La légende du citronnier

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Pierre JALABERT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LORSQUE Ève fut chassée du Paradis terrestre par l’Ange au glaive flamboyant, sitôt qu’elle eut ravi à l’Arbre de Science la pomme défendue qui tentait son désir, à l’exemple d’une pauvresse dénuée de tous les moindres biens, n’ayant désormais pour bouclier que son fragile corps de femme et ses mains, vierges de labeur, qui allaient du tranchant d’un silex fendre l’écaille de la terre, se déchirer aux griffes des buissons, filer la laine des brebis... la mère des hommes futurs, à la tombée du crépuscule, s’achemina péniblement vers sa nouvelle destinée.

Son esprit, encore ingénu, ne pouvait concevoir la charge des souffrances qui deviendraient son lot de chaque jour, ni songer à combien d’efforts sa faiblesse devrait s’astreindre pour la conquête de son pain... Toutefois, courbant les épaules sous l’accablement du fardeau qu’était l’anathème de Dieu, sans un geste de repentir, sans pousser un cri de révolte, son âme ressentit la première Douleur et ses yeux, voilés de brouillard, versèrent la première Larme.

Mais avant de franchir la Porte merveilleuse du Jardin qui fut son berceau, où les roses étaient sans épines, où l’éclat de sa chevelure concurrençait les flammes du soleil, et où les tigres eux-mêmes, doux comme des agnelles, jouaient à son entour le long d’allées bordées de fleurs qui ressemblaient à des étoiles, pour conserver des jours heureux un souvenir qui lui fut cher et l’emporter dans son exil, elle cueillit au citronnier un de ses fruits taillé dans l’or.

Puis elle dit en soupirant :

« Ce fruit, qui évoque la Lumière, je veux en faire hommage au pays le plus beau que je découvrirai dans ce monde inconnu où doivent m’entraîner mes pas. »

Ainsi, après des jours de mortelle fatigue vécus à fouler la poussière d’un sol encore inhabité, ô Provence ! ô Languedoc ! ce furent vous, terres de rêve, images retrouvées du paradis perdu, qui reçûtes le présent de l’aïeule douloureuse.

Et depuis ce morne périple, dans vos combes odorantes et le long de vos calanques bleues où la mer chante et sourit, les fruits du citronnier dorés comme les cheveux d’Ève – mais qui gardent l’amertume des tristesses de son cœur – illuminent d’humbles soleils la majesté de vos feuillages.

 

 

Pierre JALABERT, Contes de Provence et du Languedoc.

 

 

 

 

 

 

 

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