Les cloches sonnaient matines

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

MADELEINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À l’heure où sonnaient les matines de Pâques, j’ai vu passer, sous le ciel gris et lourd, un convoi blanc que suivaient un homme et une femme en noir.

Et l’homme avait le masque tragique du désespoir, et la femme pleurait à gros sanglots.

Ils s’en allaient porter en terre, les pauvres, peut-être tout leur amour, et leur détresse faisait mal à voir sous le ciel gris et lourd, tandis que les cloches sonnaient matines.

Le petit corbillard blanc, embelli d’ors, emportait une tombe presque minuscule, drapée de velours fin, dans laquelle dormait toute la tendresse de l’homme et de la femme en deuil. Pourquoi faut-il que l’amour le plus doux et le plus infini périsse ainsi, quand la nature s’éveille, quand un immense alléluia descend des cieux et monte de la terre ? Pourquoi faut-il que ce père et cette mère passent en pleurant dans l’universelle joie ?

À l’heure où les cloches sonnaient matines, j’ai vu passer, dans l’ombre grise et lourde, une femme à cheveux blancs, toute courbée vers la terre ; elle s’en allait d’un pas lourd, inégal, ce pas des gens qui ont beaucoup marché par les routes rocailleuses, et sur ses épaules frémissait la mante antique que les soleils avaient rougie. La porte de l’église était ouverte, tandis que la voix des cloches appelait ; la vieille femme se glissa dans la foule qui rentrait.

Je la revis, si petite, diminuée encore, comme fondue dans ce grand banc où elle priait, priait à voix presque haute, répétant de sa voix dolente : « Bonne Sainte Vierge, venez me chercher, s’il vous plaît ! » Et dans un geste naïf, suppliant, elle levait vers la Madone ses mains jointes, des mains tannées, ridées, aux pauvres doigts crochus.

« Bonne Sainte Vierge... priait-elle toujours de sa même voix sans expression, – bonne Sainte Vierge ! »

Tandis qu’elle appelait la mort au chant joyeux de la résurrection, sous le ciel gris et lourd, un homme et une femme pleuraient en suivant le convoi blanc de leur ange endormi. La nef retentissait du chant joyeux des alléluias, l’autel éblouissait de mille feux, au dehors le jour tombait lentement. Et dans l’ombre plus lourde et plus grise, deux pauvres petits attendaient. Leurs mains froidies frôlèrent la mienne au passage, et j’entendis que leur bouche chevrotait : « Madame... charité... amour du bon Dieu... » Je les vis tous deux si pâles sous la lumière mourante d’un jour sans soleil, si pâles et si tristes que j’en eus mal. La fillette me tendit un bouquet pascal composé de fleurs mendiées aux halles sans doute, roses qui tremblaient sous la brise, avec le son du papier que l’on froisse. Et tandis qu’elle me parlait, le garçonnet plus jeune, à peine cinq ans, avait ôté sa casquette et me regardait profondément de ses beaux yeux craintifs: la mère était malade dans la maison sans feu, où il y avait aussi deux bébés, le père était mort à l’automne, et l’on avait froid et faim. Pauvres, pauvres petits, que leur tristesse était navrante dans la lumière mourante de ce jour sans soleil...

 

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Je m’en retournais les yeux troubles, le cœur déçu quand mon obscurité fut soudain éclaircie.

Un couple radieux s’en allait dans le sombre que son passage semblait éclairer: couple d’amoureux, couple de vie et d’espoir, couple de beauté et de joie. En les voyant si fiers et si heureux, je me repris à sourire à cette lumière rayonnante, à cette saison qui allait fleurir.

Tout doucement mon cœur chanta : Voici le printemps ! Vive l’amour !

Ils allaient vers l’avenir, confiants et sereins, dans l’ombre grise et lourde de cette fin de jour sans soleil, tandis que la jeune morte, les mains jointes, dormait à jamais, que les enfants mendiaient en pleurant aux portes de l’église, que la vieille femme demandait la mort à la bonne Vierge, et que, le cœur sanglant, ce père et cette mère suivaient au cimetière le convoi blanc de leur petit adoré...

 

 

 

MADELEINE, Le long du chemin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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