Le père et la fille

 

 

Tandis que rêve ainsi le noble patriarche,

Sa fille bien-aimée vers lui se met en marche.

 

Elle arrive sous l’arbre où l’ombre fait un rond

Et sous la barbe vénérable met son front.

 

Ma fille, dit celui dont elle est née, tu pleures ?

Mon père, répond-elle, en effet ; voici l’heure.

 

Ma fille, lui dit-il, de quoi veux-tu parler ?

Mon père, répond-elle, il me faut m’en aller.

 

Ma fille, lui dit-il, tu vas là-bas, sans doute ?

Mon père, répond-elle, il est une autre route.

 

Ma fille, lui dit-il, quelle route veux-tu ?

Mon père, répond-elle, où marche la vertu.

 

Ma fille, lui dit-il, n’est-ce point ma demeure ?

Mon père, répond-elle, il est vrai ; mais tu pleures...

 

Ma fille, lui dit-il, penses-tu trouver mieux ?

Mon père, répond-elle, il faut que j’aille à Dieu.

 

Ma fille, lui dit-il, mes champs sont-ils stériles ?

Mon père, répond-elle, ils rendent cent pour mille.

 

Ma fille, lui dit-il, renies-tu mon froment ?

Mon père, répond-elle, il sert au Sacrement.

 

Ma fille, lui dit-il, renies-tu mes abeilles ?

Mon père, répond-elle, aux cierges elles veillent.

 

Ma fille, lui dit-il, renies-tu mes doux fruits ?

Mon père, répond-elle, en croix ils ont mûri.

 

Leurs sanglots ineffablement se répondirent

Comme les vers sacrés qui montent de deux lyres.

 

 

 

Francis JAMMES, Les géorgiques chrétiennes,

Mercure de France.

 

 

 

 

 

 

 

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