Un collaborateur inconnu

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Victor JOLY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On n’a jamais recherché la cause de cette croyance que nous accordons aux faits, aux traditions surnaturelles qui datent d’un siècle ou deux, tandis que, d’autre part, on accueille avec le scepticisme le plus complet des faits qui se sont accomplis sous nos yeux et dont les circonstances échappent complètement aux lois de l’ordre moral et matériel. Il semble que le fantastique ait besoin d’être enveloppé des ombres du passé pour arriver jusqu’à nous, et que les lueurs de notre dédaigneuse philosophie aient été l’aurore à l’aspect de laquelle devaient s’évanouir toutes ces choses inouïes, bizarres ou mystérieuses qui sont du domaine du fantastique.

Le lieu dans lequel s’accomplit un de ces faits qui heurtent toutes nos idées acquises et échappent aux explications de notre présomptueuse science, n’est pas sans influence sur le degré de foi que nous accordons aux légendes des temps qui ne sont plus. Sous les sombres chênes des forêts de la Franconie, sur les cimes stériles et rocheuses du Hartz, qui semblent porter l’empreinte de quelque gigantesque orgie – dans le demi-jour des vallées de l’Écosse, dormant sous l’ombre des bouleaux et des houx –, l’esprit accueille avec une foi sérieuse et profonde toutes ces merveilleuses légendes qui, dans l’enceinte bruyante d’une grande ville, n’amèneraient sur les lèvres qu’un sourire d’incrédulité et de dédain.

On croira donc ce qu’on voudra de l’aventure que nous allons raconter, et dont nous avons vu le héros dans une visite que nous fîmes à l’hospice des aliénés de Cologne, il y a quelques années.

 

 

I

 

En 1832, se trouvait à l’université de Heidelberg un jeune homme issu d’une de ces familles nobles d’Allemagne qui s’efforcent en vain de cacher leur fière misère sous le voile troué d’un luxe menteur. Le père d’Ulric R... était le type de ces vieux barons souabes élevés dans un profond respect pour l’antiquité de leur race et dans la haine de l’étranger. Il avait pris part à ce glorieux réveil de l’Allemagne dont Théodore Koerner fut le sublime Tyrtée. Puis, la paix venue, il s’était retiré dans son manoir franconien et avait tressailli de joie à la vue de son fils Ulric, dont le souvenir lui était apparu si souvent au milieu des luttes héroïques de l’Allemagne de 1813 à 1815.

L’éducation d’Ulric avait été simple et austère. Il avait appris à lire dans un livre, le plus beau, le plus grand qui ait jamais été offert aux méditations des hommes. La Bible – ce magnifique trésor de sagesse et de poésie – avait donné à l’esprit du jeune Ulric un caractère de grandeur et d’indicible rêverie que la solitude n’avait fait qu’augmenter. Plus tard, l’étude des poètes, tels que Goethe, Byron, Shelley, Jean Paul, vint accroître encore cette mélancolie farouche ; et, à l’âge où tout sourit à ceux qui commencent la vie, où le cœur rayonne, où tous les espoirs dorés éclosent dans l’âme, Ulric sentait déjà pencher son front, comme si le malheur l’eût touché de sa main de fer.

C’est à l’influence de cette triste littérature, de cette sombre poésie qui n’avait pour cordes à sa lyre que le doute, le désespoir et la révolte contre Dieu, – c’est à ces cris de Titans foudroyés qui retentissaient dans les œuvres des poètes il y a vingt ans qu’il faut attribuer ces tristes maladies de l’âme, ces nostalgies morales qui ont fait tant de victimes en France et en Allemagne. L’Allemagne surtout, cette terre où fleurissent les belles fleurs d’azur de l’idéal et où les chants des poètes ressemblent aux sons magnétiques et nerveux des harpes éoliennes, a vu bien de ses enfants tomber sous ce souffle maudit, qui desséchait toutes les espérances, flétrissait toutes les croyances et toutes les amours. Les ravages ont été là plus profonds que partout ailleurs... La pente et la nature de l’esprit germanique, l’aspect de son sol, couvert de ruines d’où semblent sortir les voix du passé, ses forêts séculaires et mystérieuses dont les échos s’éveillent parfois sous les fanfares des comtes palatins et des chasseurs maudits – jusqu’à ce vieux Rhin, antique témoin des grandes épopées germaniques – tout, enfin, augmentait cette soif de l’inconnu, cette aspiration vers l’infini, qui a fait tant de victimes et entraîné tant de jeunes intelligences vers le gouffre au fond duquel le démon du désespoir et du suicide sourit à sa proie.

Ulric était donc atteint de ce mal étrange que la moquerie française a réussi à guérir par le ridicule et que Goethe lui-même a combattu, après avoir été l’un de ces empoisonneurs d’âmes dont il raillait plus tard les souffrances. Chez Ulric, une énervante et sombre rêverie avait fini par dominer toutes les facultés de l’esprit, qui s’alanguissaient chaque jour, comme un arbre vigoureux attaqué au cœur par un insecte malfaisant.

Pour bien apprécier tous les ravages qui s’étaient faits dans l’esprit d’Ulric, il faut comprendre l’influence de la nature au sein de laquelle il vivait. Ces grands bois de la Franconie, tout peuplés de traditions, et dans lesquels il promenait ses rêves, avaient fini peu à peu par l’arracher aux réalités de la vie. Son existence était devenue une sorte de somnambulisme moral, premier pas vers la chute profonde dans laquelle sa raison devait se briser un jour.

Le père d’Ulric, homme d’action, de vie positive et de réalité, ne pouvait comprendre l’état moral de son fils ; non qu’il fût sourd aux choses poétiques, mais sa poésie à lui résidait dans les faits qu’il avait vus s’accomplir sous ses yeux. Les gigantesques luttes contre Napoléon auxquelles il avait pris part lui semblaient alors autant d’épopées qui rejetaient dans l’ombre les grandes guerres carlovingiennes. Cet homme de batailles, cet intrépide compagnon du poète Koerner, qui, lorsque sonnait la charge des chasseurs noirs de Lutzow, demandait ses inspirations à son sabre, ne comprenait rien aux rêveries qui dévoraient son fils. À ses yeux, les grands poètes étaient les hommes d’action, tels que Tilly, Wallenstein, Cortez, Pizarre, Ziska, et autres natures d’élite, écrivant de leurs épées leurs noms immortels dans les annales des nations.

Le seul point par lequel Ulric tenait encore à la réalité, c’était un désir effréné, immense d’égaler un de ces princes de l’intelligence et de la poésie dont il ne pouvait ouïr les noms qu’avec une admiration mêlée d’envie. Il eût donné sans peine toutes les fleurs de sa jeunesse, toutes les pures émotions de son cœur, la limpidité de son front, pour la gloire et le front sillonné de Schiller, de Byron, de Goethe, de Klopstock. La renommée littéraire dominait à ses yeux toutes les autres. Il frémissait de bonheur à la pensée de voir un jour entourer son nom de cette auréole de gloire dont l’éclat éclipsait à ses yeux tous les bonheurs de la terre.

Quoique à peine arrivé à l’âge où d’autres amassent par l’étude les matériaux futurs que l’intelligence ordonnera un jour en monuments de science, d’art ou de poésie, Ulric, dévoré de la fièvre de la renommée, s’était déjà exercé sur plusieurs sujets qui trahissaient ses préférences et ses sympathies poétiques. En lisant Byron ou Schiller, il lui semblait sentir en son cœur cette impatience du cheval de Job au bruit des clairons. Comme le coursier biblique, il se disait : Allons ! et son regard s’enflammait à la voix de ses poètes de prédilection. Il y avait dans cette jeune intelligence une lutte sans trêve. Il sentait par moments s’élever en lui de grandes pensées, mais qui retombaient dans les ténèbres sitôt qu’il voulait les réaliser et les fixer dans un cadre quelconque. Les yeux tournés vers un idéal de poésie qui se révélait à lui comme une échappée de lumière à travers une trouée de nuages, il s’efforçait d’atteindre à ces divines régions et, au moment où il en touchait le seuil, il retombait écrasé sous le sentiment d’une cruelle impuissance. Une plus longue lutte eût suffi à briser l’esprit le plus viril, et celui d’Ulric devait succomber à la suite d’une aventure qui lui arriva à Heidelberg et que nous allons raconter.

La fortune du père d’Ulric s’était cruellement délabrée pendant les longues guerres de l’Allemagne contre la France. Réduit à un mince patrimoine et à une modique pension, le baron se dit un jour qu’il était temps d’arracher son fils à la vie contemplative qui minait tous les ressorts de son âme. Il lui donna donc connaissance de l’état de sa fortune et lui fit comprendre que la paix dont jouissait l’Europe allait ouvrir à la jeune génération une foule de carrières dignes des plus hautes ambitions.

– Le règne de l’épée est fini, mon fils, dit le vieux baron, et le sabre des chasseurs noirs de Lutzow ne réfléchira plus, de longtemps, les éclairs des batailles ! Tu es jeune, Ulric, tu es beau et ton front rayonne d’avenir ! Je t’ai fait connaître ce qui te restait de la fortune de tes pères. Un manoir en ruines sur lequel planent les corbeaux comme s’ils pressentaient qu’ils en prendront bientôt possession, voilà tout l’héritage que j’ai à te léguer. Nous sommes une race fière et dévouée, habituée à vendre un domaine à chaque guerre qui a menacé l’Allemagne. Du haut des tours de ce château, ton regard peut embrasser les possessions sur lesquelles nos aïeux voyaient flotter leur bannière ; mais à chacune de nos luttes nationales, le cercle s’est rétréci. Nous avons donné à la patrie notre or et notre sang comme des enfants loyaux et fidèles. Aujourd’hui, il ne nous reste rien, et je pressens, Ulric, qu’il te faudra être l’artisan de ta fortune et reconquérir par l’intelligence ce que tes pères ont perdu par la guerre. J’ai donc songé à t’envoyer à Heidelberg, où tu pourras compléter tes études en attendant que tes ailes soient assez fortes pour te porter vers le sommet que tu auras choisi.

Cette détermination du vieux baron souriait trop au jeune homme pour qu’il eût la moindre observation à y faire. Elle réalisait un de ses rêves chéris. Il allait se trouver avec les sommités de l’art, de la science et de la pensée ; il allait trouver de nouvelles sources à son ardente soif de savoir et vivre côte à côte avec ces soleils de poésie qui faisaient à l’Allemagne une si belle auréole de gloire. Il allait enfin pouvoir réaliser et jeter dans le cadre d’une œuvre immortelle les grandes pensées qui tourmentaient son âme comme la lave d’un volcan dont on a comblé le cratère.

Riche de quelque cents florins et de toutes ces fraîches espérances qui enfleurissent la montée de la vie, Ulric arriva à Heidelberg muni d’une lettre d’introduction pour le fils d’un ami de son père, – jeune homme de son âge et qui devait être son compagnon d’études.

Il était nuit lorsque Ulric, suivi d’un domestique qui portait son mince bagage, s’arrêta devant une maison de mince apparence dont les croisées supérieures étaient illuminées et d’où partaient des rumeurs bruyantes, des chants, des éclats de voix tels qu’en pouvaient seuls produire une demi-douzaine d’étudiants en belle humeur.

– C’est là ! seigneur étudiant, dit le domestique en indiquant du doigt au jeune homme les fenêtres flamboyantes, et il se retira.

Ulric monta lentement les deux étages et frappa à la porte du cénacle bruyant, de manière à dominer le bruit de la bacchanale qui se faisait à l’intérieur.

La porte, qui s’ouvrit soudain, montra au jeune homme un curieux spectacle. Sept ou huit jeunes gens étaient assis autour d’une table sur laquelle flamboyait un formidable bol de punch, dont la vive lueur faisait pâlir la lumière des bougies. Un nuage épais de fumée de tabac entourait les convives d’un voile à demi transparent et leur donnait je ne sais quelle apparence de dieux scandinaves enveloppés dans leur robe de brouillard. Des pipes, des épées, des pistolets garnissaient les murailles blanchies à la chaux, sur lesquelles étaient clouées quelques belles gravures d’Albrecht Dürer. Sur la cheminée, une petite glace de Venise supportait des buis bénits. Dans le fond de la chambre, un des buveurs se berçait dans un hamac en fumant magistralement une longue pipe américaine dont le tuyau flexible balayait le plancher. Tous les convives avaient ôté leurs habits et leurs cravates, et quelques-uns déchiraient gravement leurs livres classiques pour allumer leurs pipes.

À la vue d’Ulric, debout sur le seuil de la chambre, il se fit un profond silence ; tous les regards se tournèrent vers lui avec une curiosité mêlée d’un peu de défiance. Il y avait sur tous les fronts de ces jeunes gens, stimulés par l’aiguillon du punch, un sentiment de fière indépendance, de confiance et d’intelligence qui frappa vivement Ulric. Ces belles têtes allemandes, d’ordinaire inclinées sous l’aile de la rêverie, rayonnaient à cette heure d’une puissance irrésistible.

– Lequel de vous, messieurs, s’appelle Max ? dit Ulric en interrogeant du regard tous les convives, tandis qu’il tirait une lettre de sa redingote à brandebourgs.

– Moi, dit en se soulevant sur le coude le fumeur du hamac. Si tu viens de la part de mon banquier, que Dieu te protège ! – Si tu es l’envoyé de quelque Philistin, que le diable t’emporte !

– Je viens de la part d’un ami et j’apporte des paroles de paix, dit Ulric en souriant et en remettant à Max la lettre d’introduction qu’il tenait à la main.

– Messieurs, dit Max après avoir rapidement parcouru la lettre, je vous présente un frère, le fils du baron de R..., un des braves centaures de Lutzow qui a reçu le dernier soupir de Koerner ! Qu’on remplisse, en l’honneur de notre nouveau camarade, la coupe d’Hercule !

Et d’un bond, Max s’élança de son hamac et prit sur une table un immense verre de Bohême, dont la capacité eût fait reculer le maréchal de Bassompierre lui-même, qui porta un jour aux treize cantons suisses un toast colossal avec sa botte à l’écuyère remplie de vin.

– À ton étoile et à ta gloire future ! dit Max.

