Ovation

 

           BALLADE, TRADUITE DE MATURIN.

 

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Le coucher du soleil a teint de pourpre et d’or

Les nuages roulant sur les tours de Padoue,

Leurs spirales à jour au gracieux essor,

Et son dernier rayon sur ses dômes se joue.

Aux feux mourants du ciel la terre avec transport

Répond par mille feux s’élançant vers la nue

Et de joie à torrents inondant chaque rue.

Les spirales des tours ont tressailli soudain :

Sous le marteau la joie y fait bondir l’airain.

D’hymnes triomphateurs les moutiers retentissent,

Les gardes sont debout et leurs clairons mugissent.

Sous des berceaux fleuris à de plus doux accents

Un essaim de beautés vient enivrer ses sens.

Maint joyeux ménestrel entonne en leur présence

Lais d’amour, chants de guerre ou fantasque romance ;

L’un célèbre d’Arthur les magiques exploits,

L’autre de Charlemagne exalte la puissance.

Le jongleur trompe l’œil par ses agiles doigts,

Le Maure fait la roue au bruit de vingt clochettes,

Le marchand de pardons et l’humble pèlerin

À la foule ébahie offrent leurs amulettes.

Mais voici dans les airs se frayant un chemin,

Les torches qu’à longs cris suit une mascarade

Dont la pompe mystique étale, faux devins,

Et prophètes sacrés, et l’enfer et les saints.

Assemblage bizarre et grotesque parade

Des mystères du ciel et des mythes païens.

Du treillage jaloux des plus hautes croisées,

Des terrasses, des toits, des balcons, des créneaux,

Mille groupes dans l’ombre agitant des flambeaux,

Mêlent à cet aspect et clameurs et risées.

Un clair-obscur piquant contraste tour à tour,

Ces traits que l’ombre noie, où ruisselle le jour.

Il court, du pèlerin noircissant la capuce,

Enflammant des démons le costume de feu ;

Du casque du guerrier il glisse sur l’aumusse

Et le chef tonsuré, sceau des hommes de Dieu ;

D’un œil voluptueux, d’une bouche rieuse,

Il descend sur les saints au martyre livrés ;

Du bouffon et du nain, à la face railleuse,

Sur l’or du reliquaire et les cierges sacrés,

Et l’opulente croix dont l’étendard s’élève

Chargé du poids d’un Dieu par qui meurt le trépas.

     D’un barde ce tableau réalise le rêve.

Le sage, de la foule observant les ébats,

Y nourrit ses pensers. Là s’agite l’enfance

À qui tout est surprise, et dont le cri joyeux

Témoigne incessamment du plaisir de ses yeux.

Là jouit l’âge mûr calme, et dont la prudence

Jette sur son sourire un voile officieux.

Là se traîne un vieillard à la tête blanchie

Dont le cœur du passé suit l’ombre réfléchie,

Et s’étonne que jeune on admire au hasard

Ce qui ne sourit plus à son terne regard.

 

« Au front du camp vainqueur où la foule s’arrête,

Pour qui sont, ménestrel, tous ces apprêts de fête ?

– Ils sont, l’ignorez-vous ? pour ce jeune étranger

Dont la gloire confond et terrasse l’envie.

Avec ravissement on raconte sa vie,

Et comment ce jour même, à l’heure du danger,

Il voulut de Padoue emporter la bannière

Au cœur des bataillons ennemis, dans leur sang

La planter ou périr. Du jeune téméraire

Les chefs ont dédaigné la hautaine prière.

Leur barbe a tressailli d’un sourire offensant.

Lui qui jamais encore, il l’avouera lui-même,

N’a su rompre de lance aux innocents tournois,

Il ose, pensaient-ils, en ce péril extrême,

S’égaler à des preux blanchis par cent exploits !... »

Il a vu leurs mépris ; une rougeur subite

Dans les plis de son front court et se précipite...

S’il pouvait, à cette heure, eux tous les défier !...

Non... il presse, il insiste, il s’abaisse à prier ;

Puis, tandis qu’incertain le général hésite,

À sa prison de fer il ravit l’étendard.

 

     » Là-bas aux champs poudreux d’un horizon blafard

Roule l’aigre fracas des conques, des cymbales ;

Là des fils d’Ismaël le mobile croissant

Jette sur leurs turbans un éclair pâlissant.

Il y court, moins rapide est l’élan des rafales.

Autour des rangs pressés il tourbillonne ; hélas !

Mille bras sont levés sur une seule tête.

Lances et javelots, fers trempés à Damas,

Cimeterres et dards, et flèches, tout s’apprête

À punir à la fois l’intrépide héros.

Cavaliers, en avant ! qu’à son aide on s’élance !

Un nuage poudreux fend la plaine et s’avance,

Et lui, tel qu’un esquif emporté par les flots,

L’œil le suit et le perd. En ce moment horrible,

Le ciel même, le ciel ne le sauverait pas.

Mais ce cri : « Dieu ! victoire ! » a retenti terrible.

Dans le sang ennemi ruisselant sur ses pas,

Vers ses libérateurs il se fraie un passage ;

Il jette dans leurs rangs, à travers le carnage,

Le gonfalon béni du pontife romain ;

Tel qu’un éclair le glaive étincelle en sa main.

Comme la trombe éclate et se perd dans l’orage,

Champions de Padoue, il vous rejoint enfin !

Et son bras, d’Ismaël défiant la furie,

Du général chrétien lui dispute la vie ;

Trois fois de sa poitrine il lui fait un rempart,

Et, vainqueur, du prophète il ravit l’étendard.

 

     » De ses nobles rivaux l’élite est assemblée.

Là, sous les feux du soir comme dans la mêlée,

Rapide, foudroyant, luit encor son regard :

Sous le glaive du chef il se prosterne et prie.

« Banneret, sois l’honneur de la chevalerie,

Lui dit l’aîné des preux ; que sur ton bouclier

Brille la croix de pourpre, égide du guerrier !

Que l’ange du Très-Haut, dans sa main retrempée

Te livre avec ce fer sa flamboyante épée ;

Et puissent à jamais nos saints dans les combats

Te donner leur valeur, leur foi dans le trépas ! »

 

 

 

Charles Robert MATURIN.

 

Traduit de l’anglais par M. B.

 

Paru dans la Revue poétique du XIXe siècle en 1835.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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