La mort des ramoneurs

 

 

LE grand ciel était tout jonché d’étoiles ;

La bise en passant glaçait les chemins :

Les petits marchaient, soufflant dans leurs mains,

À peine vêtus de mauvaises toiles.

 

La neige couvrait la plaine autour d’eux ;

Des branches tombaient mille pendeloques ;

Mordus par le froid, tristes sous leurs loques,

Les petits allaient, graves tous les deux.

 

Or, n’en pouvant plus, haletant, le jeune

Dit : « Paul, arrêtons, vois-tu, j’ai trop faim !

« On a beau vouloir, on succombe enfin...

« Le froid fait bien mal, frère, quand on jeûne. »

 

Paul avait onze ans. Pierre en avait neuf.

L’homme d’onze ans fit : « Allons ! du courage !

« J’aperçois là-bas lumière au vitrage :

« On nous prêtera la paille du bœuf. »

 

Pierre se reprit à marcher quand même.

Il pensait : « Hélas ! pourquoi suis-je ici ?

« Mais il faut gagner de l’argent aussi,

« Pour le gai retour vers tout ce qu’on aime ! »

 

Et faisant claquer leurs rudes sabots,

Ils allaient au but, penchés, côte à côte,

Tandis que, pour Dieu qui serait leur hôte,

Un ange creusait leurs petits tombeaux.

 

« Il n’y avait pas de place à la ferme,

Ni de pain – dit-on – pour ces noirs flâneurs. »

Cela fit pleurer les deux ramoneurs,

Et Pierre tomba. Mais l’aîné plus ferme,

 

Dit : « Viens et fuyons vite ces méchants !

« Nous dormirons mieux sur la blanche terre ;

« Viens vite ! viens donc, mais viens, petit frère :

« Le bon Dieu nous offre un lit dans les champs. »

 

Et le lendemain, quand parut l’aurore,

Comme pâlissait l’étoile au ciel bleu,

Au bord d’un fossé, le curé du lieu

Trouva les petits qui dormaient encore :

 

Des pleurs de cristal perlaient à leurs yeux ;

La main dans la main, ils gisaient : leurs âmes

Avaient fui là-haut, aux astres en flammes

Que Dieu fait brûler au foyer des cieux.

 

 

 

Jean de LA HÈVE.

 

Paru dans La Sylphide en 1897.

 

 

 

 

 

 

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