La coupe, dont les proportions héroïques semblaient avoir été créées pour quelque héros des Niebelungen, fit le tour de la table et revint aux mains de Max qui la tarit d’un trait.

– Maintenant, frères, que notre nouveau camarade a partagé avec nous le pain et le sel, qu’il a fumé le calumet universitaire, le voilà affilié à la libre et joyeuse congrégation des Renards ; or, la séance est ouverte et Franck a la parole.

– De quoi parliez-vous, messieurs ? dit Ulric.

– De presque rien, fit Max en tendant son verre à l’échanson ; la discussion roule sur l’amour, la liberté, la poésie, la valse à trois temps, le vin du Rhin, le Turc, les revenants, les bottes à l’écuyère et la part que le diable a dans les choses de ce monde. Tu peux voir, frère, que la conversation a de la marge. Nous tenons aujourd’hui notre congrès de beuverie où nous passons d’ordinaire au crible d’une discussion libre et pittoresque tout ce qui a été, est et sera.

– Je disais donc, messieurs, dit le jeune homme auquel Max avait donné le nom de Franck, qu’il ne faut pas chercher bien loin dans les œuvres attribuées aux fils des hommes, pour y trouver les traces de la griffe d’Old-Iniquity, comme l’appelle Goethe. Une foule de monuments, ceux-là surtout que les voyageurs admirent le plus et qui frappent l’esprit des peuples par leur caractère de grandeur colossale ou de sublime hardiesse, ont eu le diable pour collaborateur. Voyez notre cathédrale de Cologne, qu’on s’efforce en vain d’achever. Dix générations se sont succédé pour compléter et terminer la maison du Seigneur. On fait des quêtes par toute l’Allemagne, les rois eux-mêmes ont puisé à pleines mains dans leurs trésors ; rien n’y fait. Une partie tombe en ruines tandis qu’on édifie l’autre. Les nefs se lézardent pendant qu’on élève les tours. Et puis le plan primitif est perdu. On va à l’aventure, comme des cuistres qui voudraient remplacer un livre perdu de Diodore ou combler les lacunes de Tacite. On gâche du plâtre, on taille des pierres, on en pose deux au nord, il en tombe trois au midi. Allez ! il y a dans les traditions populaires plus de vérité et de philosophie qu’on ne pense, et l’Allemagne sera rendue à sa grande unité nationale que la cathédrale de Cologne élèvera toujours vers le ciel ses tours tronquées comme une autre Babel de l’Occident !

– Sais-tu bien, Franck, dit Max en souriant, que tu fais la part du vieux Satan bien belle en lui permettant d’opposer son veto à l’achèvement du plus beau monument de la chrétienté, de celui qui devait être un magnifique symbole de la nouvelle loi ?

– Dieu lui a permis bien autre chose encore, dit Franck, et il semble avoir toujours conservé un reste d’affection pour celui qui fut jadis le premier de ses séraphins. Et puis, ma foi, c’est un peu là-haut comme ici. Ainsi, toi, Max, qui es bien le plus mauvais sujet de la famille, toi à qui ta mère a envoyé en secret ses diamants pour payer tes dettes, toi qui as fait tuer à ton père un troupeau de veaux gras en lui promettant chaque fois de ne plus jeter sa fortune, ta santé et ton avenir par les fenêtres, n’es-tu pas celui qu’il préfère entre tous tes frères ? La dernière fois que le digne homme vint te voir, je lui fis compagnie en attendant ton retour. Or, je me souviens que tu revins ce jour-là, monté sur un cheval magnifique que tu venais d’acheter sans savoir comment tu le payerais. Eh bien, sais-tu ce que dit ton père en te voyant ?...

– Il commença un sermon, sans doute, ou bien il débuta par une apostrophe cicéronienne : Quousque tandem, etc.

– Tu es injuste envers ton bon père, mon cher Max. En te voyant manier ton cheval de manière à lui faire exécuter toutes ces coquetteries équestres qui plaisent tant aux femmes, ton père s’est tourné vers moi et m’a dit avec le plus charmant sourire : « N’est-ce pas, Franck, que mon Max ferait un joli capitaine de hussards ? » Eh bien ! Dieu a un faible pareil pour les fredaines de son ange tombé ; il lui a permis une foule de caravanes incongrues, preuve : le bonhomme Job, qu’il lui a laissé tourmenter de tant de manières !

– Tu oublies que la femme du patriarche était de la partie. Ne calomnions pas le vieux Satan, dit gravement Max. Dieu sait ce qui est arrivé à Luther pour avoir tenté de perdre le diable de réputation en Allemagne !

– Mais nous voici bien loin de la cathédrale de Cologne, dit Ulric. Je désirerais que Franck achevât ce qu’il avait à nous dire à ce sujet.

– Je disais donc, reprit Franck, que les merveilles architectoniques du monde portent presque toutes l’empreinte d’une puissance surhumaine. Qui a élevé ces palais de Baalbek dont chaque pierre a 70 pieds de long sur 10 de haut ? Qui a posé sur des colonnes de 100 pieds ces plafonds d’une seule pièce de plus de quatre cents pieds carrés ? Où sont les Titans qui ont pétri ces rochers dont les parcelles nous ont servi à faire des obélisques ? Aujourd’hui que nous disposons de la vapeur, de la poudre, et que la mécanique a fait des progrès incontestables, où sont les architectes qui oseraient entreprendre de creuser des temples comme ceux d’Ellora et d’Éléphantis, monstrueux prodiges pour lesquels on a éventré une montagne de granit et taillé temple, colonne et dieux sur les proportions du colosse de Rhodes. Demandez aux Brahmanes quel est l’architecte auquel on doit ces temples surhumains dans lesquels aucun rayon du soleil ne pénétra jamais, et ils vous diront à l’oreille un nom terrible et connu ! Maintenant, pour en revenir à notre cathédrale de Cologne, cette autre toile de Pénélope du christianisme, savez-vous ce que me racontait, il y a huit jours, Fritz le charpentier, qui travaille à la forêt de la nef ?

– Non ! firent tous les convives d’un air attentif.

– Voici le fait : « Fritz chantait en équarrissant une poutre, lorsque, tout à coup, il s’aperçut qu’il avait oublié son compas. Il alla donc à la porte des combles pour appeler son apprenti, lorsqu’il vit avec étonnement qu’on avait ôté l’échelle qui remplaçait une partie de l’escalier encore en construction. Il se coucha sur le ventre et appela son compagnon d’une voix forte ; mais l’église était déserte, et sa voix alla réveiller une foule d’échos qui renvoyèrent ses paroles avec des sons étranges. Il cria de nouveau, mais inutilement. Pas un ouvrier ne se trouvait dans l’église et sa voix tombant du haut de la nef, qui n’a pas moins de deux cents pieds de haut, pouvait fort bien ne pas avoir été entendue. Il revint donc dans les combles et ouvrit une fenêtre pour appeler du secours, mais le vent soufflait d’une telle force qu’il n’entendît presque pas lui-même le son de sa voix. Il voyait cependant quelques ouvriers, au pied du monument, mais leurs paroles montaient jusqu’à lui comme un léger murmure. Il eut beau faire des signes, appeler, rien n’y fit. Son apprenti, le croyant parti, avait sans doute ôté l’échelle des combles pour quelque autre besoin et laissé ainsi son maître emprisonné à deux cents pieds du sol. Fritz était d’une humeur massacrante, comme vous pouvez le penser, d’autant plus que la nuit s’approchait et qu’il se voyait menacé de coucher dans l’église sans souper. Bientôt l’ombre gagna la ville, et les derniers rayons du soleil vinrent dorer le gigantesque édifice. Les bruits cessèrent peu à peu sous lui, et les nombreuses cloches des églises lui envoyaient les heures qui traversaient les airs comme des messagers sonores. La cité s’endormait, les vitres flamboyantes s’éteignirent peu à peu et bientôt tout fut ombre et silence.

« Il fallait prendre un parti, quel qu’il fût, et le plus sage était de se résigner. Fritz assembla donc un lit de copeau, puis, ayant dit sa prière du soir, il se jeta sur son lit improvisé où il ne tarda pas à s’endormir d’un profond sommeil en se promettant cependant de donner une fière raclée à son apprenti qui lui valait cette nuit de bivouac aérien.

« Il dormait depuis deux heures, lorsqu’il fut réveillé par le bruit des cloches qui sonnaient minuit à toutes les églises ; il se retournait sur l’autre flanc pour reprendre son sommeil interrompu lorsqu’il vit, au-dessus de la cage de l’escalier des combles, une vive lueur qui éclairait le toit et semblait venir de l’église. La première pensée de Fritz fut que le feu était dans quelque partie du monument et qu’il allait périr d’une horrible mort sans aucun espoir de salut. Il se leva précipitamment de sa couche et s’élança à l’ouverture de l’escalier d’où la vue pouvait plonger dans toute l’église, et ce qu’il vit alors le frappa d’une plus profonde horreur, d’un plus mortel effroi que s’il eût vu une mer de feu l’entourer de ses vagues dévorantes. »

 

 

II

 

Aux dernières paroles de Franck, tous les convives s’étaient rapprochés de lui. Il venait de toucher la corde favorite de l’esprit allemand : le fantastique. Et tous ses auditeurs béants étaient prêts à le suivre dans les régions incréées et vaporeuses du pays des rêves et de l’inconnu.

Franck continua ainsi son récit :

– Par l’ouverture de la voûte sur laquelle il était couché, la face vers l’intérieur de l’église, Fritz vit alors des choses si inouïes et si étranges que, pour s’assurer s’il n’était pas sous l’obsession d’un rêve monstrueux, il se mordit si violemment la paume de la main que les traces de ses dents y paraissaient encore huit jours après.

« Les portes de la cathédrale étaient ouvertes comme si l’on eût attendu quelque cortège royal. Bientôt Fritz vit paraître de petits hommes noirs d’une agilité semblable à celle des singes, et qui se répandaient comme un torrent dans la basilique, avec l’air d’ouvriers empressés qui viennent reprendre un travail interrompu. Presque tous avaient le costume des artisans du quatorzième siècle : un tablier de cuir leur ceignait les reins ; à leur ceinture pendaient des ciseaux, des vrilles, des marteaux, des limes, des tenailles. Ceux qui paraissaient être les maçons de cette troupe bizarre n’avaient ni truelles ni niveaux, mais de petits leviers de fer ; les outils servant à construire manquaient complètement ; mais, en revanche, tous les instruments de destruction inventés par l’homme se trouvaient aux mains de ces étranges ouvriers.

« L’église se remplissait de plus en plus de ces singuliers êtres dont les pas n’éveillaient aucun bruit sous les voûtes sonores. Par la sombre arcade du portail, on voyait passer une foule noire et serrée qui montait comme un fleuve vivant le long des frises des croisées, des meneaux des verrières, des nervures des voûtes et des chapiteaux des colonnes. Puis ces flots noirs et grouillants atteignirent les galeries supérieures et couvrirent les roses, les trèfles et les pendentifs d’un voile sombre et mobile. Et les légions d’ouvriers entraient toujours ! Bientôt les vastes flancs du monument, les fûts des hautes colonnes, les ogives des galeries furent couverts de cette singulière population qui semblait avoir, comme les chauves-souris, la propriété de s’attacher aux surfaces planes et verticales. Enfin, quand toute l’église fut recouverte de ce crêpe infernal et vivant qui la tapissait comme pour de mystérieuses funérailles, on entendit de dessous le porche une voix stridente et impérieuse s’écrier : “LE MAÎTRE ! Frères.”

« Ce nom, qui tomba au milieu du silence solennel qui régnait dans la cathédrale, fit frémir Fritz et couvrit tout son corps d’une sueur glacée. Il fit le signe de la croix, ferma les yeux pour s’arracher aux mystères qui allaient s’accomplir ; mais une puissance inexplicable le forçait d’être le témoin de la plus étrange chose qui ait jamais frappé le regard d’un chrétien.

« La voix qui avait annoncé le Maître avait trouvé un écho dans les milliers d’ouvriers qui remplissaient la nef et les bas-côtés, mais qui, par une circonstance singulière, n’avaient pu franchir les grilles du chœur. Un bruissement de voix grêles parcourut l’édifice comme une onde sonore, monta du sol le long des colonnes, s’élança par les meneaux des verrières, descendit par les retombées des arceaux, comme un courant animé. Fritz s’aperçut alors que la lumière étrange qui éclairait la nef, et qui lui avait fait croire à un incendie, provenait d’une petite flamme que les ouvriers portaient au sommet du front, et qui vacillait comme les feux follets des cimetières. Cependant, chose singulière, bien que l’église fût au-dedans resplendissante de clarté, les verrières ne jetaient aucune lueur au-dehors et les flancs du monument étaient enveloppés d’épaisses ténèbres. Tout à coup, le porche s’illumina d’une manière éblouissante, comme si un torrent de cristal en fusion y eût passé, et celui dont la foule venait d’annoncer le nom avec une mystérieuse épouvante apparut !

« C’était un jeune homme d’une beauté étrange, et dont tous les traits portaient l’empreinte d’une indomptable fierté et d’une inexprimable souffrance. Son front haut et vaste sur lequel tombaient de riches boucles brunes semblait couver de tumultueuses pensées. Son regard voilé, profond et implacable, illuminait l’ombre la plus profonde. Les angles de sa bouche, retroussés par l’ironie, trahissaient un désespoir sans issue. Ce mystérieux personnage était vêtu d’un riche costume de velours de forme antique et tenait à la main un fouet à plusieurs lanières, dont les extrémités semblaient armées d’aiguillons. Arrivé à l’entrée du porche, il s’arrêta un moment, jeta un regard rayonnant d’une sauvage ironie sur la grande nef et les nefs latérales, fermées à leur sommet par des planches vermoulues et mal jointes ; puis, se tournant vers la tour de droite qui, depuis huit siècles, n’a pu s’élever au-delà de cent pieds du sol, il poussa un rire éclatant qui parut faire frémir le colossal monument dans ses assises de granit.

