choses surnaturelles. »

Francis se rend donc au lieu indiqué. Il se trouve tout à coup transporté sans savoir comment dans un château splendide, au milieu d’une salle de danse ornée de tentures, de lustres et de toutes les magnificeï3res en usage chez les seigneurs.

Le ménétrier reconnaît, malgré leur masque, plus d’un personnage suspect, bien des messieurs et des dames de Remiremont, de Vagney, de Saint-Amé et du Beillard.

À un moment donné, Francis entonne le Veni Creator. Mais il a à peine commencé cet air religieux que tout s’évanouit dans un brouillard épais et nauséabond. De tous côtés, on entend les cris lugubres des démons en fuite.

Le ménétrier, terrifié de ce qu’il vient de voir, se trouve seul, avec son violon, au fond d’un abîme assis sur une vieille souche de sapin, au milieu des ronces et des broussailles. Cet endroit s’appelle encore aujourd’hui « Le Trou de l’Enfer ».

 

 

DÉCÈS DE GRAND-MÈRE GUIGUITTE

 

Les années s’accumulaient sur la tête de grand-mère Guiguitte. Après une courte maladie et après avoir reçu les sacrements de l’Église, elle s’éteignit doucement.

Quand elle fut à l’extrémité, on lui mit un cierge allumé dans la main pendant qu’un des assistants récitait la prière des agonisants.

Deux personnes, non parentes, furent chargées du soin d’ensevelir la défunte. Elles veillèrent surtout à ce que « lé drate de l’étoffe » (non les coutures) fût placé du côté du cadavre. Elles brûlèrent ensuite la paille du lit mortuaire à la bifurcation du chemin le plus fréquenté. La fumée se dirigea du côté de Bonne-fontaine ; d’où prochain décès dans une des maisons de cette section.

Le lendemain, on examina les cendres de la paille. Une empreinte semblable à celle que laisse un pied nu fut relevée. L’âme de la défunte, en peine, réclamait donc des messes et des prières.

Le cheval de Joson, attelé à un traîneau (c’était en janvier), transporta le corps jusqu’à l’église du « Nû-Moté ». Une longue file de parents, d’amis, de voisins tous vêtus de deuil, suivaient la bière recouverte d’un linceul blanc. Une femme précédait le convoi, portant un pot d’eau bénite et une branche de genévrier ou « aspergèss ». On s’arrêta plusieurs fois en route, aux croix érigées sur le bord des chemins, pour dire quelques prières et jeter de l’eau bénite, entre autres à celle de la Droite de Demengestat, nouvellement édifiée.

Après les services religieux, Guiguitte Serhoux fut inhumée dans le cimetière situé autour de l’église, près de la grande porte d’entrée.

On revint à la maison mortuaire prendre part au dîner de famille, dîner composé d’une soupe aux pois, de tartes, de laitage au millet. Chaque grain de millet mangé délivrait une âme du purgatoire.

Le dimanche suivant, eurent lieu les « offrandes ». Les proches parents firent une communion pour le repos de la défunte et se rendirent à l’offrande avec les voisins. Les femmes avaient toutes, à la main, un cierge dont elles firent don ensuite à la fabrique de l’église.

Quarante jours après, eurent lieu les services de « quarantaine » et au bout d’un an, le service « anniversaire ».

Entre-temps, les voisins s’étaient cotisés pour faire dire une messe.

Ce fut un bien grand vide dans la maison que la disparition de la bonne grand-mère. Minique surtout semblait fort affligé.

Il était un jeune homme déjà, avait vingt ans, et, comme pour sa sœur, on parlait pour lui d’un mariage.

 

 

MARIAGE DE MINIQUE

 

De toutes les jeunes filles qu’il connaissait, Minique préférait « Catherine Biason ». Il l’aimait bien, et il ne lui était pas indifférent. Lorsqu’il « allait la voir », elle ne manquait pas de le « reconduire sur la porte » où, pendant une heure ou deux les jeunes amoureux « faisaient la causette ». Elle lui emplissait chaque fois ses poches de noisettes.

Minique, avec le consentement de la jeune fille, fit part aux parents de celle-ci de ses intentions matrimoniales.

Quand il vit sa proposition agréée, il s’en ouvrit à sa famille.

Le dimanche suivant, son père et sa mère se rendirent avec lui au domicile de la future pour « les marchés ». Les conditions et les préparatifs du mariage furent discutés entre les parents et la cérémonie fut fixée au mois suivant.

Un dîner termina joyeusement cette fête des fiançailles.

Minique et Catherine étaient naturellement bien heureux. Ils décidèrent d’aller la semaine d’après à la cure se faire « publier ».

Ils s’entendirent aussi pour savoir quels parents, amis ou voisins on inviterait, et quel jour on se rendrait « en ville 19 » pour l’achat des habits de noce, des bagues et des crucifix.

Tout cela, naturellement, fut bien intéressant, et le jour du mariage arriva sans que les futurs eussent trouvé « le temps long ».

Le matin du jour solennel, Minique, Petit-Diaude, Mérie-Bâbe, les parents, les invités, se rendirent au domicile de l’épousée. Ils la trouvèrent (comme le voulait l’usage) en toilette du matin, occupée aux travaux ordinaires du ménage.

