La Noël d’une pauvrette

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

MADELEINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À mon petit neveu Gleason, Belzile.

 

 

Elle s’en allait devant, et je suivais d’un regard sa mince silhouette enveloppée dans une méchante blouse, pendant qu’un immense chapeau ombrageait sa face pâlette. Parfois son petit corps se tordait en un long frémissement, et j’entendais le bruit des dents se choquant l’une contre l’autre, dans un accès de souffrance froide.

Pauvre petit être, tout au plus huit ans d’existence, et avoir bu jusqu’à la lie la coupe des infortunes ! Elle marchait dans une de ces belles rues illuminées, auxquelles l’éblouissement des vitrines prête un rayonnement féerique. La pauvrette s’arrêtait parfois, fascinée par la splendeur des étalages, et regardant surtout les belles poupées dormant dans la soie, en souriant, sous leur mignon chapeau.

L’éternel instinct des fillettes qui ne rêvent qu’un bonheur : presser, sur leur cœur, une petite créature ; aujourd’hui elle est insensible, demain, elle s’animera, et la tendresse de la mère est toujours celle de la petite enfant qui endormait sa poupée. Elle retrouve parfois les berceuses de l’enfance, et en calmant les cris de son bébé, elle murmure encore l’ancien dodo.

La mignonne se frôlait aux belles dames, plus d’une fois, je la vis se retourner, pour suivre du regard les bébés chaudement enveloppés. L’envie naissait-il dans cette petite âme qui rayonnait si douce dans de grands yeux ? Un moment, sentant peser sur elle un regard affectueux, l’enfant se retourna et sourit, pendant que je me mirais dans l’azur d’un candide regard.

Je m’attachai à ses pas, car cette petite m’intéressait – une de ces sympathies qui nous prennent le cœur sans que l’on sache bien, comment et pourquoi.

Et la suivant toujours, je me sentais mauvaise de tant de pauvreté, à côté d’inouïes richesses. Dans maintes vitrines un gros Santa Claus trônait triomphalement, et autour de lui, des petites têtes s’agitaient pendant qu’un incompréhensible babil montait de cette gentille fourmilière.

La petite pauvresse, bien vite alors passait, toute gênée sans doute par ce brillant voisinage. Devant une modeste boutique, longuement elle s’arrêta, ne sentant plus la bise froide qui bleuissait ses membres menus ; tout à son extase, rien ne la troublait – et ses regards admiratifs allaient aux jouets très simples, elle se disait sans doute : ceux-là pourraient m’ appartenir – mais les autres ?

Les riches joujoux des grands étalages sont-ils pour les pauvres !

 

*   *   *

 

Une fillette s’avançait, tenant la main de son père ; elle était jolie sous sa capeline bleue d’où s’échappaient des flots d’or bien blonds. Elle aussi s’arrêta, pour regarder. Son père docile l’imita. Après avoir exploré les vitrines, elle jette un regard sur sa petite voisine.

– Vois donc, papa, comme elle a froid... elle est pauvre, et Santa Claus ne lui donnera rien ?

– Et tu voudrais le remplacer peut-être ?

– Oh ! oui, papa.

– C’est bien, ma chérie, remplaçons Santa Claus.

Dans un adorable mouvement, la blonde enfant s’approcha.

– Dis, que veux-tu là pour tes étrennes ?

La pauvre innocente, réveillée en plein rêve, pencha la tête, ne répondit pas.

La voix de l’enfant se fit plus douce :

– Veux-tu cette belle poupée, cette bercelonnette, ce service de vaisselle, veux-tu ce petit poêle, cette voiture, ces sacs de bonbons ? veux-tu ?

Et la pauvrette ne répondait pas encore.

Sans se lasser l’autre petite reprit :

– Choisis alors ?

D’une voix toute hésitante :

– Je voudrais ce beau cheval.

– Un cheval, s’écria la jolie donneuse, un cheval ! Mais tu ne t’amuseras pas avec un cheval ?

– Oh ! ce n’est pas pour moi, j’aimerais bien mieux une poupée – c’est pour mon petit frère Jacques qui est tout petit et malade, il sera si content.

– As-tu un papa ? questionna la généreuse enfant

– Non, mais j’ai une maman, et nous sommes pauvres, finit-elle tout bas.

– Dis-moi où tu restes, afin que je donne ton adresse à Santa Claus, n’est-ce pas, petit père ? fit-elle, en se rapprochant, toute câline, du papa heureux et fier.

 

*   *   *

 

Tout en feignant d’examiner la vitrine, j’avais tout entendu. Bientôt je vis partir ma pauvrette radieuse, un grand cheval dans ses bras mignons, glissant vite sur la neige durcie, pour arriver plus tôt dans la mansarde où petit Jacques serait si heureux !

De l’autre côté, le père s’en allait aussi, sa petite accrochée à lui, toute sautillante, causant certainement de toutes les belles surprises qu’elle enverrait à la jolie pauvresse.

Que c’est beau d’être bons !

Que c’est doux d’être riches, la veille d’un Noël !

 

 

 

MADELEINE, Premier péché,

recueil de nouvelles et chroniques

et d’une pièce de théâtre en 1 acte, 1902.

 

 

 

 

 

 

 

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