« Tandis que les bas-côtés de la grande nef étaient inondés de lumière, le chœur et les chapelles latérales restaient plongés dans d’épaisses ténèbres. Un seul rayon de lune, traversant la fenêtre du chœur, détachait sur le vitrail la figure de saint Hermann et venait éclairer une pierre tumulaire sur laquelle l’œil le plus perçant eût vainement cherché les traces d’une inscription. Dans l’ombre apparaissaient les formes blanches des statues de la Reine des anges et de saint Pierre, gardant l’entrée du chœur, tandis que les apôtres, dans leurs robes d’azur constellées de fleurs et d’étoiles, comme des électeurs du Saint-Empire, formaient autour des colonnes du chœur comme une cohorte sacrée. La froide lumière de la lune, glissant sur les tombeaux des archevêques Adolphe et Antoine de Schauenbourg, donnait à leurs statues couchées sur leurs lits de marbre je ne sais quelle mystérieuse apparence de vie.

« L’inconnu, après quelques minutes de recueillement pendant lesquelles son regard errait sur toutes les parties du vaste édifice, s’avança tout à coup vers le chœur, dont les grilles roulèrent sur leurs gonds à son approche. Le rayon de lune qui jetait sa poussière d’argent sur le parvis s’éclipsa comme si le ciel se fût soudainement voilé. L’inconnu se dirigea alors vers la pierre tumulaire sans inscription ; puis, la frappant du pied d’un air impérieux, il dit d’une voix menaçante dont le timbre formidable ébranla la voûte : “Debout ! l’heure est venue !

« Un profond gémissement répondit à cet appel, et la froide dalle se souleva lentement, poussée par un spectre dont les regards, empreints du plus profond désespoir, semblaient demander grâce au mystérieux inconnu.

« Celui-ci répondit à cette muette supplication par un rire cruel, et marcha droit aux tombeaux des archevêques Adolphe et Antoine dont il frappa les statues d’un violent coup de fouet en répétant de nouveau : “Debout ! l’heure est venue !

« Et les blanches statues se levèrent lentement de leur couche de marbre et vinrent se placer auprès du spectre de la tombe sans nom.

« Alors l’inconnu se dirigea vers la tombe des archevêques Philippe de Heinsbergen et Conrad de Hochstetten, fondateurs de la merveilleuse cathédrale, et les frappa de son fouet en répétant : “Debout ! debout ! l’heure est venue !

« Et l’image de pierre de Philippe et la statue de bronze de Conrad quittèrent leur couche glacée et vinrent se ranger auprès de leurs muets compagnons.

« L’église se remplissait pendant ce temps de gémissements, de soupirs qui semblaient sortir des tombes ; mais l’inconnu allait toujours, fustigeant de son fouet magique tous ces pauvres morts qui secouaient avec peine leur sommeil séculaire et entrouvraient lentement leurs sépulcres pour venir se ranger auprès de leurs compagnons.

« Puis il marcha droit aux orgueilleux mausolées des princes de Bavière, enterrés devant la chapelle des trois Rois Mages qui, les premiers, saluèrent la venue du Christ. Et il frappa du fouet leurs splendides charniers en disant d’une voix terrible :

« – Debout ! princes de la terre, aujourd’hui vassaux du sépulcre ! Debout ! l’heure est venue !

« Et tous ces êtres sans nom, revêtus de couronnes brisées, de manteaux de velours et d’or fanés par la nuit du cercueil, se levèrent lentement et vinrent se ranger auprès de leurs mornes sujets.

« L’inconnu devenait de plus en plus farouche, sa voix de plus en plus menaçante ; son regard dévorait ! Il leva les yeux vers les statues des apôtres placés à trente pieds du parvis ; deux fois il leva sur ces compagnons du Christ son redoutable aiguillon, et deux fois son bras retomba comme paralysé par une puissance supérieure. Enfin, la haine l’emporta ; il dirigea son fouet vers la statue de saint Pierre, en répétant son terrible : “Debout !” L’apôtre resta immobile dans sa dalmatique d’azur. L’inconnu, furieux, allait redoubler, lorsque tout à coup il pâlit en apercevant devant lui un bouclier d’or porté par un bras invisible, et dont l’éclat était tel qu’il se rejeta en arrière en poussant un cri si sauvage qu’on eût dit qu’il venait de voir quelque monstrueuse apparition dans l’arme divine.

« Trompé dans son espoir de vengeance, l’inconnu revint d’un pas rapide vers la troupe glacée des morts qu’il venait d’arracher à leur longue nuit ; puis, les ayant contemplés quelque temps avec une joie infernale, il s’adressa au trépassé que recouvrait la pierre sans nom.

« – Eh bien ! dit-il, n’ai-je pas tenu ma promesse, et ton orgueil insensé n’a-t-il pas reçu une punition digne de moi ? Tu croyais immortaliser ton nom en l’attachant à l’œuvre la plus splendide sur laquelle les enfants des hommes eussent jamais attaché leurs regards ; tu croyais pouvoir me dérober impunément une pensée que je conçus jadis pour la gloire de Celui contre lequel j’osai seul lutter ! Et pour obtenir cette renommée qui aurait éternisé ton nom, tu as osé lutter de ruse avec moi ! Moi qui ai l’éternité pour faire le mal et les sombres solitudes de mon royaume pour y rêver ! Tu as pensé que je laisserais, au prix d’une âme que l’orgueil devait m’assujettir un jour, achever un temple qui eût rallié au Christ, mon vainqueur, toutes les générations futures ; un temple dont l’éblouissante richesse de détails, la sublime harmonie de grandeur et de majesté ne sont pas faites pour être comprises par vos misérables intelligences. Vois plutôt ! Depuis huit siècles, l’Europe chrétienne s’évertue en vain à saisir la pensée de mon œuvre, que seul j’ai pu concevoir et que seul je pourrais achever ! Et lorsque vos architectes, misérables plagiaires, sont restés épuisés et stupides devant une création qui les écrasait, ils ont dit que l’or seul leur manquait pour achever la maison de Jéhovah ! Et l’Allemagne s’est émue, et jusqu’à des princes protestants sont venus apporter leur pierre à l’édifice. Puis sont arrivés les savants et les architectes, chacun avec son plan primitif, et la confusion n’a pas tardé à se mettre dans votre moderne Babel ; car ce plan que tu possédas un instant et pour lequel, dans la nuit de Noël 1248, tu renonças à ton Dieu sur les bords du Rhin, ce plan, le voici !

« Et l’inconnu tira de son sein une vaste feuille d’or sur laquelle le pâle trépassé vit rayonner en traits de feu un édifice surhumain, gigantesque, réunissant à la fois l’idéal le plus complet de la pensée chrétienne et la liberté la plus riche dans la forme et dans la variété. À cette vue, le pauvre mort se prit à sangloter en disant :

« – Oh ! toute une éternité de douleurs et de supplices pour que mon nom soit révélé aux hommes et qu’il remplisse l’avenir !

« – Mais de quoi te plains-tu ? dit l’inconnu avec un amer sourire. N’avais-tu pas fait graver sur une plaque d’airain destinée à être scellée dans le portail de ce monument ton nom, ta patrie, ton âge, afin que la postérité n’ignorât rien de ce qui te concernait et qu’elle pût chaque jour s’occuper de toi ? Eh bien ! cette plaque d’airain, ce glorieux blason sur lequel tu comptais pour assurer ton immortalité, elle a reposé sur ta poitrine, dans ta tombe, depuis l’heure de ta mort, et elle y demeurera comme une de tes tortures jusqu’à la fin des temps. Vois plutôt !

« Et il fit un signe à l’un des petits ouvriers noirs qui se pressaient à l’entrée du chœur. Celui-ci se précipita dans la fosse avec l’agilité d’un lutin et revint tout triomphant, tenant à la main une table d’airain sur laquelle rayonnaient un nom d’homme, un nom de ville et une date !

« À cette vue, le spectre poussa des cris déchirants ; mais l’inconnu, impassible comme les rochers du Drachenfels, reprit :

« – Tu le vois, rien n’a manqué à ton immortalité que ma volonté. Ta pierre tumulaire, colossal témoignage de ton orgueil, de ton mensonge, était la dernière de tes espérances, – il m’a suffi d’y passer la main pour en effacer jusqu’à la dernière trace de ta renommée. Regarde !

« Et les ouvriers noirs retournèrent la pierre sépulcrale comme si c’eût été une brique légère, et le triste trépassé vit avec angoisse que sa surface était polie comme si jamais le ciseau ne l’eût entamée.

« – Et cependant, continua l’inconnu, tandis que tu dormais ton long sommeil de mort qui, grâce à moi, ne fut pas sans rêves, les savants recherchaient ton nom pour le couronner d’une auréole de gloire, et plusieurs fois le bruit de leurs pas vint réveiller l’écho de ton cercueil, tandis qu’ils fouillaient les derniers recoins de cet édifice sur lequel ils espéraient un jour découvrir ton nom ! Ah ! tu as pensé pouvoir lutter avec moi ! avec celui qui n’est tombé que sous la foudre de Jéhovah !

« Et il se mit à rire d’un rire si éclatant et si terrible, que tous les morts tremblants, arrachés à leurs froides demeures, frémirent sous leurs humides suaires.

« – Ce n’est pas tout, cependant, reprit l’inconnu. Que me servirait d’avoir effacé ton nom de la mémoire des vivants comme je l’ai effacé de ce granit tumulaire ?... Il faut et je veux, pour que ma vengeance soit complète, que toi et tous ceux qui ont pris quelque part à l’érection de ce monument que j’ai condamné, – que toi et tous ceux qui ont pensé pouvoir vaincre ma volonté en cherchant à élever jusqu’au ciel ces tours sur lesquelles pèse ma malédiction, – vous soyez condamnés à défaire chaque nuit l’œuvre que les vivants accomplissent chaque jour, jusqu’à ce que l’herbe ait recouvert la dernière de ces pierres !

« Et levant son formidable fouet sur la foule épouvantée qui l’entourait, il la chassa devant lui en criant d’une voix terrible : “À l’œuvre ! à l’œuvre ! l’heure est venue !”

« Alors on vit un étrange et terrifiant spectacle ! Les mornes électeurs, les pâles archevêques et le colosse de bronze qui reposait sur la tombe de Conrad, le fondateur de la cathédrale, sortirent du chœur à pas solennels et lourds, tandis que derrière eux se pressait la foule des tremblants trépassés cherchant à éviter le fouet de l’inconnu qui les chassait devant lui en répétant : “À l’œuvre ! l’heure est venue !

« À l’entrée du chœur, ondulaient les flots animés des petits hommes noirs qui brandissaient leurs outils avec impatience. Arrivés à la porte du chœur, on remit aux morts qui précédaient l’inconnu des scies, des tarières, des leviers, et ils continuèrent leur route, impassibles et muets, vers les différentes parties de l’édifice, suivis chacun d’une cohorte de petits hommes noirs qui paraissaient devoir leur servir de manœuvres.

« Le spectre de la tombe sans nom fut envoyé vers le portail, la plus belle partie de l’édifice, pour y accomplir sa tâche de destruction. Conrad de Hochstetten et les deux frères Antoine et Adolphe furent dirigés au sommet de la tour du nord où l’on entendit bientôt résonner leurs pieds lourds dans la spirale de pierre. Les électeurs de Bavière et la foule qu’avait chassée devant lui l’inconnu restèrent dans la nef et les bas-côtés. Bientôt le maître donna le signal du travail et l’œuvre de destruction commença.

« Les ouvriers noirs qui, jusqu’alors, s’étaient tenus immobiles le long des flancs de l’église, des parois des voûtes et des colonnes, s’animèrent comme par enchantement et se mirent à grouiller comme une fourmilière. Les uns, armés de longs fouets, pressaient les pauvres morts dans leur travail sacrilège en cinglant sans pitié leurs vieux os ; les autres leur présentaient des outils et les aidaient à desceller les pierres, à ébranler les clefs de voûte, à érailler les nervures, à rompre les barres de fer qui liaient les hautes verrières. De noires cohues, accroupies sur les chapiteaux des colonnes, les ogives des galeries, grattaient les belles efflorescences de pierre nées sous le ciseau des vieux maîtres allemands. D’autres jetaient sur les charpentes une poussière qui se convertissait en laves terribles, sous l’effort desquelles se consumaient les chênes les plus noueux.

« Une légion s’était abattue sur les verrières et le chœur comme une nuée de chauves-souris, et s’occupait à ronger le plomb et le fer des vitraux. D’autres enfin montaient et descendaient dans les tours. Tout ce travail s’accomplissait dans le plus solennel silence et avait le calme d’un rêve. L’inconnu, comme un maître terrible, se promenait dans la vaste basilique, surveillant les progrès de son œuvre, excitant les tièdes, encourageant d’un regard les plus ardents. Parfois, il disparaissait un moment sous le cintre obscur du porche, et alors le silence était interrompu par les douloureux gémissements du spectre sans nom que le maître forçait sans doute d’accomplir quelque étrange sacrilège. Puis il remontait dans la tour de la grue, où les trois archevêques s’occupaient de l’horrible tâche de détruire tout ce qui s’était fait jadis par leurs soins.

« Le chœur était retombé dans l’ombre et retentissait de sanglots. Du haut de leur socle de pierre, les apôtres levaient leurs mains suppliantes vers le Christ pour le conjurer d’étendre son bras vainqueur de l’enfer et de chasser d’un regard tous ces monstrueux profanateurs. Des larmes glacées coulaient sur leur face de marbre et tombaient sur les dalles comme des gouttes de plomb fondu.

« Tout à coup, les douze pairs chrétiens quittèrent leurs colonnes et entourèrent leur divin maître, et on entendit une voix qui disait :

« – Ne permets pas, ô Rédempteur, que ces choses s’accomplissent ! Chasse d’un souffle tous ces enfants des ténèbres et protège ta maison contre leurs entreprises sacrilèges !

« Mais le Christ demeura muet sur sa croix et ne releva pas sa tête affaissée par l’agonie du Golgotha.

« Alors, du fond du chœur, sortirent trois inconnus portant des vêtements de soie et d’or, comme ceux des princes et des mages de l’Orient. Ils tenaient dans leurs mains de riches présents de myrrhe, d’encens et de perles.

« Et arrivés au pied de la croix, ils dirent :

« – Ô toi, divin Sauveur que nous avons eu la gloire de saluer les premiers à ton berceau, dis un mot afin d’arracher ton temple à la destruction qui le menace !

