La mort de l’aïeul

 

 

Le maître de la ferme avait trouvé la veille

Son père évanoui à l’ombre d’une treille.

 

Quand le vieillard sentit battre à nouveau son cœur

Il demanda qu’on fît venir les serviteurs,

 

Ils se tinrent ainsi qu’on se tient sous les armes

Devant la couche sainte, et ravalant leurs larmes.

 

Il leur serra la main et leur dit : j’ai fini,

Alors que recommence à gazouiller le nid ;

 

Priez, mais seulement afin que je demeure

Jusqu’à la Fête-Dieu qui vient, et que je meure.

 

Ils furent exaucés et, de son lit, l’aïeul

Vit la procession poindre sous les tilleuls.

 

Le cœur tendu au Christ comme pour un échange

Il se sentait partir ivre du Pain des anges.

 

Il savait que ne peut mentir la Vérité

Et qu’il n’est pas d’ami meilleur que la Bonté.

 

Quand un père nous dit de croire en sa parole

Et quand il meurt pour nous le doute est chose folle.

 

La Parole sacrée soudain avait pris Corps

Et vivait au milieu de cet ostensoir d’or.

 

Le beau déroulement se faisait avec calme.

La fanfare inondait de lumière les palmes.

 

Seigneur, Tu nous touchais du doigt le cœur ! Seigneur,

Tu nous touchais du doigt le cœur de tout Ton cœur !

 

Le coteau que gonflait l’ombre des jeunes pousses

Semblait être un Autel fait de paquets de mousse.

 

C’était une fraîcheur montant d’un arrosoir ;

Un enfant trébuchait au poids de l’encensoir.

 

Un papillon flotta, fils de la canicule,

A mes pieds sur les fleurs gonflées des campanules.

 

J’admirai l’équilibre ineffable de Dieu

Dans ces ailes liées au système des cieux ;

 

Dans ces ailes, les sœurs de nos nuits constellées

Ou des journées d’azur de cerises criblées.

 

Qui donc a mesuré le vol de l’univers,

Celui de cet insecte et celui de mes vers ?

 

Ce papillon venait prendre part à la fête

Et sa couleur chantait la joie comme un prophète.

 

Une brise presque insensible le poussait

Dans la procession aux gracieux lacets.

 

Des bannières penchaient à l’avant du cortège

Sur les voiles creusés, tels des flocons de neige.

 

On voyait osciller, quelque enfant la portait,

Une Croix comme un mât par la mer rejeté.

 

Sainte Anne qu’ont courbée les tâches les plus basses

Suivait, l’extase au front, toute pleine de grâce.

 

Enfin et dans la marche sèche du tambour,

S’avançait sous le dais le Maître de l’Amour.

 

Et l’aïeul fut au Ciel lorsque l’Eucharistie

S’éleva en tremblant au-dessus de la vie.

 

 

 

Francis JAMMES.

 

Extrait de Les Géorgiques chrétiennes, Mercure de France.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net