Catherine et ses parents simulèrent un certain étonnement de voir arriver tout ce monde.

Petit-Diaude explique le but de cette visite matinale, des pourparlers s’engagent et, à la fin, on se comprend.

La jeune fille, suivie de ses compagnes, monte dans sa chambre et procède à sa toilette nuptiale. C’est à qui lui attachera la première épingle, car celle-là sera elle-même mariée dans l’année. Sous sa robe noire, son grand « mocheu » de couleur, son coquet tablier de soie, sa petite couronne blanche posée au sommet de la tête, avec son air à la fois triste et heureux, les yeux rougis par les larmes, mais brillante de jeunesse, Catherine est réellement jolie. Aussi comme Minique l’admire en ce moment !

Lorsque Petit-Diaude voit tout le monde réuni, il se découvre :

– Coliche Biason, dit-il, vos n’ignorais mi pouqué j’son v’ni.

COLICHE. – Je n’sais mi di tot pouqué.

PETIT-DIAUDE. – Ço po d’mandé vot’feille po not’ Minique.

COLICHE. – Je n’m’éttodo mi è celé di to. E fo vouar qu’os qu’è lè vâ fâre.

PETIT-DIAUDE. – Ço po è fâre sè fôme.

COLICHE. – Ton fé o té in bon euvrèye ? Ô té bégolant, mè feille s’ré-té ben avo li 20 ?

Le père fait alors connaître les qualités de son fils et Biason donne sa fille à Petit-Diaude qui la remet à son fils avec force recommandations. Puis tout le monde s’agenouille, et le père de la jeune fille bénit les futurs époux. On récite un pater, un ave, et on part, précédé du violon. Le « beuchou 21 » est en tête avec la mariée ; le marié suit avec la « beucherosse 22 ».

À la boutonnière, les garçons portent un long ruban qui traîne jusqu’à terre.

Après la cérémonie de l’église, on retourne au logis de l’époux où attend un copieux « déjûn 23 ».

Les personnes mariées ou âgées et les jeunes gens sont à deux tables séparées. Les mariés dînent à la table des « vieux ».

Au dessert, les jeunes filles vont réclamer la nouvelle épousée. On ne la leur accorde qu’après de longs discours et de nombreuses chansons.

Enfin, le soir, vers la fin du souper, tout le monde se met à danser. C’est bien de danser qu’il s’agît pour les jeunes époux ! Ils profitent donc de la confusion générale pour s’esquiver et s’en aller dans une maison voisine où est préparé le lit nuptial.

Seulement les invités s’aperçoivent bientôt de leur disparition ; les jeunes gens courent à leur recherche. Ce n’est qu’à la pointe du jour qu’ils peuvent les découvrir et leur offrir le vin chaud traditionnel, toujours réconfortant !

Chacun rit de bon cœur et on recommence la noce aux cris répétés de « Iouhhihhie ! Iou... Iou... Iouhhihhie ! »

 

 

ÉPILOGUE

 

Le reste de cette histoire se devine. Les jeunes mariés cultivèrent comme leurs pères, vécurent heureux et... eurent beaucoup d’enfants.

 

 

 

Louis GODAT, Notice historique sur la commune de Tholy, Vosges, 1899.

 

Recueilli dans Contes populaires et légendes de Lorraine, 1976.

 

 

 

 



1 Ferme.

2 Soigner.

3 Broyait.

4 Taillait.

5 Peigneuse de chanvre.

6 Alerte.

7 Salle à manger.

8 Quenouille.

9 Fuseau.

10 Enfant.

11 Le 15 août.

12 Est-il bien conformé !

13 Sorte de gâteau fait de pâte roulée et tressée en nattes.

14 Chasseurs.

15 N’ait fait.

16 Veillées.

17 Les loups-garous ont existé. C’étaient des hommes atteints d’une maladie nerveuse. Ils sortaient de chez eux la nuit, ils imitaient les allures du loup, marchaient souvent à quatre pattes et erraient jusqu’au matin autour des tombeaux. Leur teint était pâle, leurs yeux ternes, secs, enfoncés dans les orbites ; leur langue était sèche ; la soif les dévorait ; leurs jambes, par suite des chutes fréquentes qu’ils faisaient, étaient couvertes d’ulcères incurables.

18 À La Charme-de-l’Oymont et aux Grandes-Roches.

19 À Remiremont.

20 PETIT-DIAUDE. – Coliche Blaison, vous n’ignorez pas pourquoi nous sommes venus.

COLICHE. – Je ne sais pas du tout pourquoi.

PETIT-DIAUDE. – C’est pour demander votre fille pour notre Minique.

COLICHE. – Je ne m’attendais pas à cela du tout. Il faut voir ce qu’il en veut faire.

PETIT-DIAUDE. – C’est pour en faire sa femme.

COLICHE. – Ton fils est-il un bon ouvrier ? Est-il bien galant (bon caractère), ma fille sera-t-elle bien avec lui ?

21 Garçon d’honneur.

22 Demoiselle d’honneur.

23 Dîner.

 

 

 

 

 

 

 

 

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