« Mais le Christ demeura muet sur son bois sanglant et ne rouvrit pas ses lèvres glacées par la nuit du Golgotha.

« Alors une femme – le front couronné d’étoiles et dont le regard calme et pur semblait refléter le ciel – descendit de la colonne et se courba devant la croix en disant avec un soupir :

« – Ô mon fils, au nom de mes douleurs surhumaines, – de mon cœur déchiré par ta sublime immolation, – étends ta main et chasse vers leurs régions sombres ces maudits qui soufflent ton temple et le veulent détruire !...

« Tout demeura muet, et le Christ n’étendit pas sa main souveraine fixée au bois sanglant du Golgotha.

« À cette vue, les apôtres et les mages, qui jusqu’alors avaient espéré en l’intervention de la Reine du ciel, retournèrent à leurs châsses d’or en pleurant amèrement et en disant :

« – Les temps sont arrivés ! La loi nouvelle est accomplie et le temple va crouler ! Malheur à nous qui n’aurons plus d’aussi calmes et d’aussi silencieuses retraites pour y louer le Seigneur !

« Et les noirs compagnons de l’inconnu travaillaient toujours, et son terrible aiguillon pressait les muets ouvriers qu’il avait arrachés à la tombe pour son œuvre de vengeance.

« Tout à coup une voix qui semblait partir du fond du sanctuaire laissa tomber ces paroles :

« – Lorsque j’étais avec vous ! lorsque j’étais parmi les enfants des hommes, je leur ai dit : “Avec la foi vous soulèverez des montagnes et vous direz aux flots courroucés des mers : Apaisez-vous !”

« “Là où manque la foi, manquent la force et l’intelligence des choses divines. Les saints remuaient des collines, – les hommes ne peuvent plus remuer ces pierres, – mon esprit ne les anime plus, car l’orgueil et l’égoïsme ont remplacé l’amour !

« “Qu’importe à mon nom que cette œuvre s’accomplisse ? N’ai-je pas mes temples dans les solitudes des mers et sur le trépied des montagnes et des glaciers ?

« “C’est là qu’habite mon esprit, c’est là qu’on aura l’intelligence de ma parole ! C’est à eux et non à moi que les hommes ont élevé ce monument. Le jour où mon père a retiré sa main de son peuple, l’œuvre de Salomon est tombée !... Le jour où l’Allemagne s’est retirée de moi, elle a été frappée d’impuissance ; qu’elle lutte donc avec l’ennemi, afin que la loi nouvelle ait aussi sa Babel, son trophée de superbe et de folie !”

« Et la voix se tut ! Tout à coup, une blanche lueur illumina les hautes verrières, – un rayon de soleil dora la cime du chœur. À cette lumière souveraine, l’essaim noir des ouvriers d’enfer disparut comme par enchantement, et les froides statues et les tristes trépassés allèrent reprendre leur lit de marbre et de terre !

« Voilà ce qu’a vu Fritz, le charpentier, pendant la nuit qu’il a passée dans les combles de la cathédrale, et voilà ce qu’il m’a raconté en jurant sur son salut éternel qu’il ne travaillerait plus au dôme quand on lui donnerait dix thalers par jour ! »

 

 

III

 

Franck avait fini son récit que tous les auditeurs l’écoutaient encore. À mesure qu’il déroulait à leur esprit inquiet et curieux le terrible drame nocturne dont Fritz avait été le témoin forcé, l’attitude des étudiants était devenue plus grave. Ils avaient écouté d’abord en fumant et en faisant de nombreuses visites au vaste bol qui flamboyait devant eux ; puis, peu à peu, les pipes avaient été posées sur la table ou alignées le long de la muraille ; les verres étaient restés vides, et une immobilité muette avait remplacé cette agitation nerveuse qui travaille tout auditeur qui n’écoute que par politesse.

Mais, de tous les jeunes gens, celui qui avait tendu toutes les puissances de son âme pour mieux saisir les circonstances de cet étrange récit, c’était Ulric. Pour lui l’impression avait été plus vive que pour tout autre. Sa nature, portée aux choses merveilleuses, lui avait fait voir par les yeux de l’esprit cette vision infernale à laquelle il regrettait presque de n’avoir pas assisté. Ce trépassé sans nom, déçu dans son orgueil et dans sa gloire, cet inconnu mystérieux, hâtant par les coups de son terrible fouet son œuvre de destruction, toutes ces choses l’avaient profondément impressionné et éveillé en lui ces pensées folles, étranges, qu’il n’eût osé avouer à ses amis, mais qui s’emparaient de son esprit dans la solitude et planaient sur son âme comme de noirs oiseaux autour d’une proie.

Cette pente de l’esprit germanique pourra sembler étrange à des lecteurs ordinaires, qui ne manqueront pas de trouver fort ridicule qu’une demi-douzaine d’étudiants allemands emploient leurs loisirs à s’occuper du diable et de la part qu’il prend aux choses de ce monde. Dans une pareille situation, les étudiants français eussent passé le temps à parler de la Chaumière, du dîner Millaud, de la meilleure méthode pour culotter les pipes et de la dernière caricature du Charivari ; – des étudiants anglais auraient bu gravement dix bols de punch, en prouvant que le pape n’est autre chose que l’Antéchrist et que la reine Victoria tient les clés du paradis et du parlement dans sa poche ; – des étudiants flamands auraient vidé vingt litres de bière sans mot dire. Or, des étudiants allemands ne pouvaient que s’égarer dans les espaces inconnus du monde invisible et, de là au diable, il n’y a qu’un pas.

Puis l’Allemagne fut toujours le foyer des sombres légendes de l’esprit du mal, qui se manifeste plus volontiers dans l’Occident que dans les contrées lumineuses du Midi. Le Nord de l’Europe est plein de traditions où se montre le pied fourchu de Satan, tandis que le Midi semble réservé aux superstitions orientales, telles que les fées, les djinns et les dragons gardiens de trésors. Nous ne voulons pas expliquer ici les causes de cette différence radicale qui existe dans les traditions du Nord et de l’Orient de l’Europe, nous nous bornons à constater un fait. Quant à l’autorité de ces traditions, qu’il nous suffise de dire que les meilleurs esprits des premiers siècles chrétiens et les plus hautes intelligences du quinzième et du seizième siècle ne discutèrent jamais la véracité des faits appuyés par des témoignages aussi nombreux que respectables.

– Votre Fritz est un ivrogne qui se sera grisé, dit Max, en se secouant comme pour se débarrasser de l’impression produite sur tous les convives par cette sombre histoire. Et après s’être grisé, il se sera couché sur un lit de copeaux où il aura subi l’obsession de toutes les rêveries cornues qui accompagnent une indigestion de bière de Bavière. Tous les prodiges du monde ont eu pour témoins des hommes qui avaient laissé leur raison au fond des pots.

– Fritz s’était si peu grisé, dit Franck, qu’il était à jeun depuis midi et qu’il n’avait bu ni un verre de bière ni de vin de toute la journée ; et s’il vous fallait une autre preuve des émotions terribles qu’il a éprouvées pendant cette nuit d’angoisses, je vous dirais qu’il est entré dans la cathédrale avec de magnifiques cheveux bruns qui, à l’heure qu’il est, sont mêlés d’autant de cheveux gris que le pauvre garçon en pourrait raisonnablement craindre à l’âge de cinquante ans.

– Max est un voltairien, dit Ulric, qui n’accorde sa foi qu’aux choses matérielles, ce qui fait qu’il ne croit ni au galvanisme, ni à l’électricité, ni à la lumière, ni aux prodiges inexplicables mais avérés du magnétisme, un homme enfin qui nie toutes les choses qui ne se mesurent pas par le compas du géomètre et ne se manifestent pas sous le scalpel de l’anatomiste. Quant à moi, je pense que votre charpentier Fritz a eu là un bonheur que bien des gens lui envieront !

– Ah çà ! dit Max en souriant, aurais-tu par hasard l’envie de jouir d’une audience particulière de Sa ténébreuse Majesté ?

– Je ne dis pas cela, dit Ulric ; mais j’aurais voulu voir ce mystérieux inconnu, ne fût-ce que pour m’assurer si Milton et Flaxmann, deux hommes de génie, ont été fidèles dans la description qu’ils nous ont laissée du beau séraphin déchu. J’ai toujours détesté la manière triviale et commune avec laquelle Luther a parlé de Satan.

– Ami ! dit gravement Franck, tes paroles sont folles ou dangereuses, et malheur à toi si elles ont passé par ton cœur avant d’arriver à tes lèvres !

Ulric baissa la tête comme si sa conscience lui eût jeté un secret reproche ; mais Max, toujours railleur, reprit la conversation qui menaçait de tomber.

– Ainsi, dit-il, pour résumer tout cela, le diable ne veut pas que la cathédrale de Cologne s’achève, et il emploie pour réaliser cette pensée ceux-là mêmes qui mirent jadis toute leur gloire à doter l’Allemagne du plus beau temple chrétien qui s’élève de la terre vers Dieu comme la prière d’un grand peuple. Nous voici donc aux temps prédits ! Le vieux dragon a rompu sa chaîne et rouvert le puits de l’abîme. Il va de nouveau courir le monde, semant des trésors et des couronnes. Ma foi, cela va rompre un peu la monotonie de la situation, comme disent les Français.

– Que Satan distribue les biens terrestres, dit Ulric, je le crois ; mais qu’il puisse donner aux hommes des choses qui prennent leur source en Dieu, telles que le talent ou le génie, cela me semble difficile.

– Tu oublies le spectre de la tombe sans nom, reprit Franck : celui-là avait voulu la gloire, un nom entouré d’une auréole immortelle ; mais son œuvre est restée tronquée et incomplète, et son nom sera à jamais un mystère pour les hommes !

– Peut-être, observa timidement Ulric, fut-il infidèle au pacte qu’il fit avec l’inconnu et, sans cette déloyauté, qui sait si l’Allemagne ne le compterait pas parmi ses enfants les plus illustres et si le roi de Bavière ne l’aurait pas fait placer dans son Walhalla germanique, entre Albrecht Dürer et le grand Hermann, vainqueur de Varus.

– C’est-à-dire, reprit Franck, que tu comprends qu’on achète une gloire terrestre au prix de son âme et d’une réprobation éternelle.

– Non, dit Ulric, mais je crois que Dieu a des pardons pour toutes les misères de l’homme, pour toutes les faiblesses de la chair, et je pense qu’il a dû étendre sa miséricorde sur celui qui ne fut criminel que parce qu’il voulut lui élever un temple digne de sa puissance.

– Dis un temple à son orgueil impie ! s’écria Franck. Car si ce sentiment ne l’eût pas animé à l’exception de tout autre ; s’il eût compris que les œuvres des hommes ne sont qu’une inspiration d’en haut, sa gloire eût été pure et son nom rayonnerait en lettres d’or sur le parvis de cette cathédrale qui pèse aujourd’hui sur sa poitrine de damné !

– Assez de démonologie pour aujourd’hui, messieurs, dit Max en frappant de sa pipe sur la table ; je déclare la séance levée, mais je dois à la vérité d’ajouter que notre ami Ulric manifeste des sympathies qui font honneur à son cœur et à sa générosité. Il est beau de défendre le vieux pied fourchu aujourd’hui que tant de gens ne lui font pas même l’honneur de croire à son existence.

Les étudiants se levèrent pour regagner leurs chambres. Ulric suivit l’exemple général et, quelques minutes après, il était assis sur sa modeste couchette, rêvant à ce mystérieux inconnu, ce Prince de la Nuit convoquant ses sujets à une œuvre sacrilège et condamnant ses victimes à effacer jusqu’aux dernières traces de cette gloire, à laquelle ils avaient sacrifié jusqu’au salut de leur âme.

La vie d’Ulric fut à Heidelberg ce qu’est celle de tout étudiant allemand un peu consciencieux et qui n’accorde pas à l’escrime, à la pipe, à la taverne et aux aventures galantes les vingt-quatre heures de la journée. Ulric suivit assidûment un cours de droit, et ses journées se passaient à scruter les mystères de la législation des peuples anciens, des coutumes germaniques et du droit de l’Empire. Les soirées s’écoulaient en causeries philosophiques qui, par une étrange fatalité, finissaient toujours par tourner au mysticisme le plus complet et par prendre pour texte les pages les plus apocalyptiques de Swedenborg, ce roi des illuminés dont les écrits ont détraqué tant de cervelles allemandes.

Mais, au milieu de ses études, Ulric n’avait pas oublié son amour pour la poésie. Il se courbait avec regret sur les digestes et les commentaires, et sa pensée errait dans les espaces incréés de la fantaisie, tandis que son œil restait fixé machinalement sur les Pandectes ou les origines du droit germanique. Chaque jour sa nature d’artiste se révélait plus énergique et plus vivace, et ses rêves ambitieux n’allaient à rien moins qu’à ceindre cette couronne qui ornait le front de Schiller ou de Goethe.

Le mouvement littéraire allemand fut surtout remarquable après la chute de Napoléon qui inspira à la muse allemande tant d’admirables odes dont quelques-unes respirent toute l’implacable férocité scandinave. La voix des poètes avait enfanté des bataillons, et les peuples reconnaissants regardaient comme des hommes d’élection, revêtus d’une mission nationale, Koerner et Schenkendorf dont les chants faisaient frémir toutes les âmes d’un mâle enthousiasme. Cette gloire si grande et si pure devait être enviée par Ulric, et bientôt son imagination ne rêva plus qu’une de ces œuvres qui sont pour un pays un des fleurons de sa couronne littéraire.

Depuis longtemps Ulric travaillait en silence à une grande épopée nationale qui devait reproduire d’une manière dramatique les grandes luttes de l’Empire sous Frédéric Barberousse. Tous les jours, il se promenait seul sous les grands chênes qui ombragent les ruines du vieux château d’Heidelberg, méditant son œuvre chérie, celle de laquelle il attendait gloire et fortune. Souvent, au milieu de ses rêveries, un pâtre, ramenant ses moutons, s’arrêtait un moment ; puis, après l’avoir regardé quelque temps avec cette inquiète curiosité du paysan illettré qui voit du grimoire dans toute écriture et des formules cabalistiques dans tout papier imprimé, il se retirait en sifflant un grand chien noir qui lui servait à maintenir la police dans son troupeau.

