Cara-Ali, le vampire

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Prosper MÉRIMÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

Cara-Ali a passé la rivière jaune ; il est monté vers Basile Kaïmis et a logé dans sa maison.

 

 

II

 

Basile Kaïmis avait une belle femme, nommée Juméli ; elle a regardé Cara-Ali, et elle est devenue amoureuse de lui.

 

 

III

 

Cara-Ali est couvert de riches fourrures ; il a des armes dorées, et Basile est pauvre.

 

 

IV

 

Juméli a été séduite par toutes ces richesses ; car quelle est la femme qui résiste à beaucoup d’or ?

 

 

V

 

Cara-Ali, ayant joui de cette épouse infidèle, a voulu l’emmener dans son pays, chez les mécréants.

 

 

VI

 

Et Juméli dit qu’elle le suivrait ; méchante femme, qui préférait le harem d’un infidèle au lit conjugal !

 

 

VII

 

Cara-Ali l’a prise par sa fine taille et l’a mise devant lui sur son beau cheval blanc comme la neige de novembre.

 

 

VIII

 

Où es-tu, Basile ? Cara-Ali que tu as reçu dans ta maison enlève ta femme Juméli que tu aimes tant !

 

 

IX

 

Il a couru au bord de la rivière jaune, et il a vu les deux perfides qui la traversaient sur un cheval blanc.

 

 

X

 

Il a pris son long fusil orné d’ivoire et de houppes rouges ; il a tiré, et soudain voilà que Cara-Ali a chancelé sur sa monture.

 

 

XI

 

« Juméli ! Juméli ! ton amour me coûte cher. Ce chien de mécréant m’a tué, et il va te tuer aussi.

 

 

XII

 

« Maintenant, pour qu’il te laisse la vie, je m’en vais te donner un talisman précieux, avec lequel tu achèteras ta grâce.

 

 

XIII

 

« Prends cet Alcoran dans cette giberne de cuir rouge doré : celui qui l’interroge est toujours riche et aimé des femmes.

 

 

XIV

 

« Que celui qui le porte ouvre le livre à la soixante-sixième page ; il commandera à tous les esprits de la terre et de l’eau. »

 

 

XV

 

Alors il tombe dans la rivière jaune, et son corps flottait laissant un nuage rouge au milieu de l’eau.

 

 

XVI

 

Basile Kaïmis accourt, et, saisissant la bride du cheval, il avait le bras levé pour tuer sa femme.

 

 

XVII

 

« Accorde-moi la vie, Basile, et je te donnerai un talisman précieux : celui qui le porte est toujours riche et aimé des femmes.

 

 

XVIII

 

« Que celui qui le porte ouvre le livre à la soixante-sixième page ; il commandera à tous les esprits de la terre et de l’eau. »

 

 

XIX

 

Basile a pardonné à son infidèle épouse ; il a pris le livre que tout chrétien devrait jeter au feu avec horreur.

 

 

XX

 

La nuit est venue ; un grand vent s’est élevé, et la rivière jaune a débordé ; le cadavre de Cara-Ali fut jeté sur le rivage.

 

 

XXI

 

Basile a ouvert le livre impie à la soixante-sixième page ; soudain la terre a tremblé et s’est ouverte avec un bruit affreux.

 

 

XXII

 

Un spectre sanglant a percé la terre ; c’était Cara-Ali. « Basile, tu es à moi maintenant que tu as renoncé à ton Dieu. »

 

 

XXIII

 

Il saisit le malheureux, le mord à la veine du cou, et ne le quitte qu’après avoir tari ses veines.

 

 

XXIV

 

Celui qui a fait cette histoire est Nicolas Cossiewitch, qui l’avait apprise de la grand-mère de Juméli.

 

 

 

Prosper MÉRIMÉE, La Guzla, 1827.

 

Recueilli dans Les maîtres de l’étrange et de la peur,

de l’abbé Prévost à Guillaume Apollinaire,

Édition établie par Francis Lacassin,

Éditions Robert Laffont, 2000.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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