Adieux de Jeanne d’Arc

 

(D’après Schiller.)

 

 

Adieu, coteaux aimés ; adieu, douces prairies ;

Solitaires vallons, à qui, loin des humains,

Je venais confier mes saintes rêveries,

Adieu, je vais fouler de plus rudes chemins.

 

Arbres que j’ai plantés, murmurantes fontaines,

Tendre écho dont la voix répétait mes accents,

Beaux lieux où mon printemps s’est envolé sans peines,

Pour jamais je m’arrache à vos liens puissants.

 

Agneaux qui de ma main receviez la pâture,

Qui, bêlant, tout joyeux accouriez me lécher,

Vous irez désormais, errant à l’aventure,

Par les champs, tout le jour, vainement me chercher.

 

Pour un autre troupeau, pour d’autres pâturages

L’esprit saint me choisit de son doigt souverain ;

Il faut partir, malgré les sinistres orages

Qui grondent, menaçants, à l’horizon lointain.

 

Il faut partir ; celui qui dans la flamme ardente

À Moïse en Horeb montra sa volonté ;

Celui qui daigna prendre Isaïe en sa tente

Pour aller de Sion dire l’impiété ;

 

Celui-là m’a parlé ; sa voix impérieuse

Dans la feuille des bois, que froissent les autans,

Plus d’une fois m’a dit, langue mystérieuse :

« Qu’attends-tu ? lève-toi ; marche, marche, il est temps.

 

« Hâte-toi de cacher ta souple et frêle taille

« Sous le buste d’acier que je t’ai préparé ;

« Ceins tes reins, mon enfant, comme pour la bataille ;

« Mets ton doigt délicat sur ce fer acéré.

 

« De l’épouse jamais la féconde couronne

« Ne touchera ton front, gardé par mon cimier ;

« Et les roses d’un jour que la volupté donne

« Pour toi se changeront en éternel laurier.

 

« Va, parle à ces guerriers qui lâchement reposent

« Pendant que l’ennemi couvre tous vos sillons ;

« Jeune fille, dis-leur, héros, comment ils osent

« Voir périr sans leurs chefs vos derniers bataillons !

 

« Va, mon enfant, saisis cette arme flamboyante ;

« Fais-la briller aux yeux de l’Anglais étonné ;

« Soudain tu les verras, tous frappés d’épouvante,

« Fuir comme si mon bras sur eux avait tonné. »

 

Oui, Seigneur, oui, j’irai, moi simple et pauvre fille ;

Je vois déjà mon roi délivré par ma main.

Amenez ce coursier dont le regard scintille ;

Jeanne entend retentir le belliqueux airain.

 

 

 

J. HALDY.

 

Recueilli dans

Recueil gradué de poésies françaises,

par Frédéric Caumont, 1847.

 

 

 

 

 

 

 

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