Un jour que l’inspiration rebelle refusait de descendre de son nuage pour obéir à la voix qui l’invoquait et qu’Ulric, dépité, venait de déchirer avec humeur quelques pages dont il jetait les morceaux aux vents, le pâtre s’approcha de lui.

– Mon jeune seigneur, dit-il en saluant respectueusement le jeune homme, d’autres ont essayé avant vous de découvrir l’endroit où est cachée la Chèvre d’Or ; mais aucun n’a pu y parvenir jusqu’à ce jour. Les uns y ont employé une armée de mineurs et ont fouillé les ruines en tous sens ; d’autres ont lu des paroles étranges dans de gros livres ; mais la terre garde bien ce qu’on lui confie !

– Je ne sais de quel trésor vous parlez, l’ami, dit Ulric en souriant ; il est vrai que je cherche un trésor qui me donnerait gloire et richesse, si je suis assez heureux pour le conquérir ; mais celui-là, il ne faut pour le déterrer ni pioche, ni paroles magiques, car il est caché là, fit-il en se frappant le front avec orgueil.

Le pâtre jeta sur Ulric un regard où, sous une apparente stupidité, brillait une défiance profonde.

– Vous autres, seigneurs étudiants, aimez à vous moquer des pauvres paysans, car, si vous ne connaissiez pas l’existence de la Chèvre d’Or, comment vous trouveriez-vous assis tous les jours juste à l’endroit où elle disparut en laissant une de ses cornes entre les mains du docteur Faustus qui voulait la saisir ?

– Ah çà, dit Ulric impatienté, que me contez-vous là de cornes, de chèvre et du docteur Faustus ? Je vous dis encore, l’ami, que le trésor que je cherche n’est pas gardé par des dragons, comme celui des Niebelungen.

– Vous êtes bien heureux de savoir lire, d’être savant, dit le paysan qui semblait achever tout haut une pensée commencée tout bas. Si je savais lire, moi, je ne garderais pas des vaches crottées, mais j’aurais un château, des chiens et de grands bois pour y chasser le chevreuil et le cerf !

– Et tu acquerrais tout cela si tu savais lire, dit Ulric en souriant ; mais alors, pourquoi ne vas-tu pas chez le maître d’école et n’étudies-tu pas avec ardeur ?

– C’est qu’il n’est pas sûr que, quand je saurai lire un livre allemand, je puisse comprendre la langue dans laquelle est écrit le livre qui doit me rendre maître de la Chèvre d’Or.

– Quel livre ? dit Ulric sur lequel l’air mystérieux et convaincu du pâtre commençait à agir.

Le paysan jeta un regard rapide autour de lui pour s’assurer si personne ne pouvait l’entendre ; puis, se rapprochant du jeune homme, il lui dit en lui serrant le bras avec force :

– Vous avez l’air d’un honnête homme ; vous ne voudriez pas tromper un pauvre garçon qui se fierait à votre loyauté ; eh bien, écoutez-moi : – Il y a trois mois de cela, un inconnu vint aux ruines du château, accompagné de deux domestiques. L’inconnu se promena dans les ruines pendant fort longtemps en tenant à la main un livre qu’il quittait de temps en temps pour jeter un coup d’œil autour de lui. Ses domestiques, pendant ce temps, faisaient le guet pour voir si personne n’approchait.

« L’un d’eux monta sur le pan de mur que vous voyez et jeta un rapide coup d’œil sur le pays environnant ; puis, s’étant assuré que tout était désert, il revint trouver son compagnon, qui déjà s’était couché sur l’herbe et fumait sa pipe.

– Eh, bien ! qu’est-ce que tout cela a de commun avec la chèvre d’or ? dit Ulric impatienté.

– Voici, Monsieur : – Le lendemain et les jours suivants, l’étranger revint seul, s’assit à la place la plus déserte des ruines et ouvrit un livre dans lequel il se mit à lire en faisant de grands gestes. Par moments, il jetait là le livre et, alors, il parlait à la terre, au ciel, aux voûtes écroulées ; mais rien ne venait. Alors, il laissait tomber son front dans sa main et restait immobile et noyé dans ses pensées.

– Mais où étais-tu pendant ce temps, toi, pour voir tout cela ?

– Dans la tourelle là-bas, dont l’escalier est rompu et où nul autre que moi n’oserait se hasarder, dit le paysan avec un sourire d’orgueil. Or, il y a huit jours, l’étranger revint prendre sa place accoutumée à l’entrée des caveaux de la chapelle. Cet endroit est un des plus dangereux des ruines, car la voûte du chœur, dans la partie qui touche à la nef, montre une trouée de plus de cinquante pieds à travers laquelle on voit le ciel. Tout le reste de la voûte est couvert d’une véritable forêt de sapins dont les racines ont traversé les pierres qui, sans cela, s’ébouleraient. L’étranger s’assit donc sur un chapiteau de colonnes et commença sa lecture ordinaire dans son grand livre. Mais voici que tout à coup le ciel s’obscurcit ; une tempête horrible siffle dans les ruines et courbe les sapins qui croissent sur la voûte de la chapelle. La tourelle où j’étais réfugié semblait se mouvoir sous les coups redoublés du vent. Du lieu où j’étais, je voyais, à travers la brèche de la voûte du chœur, l’étranger se promener en parlant à haute voix à son livre, sans s’inquiéter de la trombe qui broyait les arbres sur sa tête. Un moment le vent sembla s’apaiser ; mais, soudain, il redoubla avec une telle furie qu’on eût dit que l’air était plein de démons rugissants. Les pierres tombaient dru comme la grêle, les sapins se brisaient avec des craquements terribles et l’ouragan emportait les branches à travers les ruines. Tout à coup, un bruit sourd domina celui de la tempête ; on eût dit l’explosion d’une mine. Je regardai, épouvanté : c’était la voûte de la chapelle qui venait de s’écrouler ! Au milieu d’un vaste amas de pierres qui remplissait le vide des murailles, on voyait poindre quelques sommets de sapins brisés et ensevelis sous une montagne de décombres, qui devaient aussi recouvrir le corps du malheureux étranger...

– Sans doute, dit Ulric, vous vous êtes empressé de porter secours à cet homme ?

– Je ne suis pas de ceux qui veulent jouter avec Satan, dit le paysan ; je compris que cet homme avait été victime de son ignorance dans la magie, qu’il avait mal fait son incantation et que le diable l’avait écrasé sous les débris de la voûte. Comme personne n’avait été témoin de cette scène, je pensai que je pourrais devenir riche et heureux si je pouvais me procurer le livre de l’étranger. Le caveau devant lequel l’inconnu s’était assis avait une autre entrée ; je m’y glissai, et à la porte qui donnait sur le chœur, je vis sous un monceau de pierres ensanglantées sortir une main qui tenait un livre. Je fis un signe de croix, et je l’arrachai aux doigts qui le retenaient. Puis, je couvris avec des pierres cette main noire qui me faisait peur et j’emportai le livre chez moi.

Il y avait dans la relation du paysan de quoi émouvoir et intéresser une nature moins portée au merveilleux que celle d’Ulric. Cette tempête, cet inconnu écrasé sous les ruines d’une chapelle, ce livre mystérieux, tout cela ébranla fortement l’imagination du jeune homme.

– Et que contient ce livre, dit-il au paysan, pour que vous ayez eu le courage d’aller le chercher au prix d’un sacrilège, en l’arrachant aux mains d’un cadavre ?

– Je ne suis pas assez sot, dit le pâtre d’un air dans lequel perçait cette défiance instinctive qui remplace les lumières de l’éducation chez les classes agricoles, je ne suis pas assez stupide pour aller le montrer au premier venu, qui y trouverait le moyen d’enlever le trésor caché dans les ruines et me dirait ensuite : « Mon cher Wilhelm, votre livre est un livre comme tous les autres, et il n’y a pas plus de trésor dans les ruines d’Heidelberg que dans l’armoire du maître d’école du village. » – Non, fit le pâtre en s’animant, je veux être riche, avoir de grands bois pour y chasser le chevreuil sans craindre les gardes. Je veux être riche, pour rendre à mon maître tous les mépris qu’il m’a prodigués et toutes les insultes qu’il m’a fallu subir depuis que je garde ces maudites bêtes qui broutent ici en paix toute la journée et engraissent à vue d’œil, tandis que la faim m’a collé la peau sur les os et que la haine m’a mis un enfer dans le cœur !

En parlant ainsi, le regard du pâtre brillait d’un feu sombre ; il brisait avec rage, au moyen de son bâton ferré, les églantiers et les mûriers sauvages qui croissaient au milieu des ruines. Après un silence de quelques minutes, il releva la tête en regardant Ulric et lui dit de cette voix humble et caressante de l’homme qui sent sa faiblesse et qui comprend qu’il ne peut rien sans le secours d’autrui :

– Tenez, mon jeune maître, je ne sais ce qui me pousse vers vous et pourquoi vous m’inspirez cette confiance qui m’a porté à vous révéler un secret d’où dépendent ma fortune et la vôtre si vous voulez me seconder ; mais votre figure triste et douce m’a frappé et, en vous voyant venir ici tous les jours rêver et parler tout haut, j’ai compris que, comme moi, vous aviez à vous plaindre de la fortune ; que, comme moi, vous cherchiez le trésor de la chèvre d’or, mais qu’il vous manquait le véritable livre au moyen duquel on peut seul la faire sortir du caveau secret dans lequel elle est renfermée. Or, jurez-moi sur votre baptême de partager le trésor loyalement avec moi, de ne pas chercher à abuser de mon ignorance, et je vais vous chercher le livre à l’instant.

– Mon ami, dit Ulric vivement intrigué par l’air de conviction du pâtre, vous êtes un pauvre esprit malade et votre cœur nourrit de mauvaises pensées. Ce livre qui, selon vous, doit vous mettre en possession d’un trésor n’est, à coup sûr, qu’un livre ordinaire ou bien un tissu de fables sacrilèges au moyen desquelles des hommes impies espèrent évoquer les esprits de l’abîme. Allez me chercher ce livre et je vous promets, s’il doit vous donner un trésor, de le partager avec vous en loyal Allemand.

– Bien sûr ? fit Wilhelm d’un air de doute.

– Je vous le jure ! fit Ulric d’une voix grave.

– Alors, suivez-moi, dit le pâtre. Je ne suis qu’un rustre, que le dernier des bouviers ; mais si vous me trompiez jamais, je saurais me venger, fussiez-vous un comte palatin de l’Empire !

 

 

IV

 

Wilhelm, ayant dit quelques mots à son chien, s’élança dans la direction de la chapelle écroulée. Les débris de la voûte de la nef principale obstruaient le portail et empêchaient l’entrée des bas-côtés qui étaient restés intacts. Ulric gravit, sur les traces de son compagnon, les ruines au milieu desquelles se montraient, çà et là, les cimes des sapins brisés. Arrivés au sommet de l’éboulement, ils redescendirent dans l’une des nefs latérales, à moitié comblée par les décombres, et le pâtre ouvrit une porte qui donnait sur un cloître pavé de pierres tumulaires cachées dans les hautes herbes. Au moyen de son bâton ferré, il souleva la dalle d’une tombe et, plongeant son bras dans l’intérieur, il en retira un livre dont l’apparence extérieure ainsi que la forme de la reliure ne semblaient pas remonter au-delà de quelques années.

– Donnez-moi ce livre, dit Ulric, je vais vous dire en un instant ce que pèsent vos espérances d’ambition et de fortune.

– Pas ici ! pas ici ! dit Wilhelm d’une voix mystérieuse et sourde. Pas ici, cela pourrait nous porter malheur ! Et puis il ne faut pas lire ce livre sans préparation, ni au hasard ; c’est cette ignorance des règles qu’il faut observer qui a poussé les démons à écraser l’inconnu sous les ruines de la chapelle.

Ulric subissait, sans s’en douter, l’influence de la foi profonde de son compagnon à la puissance du livre mystérieux... Puis ce cloître, ces ruines, ce manuscrit confié au sépulcre, après avoir été arraché des mains d’un cadavre, toutes ces circonstances agissaient, sinon sur son esprit, du moins, sur ses nerfs. Il suivit donc son guide, et tous deux arrivèrent bientôt devant le porche de la chapelle, autour de laquelle le troupeau de Wilhelm broutait en paix sous la garde du chien noir.

Le soleil allait se coucher et éclairait d’une lueur sanglante les hautes murailles de la chapelle sur le faîte desquelles des freux et des corneilles semblaient converser d’une voix rauque. Ulric s’assit sur une pierre, prit le livre des mains de Wilhelm qui, avant de lui confier le précieux trésor, lui rappela son serment, que le jeune homme, dévoré d’impatience et de curiosité, ratifia de nouveau avec des paroles solennelles.

Wilhelm s’assit vis-à-vis d’Ulric, de manière à pouvoir interroger du regard toutes les modifications de la figure du jeune homme et scruter sa pensée la plus secrète. Toujours défiant, il craignait, malgré le serment d’Ulric, que celui-ci ne cherchât à le tromper sur l’importance du livre mystérieux. Il était donc là, les yeux rivés sur la figure de son compagnon et maudissant son ignorance qui le forçait à admettre un étranger dans un partage pour lequel il avait commis une sorte de sacrilège.

Ulric ouvrit le livre avec une sorte de crainte et jeta un rapide coup d’œil sur le titre. C’était un manuscrit d’une belle écriture allemande qui semblait dater du XVIIe siècle ; la première page portait pour titre :

 

 

TRÉSOR DES NIEBELUNGEN

 

Recueil de traditions germaniques réunies

pour la première fois

sous la forme de trilogie dramatique, par...

 

Une large tache de sang, mêlée à la poussière de la chaux, maculait et rendait illisible le nom de l’auteur.

