Le renouvellement des images

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Raïssa MARITAIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NOUS étions à Rome, non loin de la Place d’Espagne, au milieu d’une foule nombreuse et agitée, inquiets nous-mêmes. Était-ce la guerre qui approchait ? Alors, vers la gauche du ciel, parut une masse de lumière. Dans la clarté du jour elle avançait distincte. En avançant elle ressembla d’abord à un amas d’étoiles. Les étoiles grandissant à mesure, nous vîmes qu’elles étaient une cohorte d’anges. Et soudain les anges se trouvèrent parmi nous. Ils marchaient en rangs serrés, comme une armée de jeunes hommes, vêtus de blanc et de noir, et la grâce et la joie se répandaient sur leur passage. Tout devint beau d’une beauté resplendissante et extraordinairement précise.

Nous nous retrouvâmes ensuite au Palais Taverna, toujours dans la même atmosphère de grande et mystérieuse signification. Les murs des salons couverts de scènes mythologiques brillaient d’une beauté singulière, non plus légère, gracieuse et un peu effacée comme elles sont, mais magnifique. Chaque motif était cerné d’un trait d’or, et ressortait dans un relief de cuir de Cordoue. De même dans chacune des pièces que nous traversions, tous les objets grands et petits, livres, meubles, le bureau surchargé de papiers dans le cabinet de travail, les scènes bibliques peintes à profusion dans un style froid et plat sur les murs de ma chambre, tout était transfiguré, cerné d’or, éclatant, délicatement modelé, et comme ennobli d’une signification inépuisable. Toutes choses et les moindres choses rayonnaient d’une lumière grave, riche de plénitude, chaude comme le bronze et l’or. Nos cœurs étaient comblés, tendus vers un bienfaisant mystère dont l’immensité nous pacifiait.

Au bout d’un temps assez long les cohortes angéliques commencèrent à nous quitter, et la joie à passer de nos âmes. Quand nous avions traversé avec les anges les pièces de notre appartement, nous sentions leur présence sans les voir. Nous les revîmes quand ils prirent congé. Ils nous consolaient en disant : « Nous reviendrons bientôt. » Je m’éveillai heureuse, triste du regret de la lumière disparue, fortifiée par la grâce du songe.

 

Rome, Mai 1947.

 

 

Raïssa MARITAIN, Au creux du rocher,

poèmes, Alsatia, 1954.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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