Ulric parcourut rapidement ce mystérieux manuscrit dans lequel il voyait réunis pour la première fois, sous une forme dramatique, les admirables fragments que l’Allemagne possède de ses vieux chants héroïques. Son regard parcourait ces pages dans lesquelles un style mâle et fier comme celui de Schiller, pur et limpide comme celui de Goethe, s’unissait à la contexture dramatique la plus savante. Quoique initié à toutes les beautés de la littérature allemande, Ulric ne put s’empêcher de pousser un cri d’admiration, en lisant cette œuvre dans laquelle se reflétait tout l’âpre et fier génie du Nord, embelli et rehaussé de tout le prestige de l’art le plus savant et le plus ingénieux.

Le cri d’Ulric n’avait pas échappé à Wilhelm. Il se rapprocha brusquement de son compagnon, en l’interrogeant du regard.

– Oh ! s’écria Ulric, électrisé par la beauté d’un poème dont personne en Allemagne ne soupçonnait l’existence, voila un livre dont chaque page est le fleuron d’une couronne immortelle ! un talisman magique dont les paroles enchaîneront la fortune et la gloire sur les pas de son heureux possesseur !

Wilhelm, l’œil en feu, la poitrine haletante, dévorait les paroles du jeune homme qui semblait avoir oublié la présence de son compagnon et feuilletait avec une sorte de fièvre le manuscrit posé sur ses genoux.

– Eh bien, dit Wilhelm, vous voyez que je ne vous avais pas trompé lorsque je vous disais que ce livre devait nous rendre assez riches pour acheter une principauté ou au moins un duché. Dire que chaque mot de ce volume va nous rendre seigneurs et maîtres de toutes les joies de la terre ! Hourra pour la chèvre d’or ! Si elle se montrait en ce moment à moi, je lui baiserais le sabot, bien qu’il soit fendu comme celui de Satan ! Arrière les vaches crottées et les porcs fangeux, et vivent l’or et la bonne chère !

Ces paroles, inspirées par une pensée sensuelle et grossière, firent tomber Ulric des hautes régions dans lesquelles planait son esprit. Son enthousiasme se glaça au contact de cette cupidité rapace qui ne songeait qu’à l’or et ne voyait rien au-delà des voluptés terrestres. Puis une pensée étrange venait de poindre dans les profondeurs de son âme ! Ce poème dont nul n’avait connaissance et dont l’auteur gisait enseveli sous une montagne de mines, qui l’empêchait d’y puiser quelques fragments, d’abord sous un nom supposé, pour éprouver la curiosité publique et acquérir la conviction que nul au monde, excepté lui, n’en soupçonnait l’existence ?... Et s’il en était ainsi, disait le serpent de l’orgueil qui dressait déjà sa crête dans un des plus sombres replis de son cœur, qui l’empêcherait d’attacher son nom à cette œuvre et de prendre place d’un seul bond à ces hauteurs sublimes où siègent Homère, Shakespeare, Dante et Schiller ?

Cette pensée avait traversé comme un éclair l’esprit d’Ulric et, tandis que son compagnon se livrait aux élans de sa joie brutale, il se reprochait déjà son enthousiasme de poète dans lequel Wilhelm ne pouvait manquer de voir autre chose que l’ivresse de la cupidité et la joie farouche de l’homme auquel le hasard vient de donner la clef qui ouvre les portes de tous les Édens terrestres.

Ce fut donc d’un air embarrassé et le regard mal assuré qu’Ulric répondit à son compagnon :

– Il m’en coûte de vous détromper, mon pauvre Wilhelm ; ce n’est pas ce que vous pensiez. Il n’est question dans ce livre ni de trésor, ni de chèvre enchantée, ni de richesses à acheter un duché ; c’est un recueil de vieilles chansons allemandes et...

– Votre voix me dit que vous mentez ! dit Wilhelm avec colère, et vous voulez garder pour vous seul le trésor ; mais, par le diable, il n’en sera pas ainsi ! De vieilles chansons ! Me prenez-vous donc pour une loutre pour me faire de pareils contes ? Donnez-moi ce livre et je trouverai, Dieu merci, de plus honnêtes gens que vous qui seront trop heureux de partager avec moi une fortune qui leur permettra d’avoir des vignes sur la montagne et des châteaux dans la vallée !

– Doucement, l’ami ! fit Ulric en repoussant tranquillement la main du pâtre. Ce livre est certes très précieux, mais pas dans le sens que vous lui prêtez, au moins. Il n’y est pas question de trésor, je vous l’assure.

– Vraiment ! dit Wilhelm avec ironie ; mais s’il en est ainsi, pourquoi, après y avoir à peine jeté les yeux, vous êtes-vous écrié comme un fou que chaque page était le fleuron d’une couronne et que le livre était un talisman magique qui devait donner la fortune et la gloire à son possesseur ? Vous avez donc déjà oublié vos paroles, maître ? Quant à moi, elles sont restées là ! fit le pâtre en se frappant le front. Du reste, je vous le répète, rendez-moi ce livre. D’autres que vous me diront ce qui me reste à faire.

Ulric jugea d’un coup d’œil sa situation : détruire l’impression que sa parole enthousiaste avait faite sur l’esprit du pâtre était chose impossible et dangereuse. La croyance de celui-ci à la mystérieuse puissance du manuscrit que tenait Ulric et à l’existence d’un trésor était comme ces pieux profondément plantés en terre et qu’on enfonce davantage en cherchant à les ébranler. D’autre part, rendre à Wilhelm ce poème sur lequel sa pensée venait d’échafauder en un moment tout un avenir de fortune et de gloire, c’était renoncer follement à une de ces rares faveurs que la fortune garde à ses mignons ; c’était faire connaître l’existence d’un trésor littéraire que nul ne soupçonnait, et qu’il pouvait s’approprier sans danger. Et cependant il fallait à tout prix le garder et le soustraire à tous les regards ! Mais Wilhelm était là, rapace et menaçant comme un loup guettant une proie et, le bras tendu vers Ulric, il attendait que celui-ci lui remît le talisman qui devait éveiller la chèvre magique de son sommeil séculaire et lui faire livrer l’or confié à sa garde.

Une noire et sinistre pensée traversa l’esprit du jeune homme : si le pâtre, malgré ses paroles, ses prières, allait persister dans sa détermination ; si son aveugle cupidité allait livrer à l’examen d’un tiers ces chants héroïques qu’une voix secrète lui disait n’être connus que de lui seul ? Alors, adieu ses rêves de gloire et d’ambition et toutes les magiques féeries évoquées par son orgueil en délire !

Ce fut donc avec un dépit mal déguisé sous les apparences d’une fausse bonhomie qu’Ulric répondit au pâtre qui, l’œil plein de défiance, attendait sa réponse en serrant de la main droite son bâton ferré :

– Vous vous êtes trompé sur le sens de mes paroles, mon cher Wilhelm, vous avez mal interprété mon enthousiasme ; certes, entre mes mains, ce livre pourrait avoir quelque valeur, mais, entre les vôtres, il ne serait guère plus précieux que ces feuilles mortes que nous foulons aux pieds.

– Et pourquoi cela ? dit le pâtre. Parce que vous savez y lire ? Eh bien, alors, dites les paroles ! Le soleil n’est pas encore couché et l’on y voit assez pour distinguer un tonneau d’or d’un tas de moellons.

– Vous ne voyez donc rien de plus précieux au monde que l’or, dit Ulric avec une dédaigneuse ironie qui ne pouvait guère percer l’enveloppe grossière du bouvier.

– Tiens... dit Wilhelm avec un rire bruyant, que voulez-vous donc qu’il y ait de plus précieux ? Avec de l’or, j’aurai des terres, des châteaux, de beaux habits, et mes camarades d’aujourd’hui ôteront leur chapeau quand je passerai devant eux, précédé d’un chasseur emplumé comme celui du comte de Rheinstein. Trouvez-moi donc beaucoup de choses qui aient cette puissance de faire d’un bouvier crotté comme moi un grand seigneur auquel les belles dames ne dédaigneront pas de sourire !

– Mais en admettant pour un moment, dit Ulric qui voulut interroger une des cordes les plus sensibles de l’esprit du paysan allemand, en admettant que ce livre ait la vertu que vous lui supposez, qui vous dit que ce trésor ne vous coûtera pas votre repos dans ce monde et votre salut dans l’autre ?

Le pâtre demeura un moment rêveur et parut s’interroger.

– Songez, dit gravement Ulric, que les trésors confiés à la terre sont gardés par des génies malfaisants et que le démon n’en est pas moins le démon, pour vous apparaître sous les formes d’une chèvre, fût-elle d’or.

– Dites les paroles hardiment ! fit Wilhelm, en relevant la tête avec assurance ; je ne crains rien ! J’ai là une croix bénite qui a touché les os des trois Rois de Cologne. Et puis, je suis baptisé, et le diable ne peut rien sur ceux qui ont foi en leur baptême, à ce que dit notre curé. Et, après tout, quand je serai riche, je ferai bâtir une chapelle à saint Hermann et dire des messes pour le remède de mon âme. Dites les paroles, maître ! et dépêchez-vous, car voilà le soleil qui s’enfonce là-bas derrière la colline, et les chauves-souris des ruines commencent à voler autour de nous.

L’obstination stupide du pâtre revenant toujours à son thème favori irrita Ulric. Il souffrait dans son orgueil et dans sa vanité de voir la pierre angulaire de son avenir livrée à la merci d’un être cupide et dont l’aveugle superstition ne voyait dans ce manuscrit qu’un talisman renfermant des paroles magiques au moyen desquelles la terre devait s’ouvrir et rendre les trésors confiés aux gnomes infernaux. Puis il sentait vaguement que Wilhelm était un témoin dangereux de l’œuvre de mensonge qu’il allait entreprendre ; et un témoin dans une circonstance pareille était un ennemi dont un seul mot pouvait renverser tout l’édifice de sa future renommée.

– Vous êtes un fou à qui l’ambition et l’avarice ont tourné la tête, dit Ulric avec aigreur ; ce livre n’est pas un livre de magie, et je vous le lirais d’ici à demain qu’il ne vous tomberait pas un kreutzer ni un pfennig du ciel.

– Alors, puisqu’il en est ainsi, dit le pâtre, rendez-le-moi. Je sais ce que je sais, moi ! Et je suis bien bon de vous admettre au partage d’une chose à laquelle vous n’avez aucun droit. Donc, rendez-moi le livre et allez-vous-en !

– Tenez, dit Ulric, vous êtes un pauvre cerveau malade auquel on ne peut faire entendre raison. Mais comme il est juste que vous tiriez quelque prix de votre trouvaille, voici un frédéric d’or pour votre bouquin qui ne vaut pas, certes, un thaler !

– Vraiment ! fit le pâtre en ricanant, vous payerez un frédéric d’or ce qui ne vaut pas un thaler, et cela à un homme que vous ne connaissez pas... Et vous me croyez assez stupide pour ne pas voir toute la grossièreté de votre fourberie ! Par le diable ! je croyais les docteurs de l’université moins maladroits ! Or, je vous le demande pour la dernière fois, rendez-moi ce livre ! Il y a déjà du sang sur un des feuillets, prenez garde qu’il n’y ait aussi du vôtre !

Et joignant le geste à la parole, Wilhelm s’avança en brandissant son bâton ferré, arme terrible dont une seule atteinte pouvait être mortelle. En voyant le bouvier marcher vers lui dans cette attitude insultante, le sang patricien d’Ulric s’alluma. Sa narine frémit et son œil flamboya. Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui, comme pour étudier le champ de bataille. Derrière lui étaient les ruines de la chapelle ; Wilhelm, au contraire, tournait le dos aux remparts démantelés du château, qui, bâti sur le roc vif, s’élevait à plus de cent cinquante pieds au-dessus de la vallée. Aucun vestige de muraille ne restait en cet endroit, l’un des plus dangereux des ruines, tandis que derrière Ulric, les restes du rempart s’élevaient à trois ou quatre pieds du sol. Le jeune homme recula de quelques pas, en serrant d’une main le manuscrit comme un bouclier, tandis que sa main droite cherchait dans sa poche un de ces forts poignards de Solingen, vade-mecum des étudiants allemands, arme innocente, il est vrai, et qui ne s’est ensanglantée qu’une fois dans la poitrine de Kotzebue. Le pâtre rugit de fureur en voyant la lame meurtrière dans la main du jeune homme.

– Ah ! tu veux m’assassiner pour mieux me voler ensuite ; mais, par le diable, tu n’en es pas où tu penses avec moi, et ton morceau de fer ne me fait pas peur !

En achevant ces paroles, Wilhelm détacha un terrible coup de gourdin au jeune homme, qui l’évita en sautant de côté. Le bâton, en tombant à faux, se brisa sur les pierres écroulées. Ivre de rage, le rustre se précipita sur Ulric pour l’assommer avec le tronçon qu’il tenait à la main ; mais dans ce moment son pied chancela sur les débris ; il saisit Ulric par la gorge pour se retenir et l’entraîna avec lui dans sa chute. Ce fut pendant un moment une lutte désespérée, sourde et sans pitié, le pâtre s’efforçant d’étrangler le jeune homme dans ses mains calleuses, celui-ci cherchant à se dégager de l’étreinte mortelle de son ennemi. Enfin, sentant l’impuissance de ses efforts et râlant sous l’étau animé qui lui serrait la gorge, Ulric, poussé par un sentiment instinctif de conservation, enfonça son poignard jusqu’à la garde dans le cœur de son ennemi. Celui-ci poussa un profond gémissement, ses mains s’ouvrirent et il roula sur le gazon à côté d’Ulric à moitié évanoui.

Pendant le temps qu’avait duré la lutte, le soleil s’était couché et les ombres du soir étaient descendues sur les ruines. L’air frais de la nuit ranima le jeune homme et lui rendit, avec le sentiment de son existence, le souvenir de l’affreuse lutte dont il venait de sortir vainqueur. Il se releva, comme s’il eût été mu par un ressort, et vit avec horreur le corps inanimé de Wilhelm gisant sur le gazon. La lune, un moment voilée par des nuages pluvieux, dégagea en cet instant sa corne brillante, et Ulric vit avec effroi que ses mains étaient rouges de sang. À ses pieds était le livre fatal sur lequel s’étaient déjà roulés deux cadavres, et dont les pages venaient, sans doute, d’être souillées de sang pour la seconde fois !

La tête d’Ulric bouillonnait sous un torrent de pensées fiévreuses. Il cherchait à douter de la réalité de son existence et de l’action sanglante dont il venait de se souiller. Il se baissa pour regarder le pâle visage du pâtre, mais il n’y vit qu’un spectacle plus horrible encore que la mort, c’est-à-dire la haine dans la mort, la haine farouche et pétrifiée survivant à tout sentiment et paraissant n’attendre que la trompette de l’ange pour se réveiller implacable et altérée de vengeance.

Ulric ramassa rapidement le manuscrit fatal et s’enfuit des ruines avec son funeste trophée. Il descendit en courant toute la route escarpée qui conduit à la vallée, n’osant regarder derrière lui, de peur de voir sur ses traces une menaçante et livide figure. Arrivé dans la vallée, il se lava les mains dans un ruisseau, rajusta le désordre de sa toilette et prit le chemin de la ville.

Dix heures sonnaient à tous les clochers lorsqu’il atteignit le seuil de sa demeure. Il franchit, d’un pas muet et rapide, les marches qui conduisaient à sa chambre, et, ouvrant précipitamment la porte, il se jeta sur son lit, brisé, anéanti, mais ayant toujours devant les yeux l’implacable figure de Wilhelm couché dans les ronces, la face tournée vers le ciel, comme pour le prendre à témoin contre son meurtrier.

 

 

V

 

C’est une chose singulière et inexpliquée que ce voile brillant ou sombre que les divers états de l’âme jettent sur les objets qui nous entourent. La petite chambre d’Ulric, la veille encore gaie et riante, semblait avoir revêtu le deuil de son âme. Le remords s’était assis à son foyer comme un hôte implacable et muet. Tous ces mille riens qui forment autant de liens de la vie intime et qui semblent prendre une voix amie dans le silence de la méditation ou de l’étude : ses armes, ses meubles, ses pipes, ses livres semblaient maintenant le contempler avec terreur. Le silence lui-même avait une voix ; l’ombre se peuplait de formes menaçantes. Ulric sentit le besoin de s’arracher au supplice de sa pensée ; Franck et Max n’étaient pas encore couchés, et l’on entendait la voix sonore et joyeuse de ce dernier chanter ce couplet d’une vieille chanson allemande :

 

         « Quand tu verras mon amoureuse,

                dis-lui bien que je la salue.

         « Si elle demande comment je vais,

                dis-lui sur mes deux jambes.

         « Si elle demande si je suis en santé,

                dis-lui que je suis mort.

         « Si la belle se met à pleurer,

                dis-lui que j’irai la voir demain. »

 

Ulric chercha à se donner une contenance en harmonie avec la disposition d’esprit qui semblait animer ses amis et entra.

– Voici notre poète, dit Max en tendant à Ulric une main bienveillante. Savez-vous bien, messieurs, que si nous avions un peu de cœur, l’existence laborieuse et calme de notre ami devrait nous être un remords vivant ! Tandis que nous fumons comme des pandours, que nous buvons comme des éponges, et que notre principale occupation est d’errer par les mes comme des ramasseurs de barbets, notre ami Ulric lit, médite, travaille, interroge les chroniques poudreuses de la vieille Allemagne et élève dans sa pensée une de ces œuvres qui permettent à un homme de dire : « Maintenant, Dieu peut me rappeler à lui, car j’ai assez vécu ! » Nous autres, au contraire, que faisons-nous ? Nous prodiguons follement notre intelligence et notre jeunesse à des billevesées, à des femmes, à des duels, à des pipes. Nous savons où trouver la meilleure bière de Bavière, quel est le marchand qui vend les meilleurs cigares, quel est le tailleur qui possède la coupe la plus élégante ; bref, nous vivons comme des chenapans sans intelligence de l’avenir et qui s’imaginent que Dieu les a mis au monde pour boire, fumer, faire l’amour et casser les verres ! Tiens, Ulric, fit Max en jetant avec humeur sa pipe sur la table, si je ne t’aimais pas comme je t’aime, je te détesterais comme un contraste vivant qui me rend plus poignant le sentiment de mes infirmités intellectuelles et morales ! Messieurs, je propose un toast à notre ami, à ses futurs triomphes !

Et la large coupe de Bohême fit le tour du cercle, tandis qu’Ulric, serrant la loyale main de Max, se demandait tout bas s’il révélerait à ce noble cœur son aventure de la soirée ou s’il garderait, avec le secret de cette action sanglante, celui du mystérieux manuscrit qu’il avait conquis au prix d’un meurtre, et que maintenant il n’osait entrouvrir, comme s’il eût dû lire dans ses pages sanglantes l’arrêt que murmurait déjà sourdement sa conscience.

– Eh bien, rêveur ! dit Max à Ulric tandis que celui-ci contemplait avec un sentiment d’envie et de regret le calme profond et la douce sécurité qui animaient la figure de ses amis, avances-tu dans ton œuvre et pourrons-nous bientôt découronner ce vieux païen de Goethe pour ceindre ton front vainqueur ?

– Les temps sont propices aux poètes, dit Franck d’une voix grave ; de nos jours, le Tasse eût fait faire antichambre à Éléonore d’Este. Les peuples ont enfin compris la royauté de l’intelligence et ils saluent dans leurs poètes les véritables oints du Seigneur, tandis que nous savons ce qu’ils pensent des royautés sacrées sur la borne des carrefours !

– Laissez faire notre Ulric, dit Max ; il se révélera un de ces jours par un coup de tonnerre qui précipitera le Jupiter olympien de Weimar de son trône de mythes et de symboles.

Ces paroles sortant de bouches amies allèrent réveiller la vipère de l’orgueil, un moment endormie dans l’âme d’Ulric. Cette gloire qu’il avait rêvée dépendait de lui seul maintenant. Cette couronne de poète qu’il avait ambitionnée, elle était là toute tressée, et lui seul pouvait voir la tache homicide qui en ternissait l’éclat. Il passa la main sur son front comme pour en chasser une idée importune et, s’adressant à ses amis, leur demanda ce qu’ils pensaient d’une vaste trilogie dramatique dont le sujet serait emprunté aux Niebelungen.

– Je pense, dit Franck, que l’idée à elle seule est une de ces inspirations que la muse n’accorde qu’à ses élus. Et si tu sais conserver dans ton œuvre la grandeur sauvage, la rude et fière poésie de ces chants, tout en leur imprimant un beau développement dramatique, je m’inclinerai devant ton génie et l’Allemagne saluera en toi l’Homère de l’épopée germanique.

– Eh bien, frères ! dit Ulric, si vous voulez réunir dans quelques jours nos amis communs, j’aurai le plaisir de vous lire quelques fragments d’un travail...

– Qui a dû te donner plus d’une migraine, mon pauvre ami, dit Max, avec effusion. Vois-tu, je ne connais les douleurs de la gestation poétique que par ouï-dire, car Dieu me pardonne si j’ai jamais fait violence à ces bégueules de Muses autrement que pour leur arracher quelques méchantes chansons dans lesquelles je faisais rimer le vin avec le Rhin.

– Et pourquoi ne nous lirais-tu pas quelque chose ce soir ? dit Franck... La chambre est bien close, le vent hurle au-dehors ; nous voici tous dans les dispositions les plus bienveillantes, prêts à t’ouïr, à te conseiller, à t’applaudir selon l’occurrence.

– Bien parlé ! s’écria Max ; et pour ne pas te déranger, dis-moi où tu as placé ton manuscrit. En trois bonds, je suis à ta chambre ; en un saut, je suis de retour.

À cette proposition, Ulric sentit tout son sang refluer vers son cœur. Il s’élança pâle et tremblant au-devant de son ami, en balbutiant d’une voix étranglée par la terreur :

– Non ! Pas ce soir, pas ce soir, frère ! J’ai besoin de revoir encore ce que j’aurais voulu lire, et puis, je suis fatigué, malade même et je sens le besoin de me reposer.

– En effet, dit Franck, ta figure est pâle et altérée ; tes yeux brillent comme si tu avais la fièvre. Tu auras trop longtemps porté le harnais poétique aujourd’hui, mon pauvre trouvère ; va te coucher, et demain tu nous liras ton œuvre.

Ulric respira profondément en voyant ses amis renoncer à leur projet plus facilement qu’il ne l’avait espéré d’abord. Une circonstance imprudente pouvait révéler son secret et compromettre à la fois sa sûreté et son avenir. Il se retira donc, non sans penser avec terreur qu’il allait se retrouver face à face avec ce sanglant témoin dont il avait fui la présence et vers lequel l’attirait une fatalité étrange.

Arrivé dans sa chambre, Ulric s’assura qu’aucun regard indiscret ne pût arriver jusqu’à lui ; puis, s’étant jeté sur son lit, il se mit à réfléchir à sa position.

La soif de la renommée l’avait poussé à un acte coupable que sa raison s’efforçait de justifier en n’y voyant que la conséquence de l’instinct de conservation. Et maintenant la vanité venait de lui rendre tout retour vers la vérité impossible. En confiant à ses amis l’existence d’une œuvre sur laquelle il fondait son avenir, il s’était rivé à son mensonge par une chaîne indestructible. Reculer était chose hasardeuse, et le serpent murmurait à son oreille que le bruit de sa gloire étoufferait bientôt l’importune et fâcheuse voix qui troublait ses pensées. Et puis, nul témoin ne pouvait l’accuser, à moins que le poignard ne prît une voix ou que les corbeaux des ruines ne vinssent témoigner contre lui. Il s’arma d’une résolution énergique et décida qu’il ferait paraître le lendemain un premier fragment de la trilogie dramatique des Niebelungen, sous un nom supposé, afin d’éprouver le public et de savoir si un autre que lui avait quelque connaissance de l’existence du mystérieux manuscrit.

Cette détermination prise, il se sentit plus fort, son sang circula plus librement ; il alla prendre tranquillement le livre et se mit à l’examiner avec la froide curiosité d’un bibliophile.

L’ouvrage entier était écrit d’une main ferme et nette. Le titre du livre indiquait que nulle autre copie n’en existait. Le nom de l’auteur disparaissait, comme nous l’avons dit, sous une large plaque rougeâtre.

Ulric se mit à l’œuvre et passa une partie de la nuit à copier des extraits du manuscrit, non sans s’arrêter de temps en temps, comme ébloui par les sublimes beautés de ce poème auprès duquel pâlissaient Byron et Schiller. Parfois, il s’arrêtait pour lire tout haut ce qu’il venait d’écrire ; mais alors sa voix lui causait une étrange et indéfinissable impression de terreur... et des murmures moqueurs semblaient circuler autour de lui. Il travailla jusqu’à ce que l’aube vînt blanchir le ciel ; puis, brisé par les émotions de la journée et les travaux de la nuit, il se jeta tout habillé sur son lit, où il s’endormit bientôt d’un lourd et profond sommeil.

Le premier fragment qui fut publié en Allemagne de la trilogie dramatique des Niebelungen produisit une sensation profonde. Chacun se demandait avec anxiété quel était le poète original et hardi qui se cachait sous un pseudonyme, alors qu’il lui eût suffi de se nommer pour être salué par les acclamations de la foule. Hormis Franck et Max, les deux amis d’Ulric, nul ne savait à qui attribuer cette œuvre étrange d’où s’exhalait comme un sauvage parfum de l’héroïque barbarie de la Germanie primitive, et dont le style, souple et vigoureux, mais toujours coloré, revêtait toutes les formes. Franck, à qui l’œuvre de son ami avait inspiré une admiration et un respect profonds, suppliait chaque jour Ulric de le dégager de son serment et de le laisser être un des hérauts de sa jeune renommée. Mais Ulric avait ses raisons pour continuer à garder un anonyme sous lequel il voulait acquérir la conviction que nul autre que lui ne connaissait le mystérieux poème ; et ce que ses amis blâmaient comme la conséquence d’une modestie outrée, n’était chez lui que le froid calcul d’une vanité tremblante de se voir démasquer un jour.

Enfin, lorsque Ulric jugea que rien ne pouvait plus s’opposer à la réalisation complète de ses desseins, lorsqu’il vit toutes les intelligences en émoi et en quête du poète mystérieux qui se montrait dédaigneux de tant d’hommages et s’enveloppait d’ombre là où d’autres eussent demandé les mille flambeaux de la publicité, il confia à Franck et à Max son projet de réunir dans une soirée les sommités littéraires et aristocratiques d’Heidelberg et des villes environnantes, afin de soumettre à une sorte d’épreuve publique le poème entier dont de simples fragments avaient si vivement piqué la curiosité de tous et dont chacun désirait voir et connaître l’auteur.

Franck et Max, auxquels Ulric avait remis le soin de tout ce qui concernait cette solennité mémorable dans laquelle il voulait révéler à l’Allemagne ce poète inconnu dont le nom était dans toutes les bouches – Franck et Max, disons-nous, furent bientôt accablés de demandes, de supplications de toute espèce. De jeunes femmes, des hommes recommandables par le caractère comme par le talent sollicitaient comme une faveur insigne de pouvoir saluer les premiers l’astre nouveau qui s’élevait sur ce splendide horizon de l’art allemand où déjà pâlissait l’étoile de Goethe.

Au milieu de tout ce mouvement dont il était l’objet, Ulric attendait avec d’horribles battements de cœur le moment fatal où il allait déchirer le voile qui l’avait protégé jusqu’alors. Tantôt, sa rêverie le conduisait par les sentiers fleuris d’un avenir brillant, embelli par les acclamations et l’admiration de tout un peuple : il se voyait, lui, pauvre étudiant, perdu dans la foule, recevant les hommages des rois et portant haut cette simple couronne de laurier dont les nations se montrent si avares ; puis, après ces radieuses espérances, tout s’enténébrait dans son âme... Il se demandait si quelque ennemi n’avait pas le secret de son crime et de sa fraude, et s’il n’attendait pas le dernier moment pour le démasquer ? Alors des frissons mortels l’étreignaient comme de froids reptiles, et il désirait mourir en maudissant le jour où il avait ouvert son âme à ses premiers rêves d’ambition !

Grâce aux soins de Franck et de Max, une réunion d’élite devait assister à cette soirée qui préoccupait toute l’Allemagne. Autour de lui, Ulric n’entendait parler que du mystérieux auteur de la trilogie des Niebelungen, et nul ne soupçonnait que cette jeune tête blonde, affaissée sous la main invisible du remords, était celle pour laquelle se tressaient tant de couronnes. Parfois, comme épouvanté du triomphe qui l’attendait, il songeait à fuir et à aller cacher au fond de la Franconie les tortures de son cœur ; mais alors une influence secrète semblait le retenir et une voix, douce comme celle des fées qui appellent le soir le voyageur à leurs danses homicides, murmurait à son oreille des paroles d’espérance, des mots magiques, et le front du jeune homme se relevait, audacieux et fier, comme s’il se préparait à lutter avec le malheur.

Enfin, le jour tant redouté par Ulric, tant désiré par la foule arriva. Le baron de Reichmann, un des plus chauds admirateurs de l’auteur anonyme des Niebelungen, avait consenti à offrir ses salons pour la réunion. Franck devait introduire le poète inconnu, pour lequel une chambre particulière avait été préparée dans l’hôtel. Un jeune artiste connu par quelques symphonies originales, avait choisi cette soirée pour révéler au public une œuvre nouvelle. Ulric, enveloppé d’un manteau qui lui couvrait la figure, avait été introduit par Franck dans une salle dont ce dernier ferma la porte à clef, en attendant le moment où il devait venir prendre son ami pour le présenter aux acclamations d’une foule impatiente et aux regards de tant de jeunes femmes dont pas une n’eût été heureuse d’abriter son amour sous cette radieuse et naissante renommée.

La chambre dans laquelle Franck venait de renfermer son ami était une vaste pièce tendue de lampas pourpré et ornée de glaces dont quelques-unes se répondaient. En entrant dans ce salon, Ulric avait jeté son manteau sur une table et s’était accoudé sur la cheminée, laissant son esprit chevaucher au hasard à travers toutes ces folles fantaisies qui passent par un cerveau fouetté par la fièvre. Une seule lampe placée sur la cheminée éclairait faiblement la salle et laissait de grandes masses d’ombres dans les angles. Devant lui, à travers les rideaux épais, il voyait passer confusément, dans les salons qui lui faisaient face, les silhouettes affaiblies des conviés qui semblaient s’agiter avec impatience. Un bruit éloigné d’instruments venait frapper son oreille, mais avec ce caractère mystérieux qu’ont les chants que nous entendons dans nos rêves ; puis sa pensée, embrassant à la fois le passé, le présent et l’avenir, lui représentait dans une suite de tableaux fugitifs, et mobiles, toutes les phases de sa vie. Il se voyait jeune homme rêvant sous les chênes des forêts paternelles, – puis poète au front couronné du camail de pourpre, figurant dans le Walhalla germanique. Parfois, mais comme une vision rapide, il apercevait les ruines du château de Heidelberg, la chapelle écroulée, la main noire et meurtrie retenant le manuscrit mystérieux... puis le pâtre couché tout sanglant sous les rayons de la lune qui éclairaient ce cadavre menaçant dont les lèvres pâles semblaient avoir conservé le nom du meurtrier. Un malaise indéfinissable pesait à la fois sur son âme et sur son corps, et il relevait la tête pour aller ouvrir une fenêtre donnant sur la cour, lorsqu’il aperçut, debout, à l’autre angle de la cheminée, la tête appuyée sur sa main, un inconnu dont les regards étaient fixés sur lui avec un sourire étrange.

La salle dans laquelle était renfermé Ulric n’avait qu’une porte, celle que Franck avait soigneusement fermée et dont il avait emporté la clef. Personne ne pouvait donc s’être introduit dans cette chambre et cependant, là, séparé de lui par la seule longueur de la cheminée, était debout un homme silencieux dont le pas n’avait point troublé sa rêverie et dont le regard fixe, implacable et profond glaça Ulric jusqu’aux sources de la vie.

L’inconnu était vêtu d’un pourpoint de velours noir ; une toque semblable à celle des étudiants allemands était gracieusement inclinée sur son oreille. Une intelligence supérieure rayonnait dans toute sa figure, douée d’une beauté pour laquelle les hommes n’ont pas d’expressions ; parfois, son sombre regard semblait se désarmer et se noyer dans une rêverie sans bornes, – mais, un moment après, l’étincelle ardente qui acérait sa prunelle reparaissait et, avec elle, tous les épouvantements dont cet homme semblait être le roi !

– Vous ne m’attendiez pas ? dit l’inconnu à Ulric glacé de terreur.

Un murmure inarticulé fut tout ce que purent proférer les lèvres du jeune homme. – L’inconnu reprit d’une voix grave, mais ironique :

– Savez-vous que votre audace est au moins égale à votre ambitieuse folie ! Quoi !... vous voulez en un jour conquérir la gloire et la fortune, et cela sans autre peine que d’armer votre front d’impudence et de donner la rougeur de votre honte pour celle de la modestie, et le trouble de votre conscience pour l’embarras d’un débutant rompant sa première lance ? Vous marchez vers la renommée en foulant aux pieds un cadavre ; vous cueillez votre première palme à l’aide d’un poignard ; vous accumulez en un jour le meurtre, le vol et la fraude, et vous dites que vous ne m’attendiez pas !

Et l’inconnu se prit à sourire tandis qu’Ulric, épouvanté, ne savait s’il était ou non sous l’obsession d’un rêve.

– Voyons, dit l’inconnu, le temps presse. Ils sont là, fit-il en montrant du doigt les salons resplendissants où s’agitait la foule. Ils sont là trois cents, impatients de te voir... De jeunes femmes parées de fleurs, belles à faire oublier Dieu, attendent, le sein palpitant, le moment où tu daigneras sortir de ton nuage. Or, quel nom jeter à cette foule ?... le tien ou le mien ?

– Le vôtre, fit Ulric avec un étonnement mêlé d’effroi ; mais d’abord qui êtes-vous ?

– L’un des auteurs de ce poème, dit négligemment l’inconnu, en montrant du doigt le livre posé sur la table... auteur modeste, rassasié de gloire et du banal encens des hommes, et qui te cédera volontiers sa part de renommée, de peur que son nom n’éclipse le tien s’il paraissait sur une affiche.

– Et qui me dit que tu n’es pas un imposteur ? dit Ulric qui avait recouvré son audace devant cette amère raillerie.

– Ceci ! dit l’inconnu... Et, tirant son gant, il montra à Ulric une main noire et sanglante. C’est à cette main, que tu croyais pour toujours ensevelie sous les ruines de la chapelle, que Wilhelm, ce rustre cupide que tu as si bien puni, a arraché ce manuscrit qu’il regardait comme un talisman souverain. Veux-tu d’autres preuves ? fit-il d’une voix moqueuse.

– Assez ! assez ! s’écria Ulric en portant ses mains à ses yeux ; je te connais maintenant... tu es...

– Un grand seigneur qui pour le moment désire garder l’incognito ; du reste, aimant les arts et la poésie, m’occupant un peu d’architecture, de chimie, mais sans préoccupations personnelles, et laissant toute la gloire et le profit de mes œuvres à quelques hommes d’élite que j’ai choisis dans la foule, et dont je daigne être le collaborateur anonyme pour ne pas blesser leur modestie.

– Et que demandes-tu à ceux que tu combles de tes dons ? fit Ulric en pâlissant. Sans doute quelque condition sacrilège, – quelque monstrueuse profanation, comme celle que tu as imposée à tes victimes qui dorment sous les dalles de la cathédrale de Cologne ! Arrière, maudit ! À ce prix, je ne veux pas de la gloire menteuse que tu donnes et des fruits empoisonnés dont tu combles tes adorateurs !

L’œil de l’inconnu flamboya d’une manière si terrible que l’ombre profonde de la salle parut un moment dissipée. Cependant, il reprit bientôt sa froide et implacable ironie.

– Voilà bien la race ingrate et lâche d’Adam, couvant des yeux l’arbre de vie, mais n’osant y porter la main ! La gloire et la fortune, ces deux fruits dorés du temps, tu voulais les cueillir en un jour, mais sans danger, et tu joues l’indignation devant moi ! Regarde dans ton âme ! chacune de tes pensées est un crime ; regarde tes mains ! elles sont teintes du sang d’un autre ambitieux, cupide, poltron, mais moins coupable que toi ! Et tu ne veux pas être à moi, dis-tu ! Mais tu as fléchi le genou devant mon pouvoir le jour où la fraude et le meurtre sont entrés dans ton cœur ! Courbe donc ce front sous lequel ont si bien fleuri les semences que j’y avais déposées... tu le relèveras haut et radieux devant cette foule qui t’attend. Mais songes-y ! ta réponse va faire de toi, Ulric, le poète souverain et respecté devant lequel battront plus vite les cœurs des femmes, ou bien Ulric le meurtrier, le faussaire et le voleur, qui conquiert ses titres au génie à la pointe d’un couteau !

Pendant ces paroles, l’épouvante du jeune homme s’était accrue jusqu’à l’horreur. Les derniers mots de l’inconnu semblaient avoir donné un corps à son crime et chacune de ses pensées lui apparaissait comme autant d’esprits de ténèbres l’entraînant vers un gouffre. – Des pas se faisaient entendre vers le corridor : c’était sans doute Franck venant chercher son ami !

– Courbe-toi, adore-moi et va jouir de ta renommée et des voluptés qui t’attendent ! dit l’étranger d’une voix stridente et brève.

– Jamais ! s’écria Ulric en s’élançant à l’autre bout de la salle, où il venait d’apercevoir un Christ d’ivoire qui semblait l’inviter à s’abriter sous son ombre protectrice. Arrière, roi de l’abîme ! il est écrit : « Tu n’adoreras que le Seigneur ton Dieu ! »

Et joignant le geste à la parole, il se précipita à genoux devant le symbole sacré. – Les pas dans le corridor se rapprochaient de plus en plus. On entendait la voix joyeuse de Max qui semblait déjà jouir du triomphe de son ami.

L’Inconnu poussa un rugissement terrible en voyant sa victime prosternée devant le Christ, vainqueur de la mort et de l’enfer. Ses traits si beaux, où se montraient encore quelques traces d’une splendeur divine éclipsée, se contractèrent d’une manière si horrible que le jeune homme jeta un cri d’effroi et tomba évanoui au pied de la croix au moment où Franck ouvrait la porte avec fracas.

Le cri d’angoisse poussé par Ulric avait un tel caractère de terreur que Franck entra dans la salle en frémissant et en redoutant quelque malheur. Ce cri l’avait glacé jusque dans la moelle des os. Cependant, posant son flambeau sur la cheminée, il s’élança vers son ami, qu’il trouva évanoui, les traits empreints d’un mortel effroi. De larges gouttes de sueur glacée baignaient ses cheveux et ses tempes.

– Ulric ! Ulric ! s’écria Franck en appuyant sur son sein la tête de son ami, c’est moi, c’est Franck, ton frère !

Ulric ouvrit des yeux égarés et fixes ; sa main semblait, par un mouvement instinctif, repousser loin de lui quelque chose d’odieux. Enfin, les soins de Max et de Franck le rappelèrent à la raison et à la vie.

– Oh ! ne m’abandonnez pas ! ne vous éloignez pas, je vous en conjure ! s’écria le malheureux jeune homme en s’attachant à ses amis. Puis, se jetant à genoux devant cette croix souveraine qui avait brisé la puissance de l’Inconnu, il fit tout haut devant ses amis épouvantés la confession de son crime et de sa coupable fraude.

– Dieu t’a pardonné, puisqu’il t’a protégé ! dit Franck. Sois donc calme et fort... le repentir est une armure céleste contre laquelle Satan ne peut rien. Mais hâtons-nous de quitter cette maison où le bruit de tes cris a donné l’alarme ; toi, Max, va excuser notre ami auprès de l’assemblée, en disant qu’une terrible indisposition l’a frappé subitement et ne lui permet pas de réaliser aujourd’hui ses espérances.

– Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais ! s’écria Ulric avec feu, et pour te le prouver, je vais livrer aux flammes ce livre maudit où le démon avait pris la voix divine du génie pour me séduire !

Franck arrêta la main d’Ulric qui déjà s’étendait vers la table pour saisir le livre mystérieux et alla le prendre lui-même, poussé par un mouvement instinctif de curiosité. Il l’ouvrit... les pages étaient blanches partout ; seulement une large tache de sang maculait le premier feuillet.

– Ulric ! dit Franck épouvanté, Dieu t’a réservé pour de grandes choses, puisqu’il a permis que tu fusses soumis à une pareille épreuve ! Souviens-toi du spectre de la tombe sans nom ! Celui-là voulut aussi la gloire sans le travail et ne recueillit que l’oubli et un éternel anathème. Dans ce livre où hier encore tu lisais tes triomphes, tu ne trouves plus aujourd’hui que la trace sanglante de ton crime !

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En 1840, quelques mois après cet évènement qui avait fortement ébranlé la santé d’Ulric, nous vîmes à Cologne ce malheureux jeune homme dont la raison chancelait encore sous le choc terrible qu’elle avait reçu. Franck et Max, ces nobles et loyaux cœurs allemands, ramenèrent enfin la paix, et le repos dans cette pauvre âme qui avait vu de si près le gouffre où tant d’autres se sont perdues sans retour !

Chose étrange ! toutes les copies du fragment de la trilogie dramatique des Niebelungen qu’Ulric avait fait imprimer sont, à l’heure qu’il est, perdues sans retour. Toutes les recherches des antiquaires et des bibliophiles sont restées sans résultat.

Le voyageur qui passerait aujourd’hui dans la partie la plus âpre de la Franconie et qui entrerait dans le monastère de Moratz, entendrait parler d’un moine dont le nom est béni chaque jour par tout ce qui pleure et tout ce qui souffre. Ce moine, qui porte sur sa figure pâlie par la pénitence et l’expiation les traces d’une lutte terrible, c’est Ulric.

 

 

Victor JOLY, Histoires ténébreuses, 1857.

 

Recueilli dans Littératures fantastiques : Belgique, terre de l’étrange,

t. I, Labor, 2003. Contes réunis et présentés par Éric Lysøe.

 

 

 

 

 

 

 

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