La sorcière, ou Wolfwold et Ulla

 

 

 

« Hélas ! il gît dans la poussière, sa joue pâle et froide est couchée sans vie sur l’argile. Mais l’espoir encore lutte dans mon sein... Ô jour naissant, parais et viens éclairer mes pas !

« Ciel puissant, déchaîne sur les hordes cruelles du Danemark, le souffle enflammé de ta vengeance, qu’elles fuient devant la lance de mon Wolfwold ! Et toi, brillante heure matinale, viens éclairer mes pas. »

Ainsi se lamentait Ulla, la plus belle fille de la race des Saxons ; ainsi se lamentait Ulla dans l’ombre de la nuit, et des pleurs inondaient son visage.

Quand l’orbe rougeâtre de la lune se montra au-dessus de la colline et répandit sa lumière dans la vallée sinueuse et tranquille, Ulla, ne pouvant maîtriser son inquiétude, se mit en marche, agitée par l’espérance et la crainte.

Elle abandonna sa demeure ; et, seule, elle traversa la vallée profonde, cherchant au pied de la colline une caverne remplie de glaïeuls et d’herbes touffues.

De noirs et noueux troncs de chênes, outragés par le temps et tout enlacés de plantes vénéneuses, protégeaient cet antre : l’épouvantable entrée, à demi souterraine, s’ouvrait comme la bouche de l’enfer.

Aussitôt qu’elle eut aperçu la ténébreuse caverne, une froide horreur fit trembler ses genoux. « Écoute, ô prophétesse ! écoute, s’écria-t-elle, une princesse t’implore. »

Surprise, elle s’arrêta. La sinistre frésaie s’envola dans les airs, et le filet qui retenait sa noire chevelure fut séparé violemment de sa tête et rejeté en arrière.

Ses vêtements, du jaune le plus doux, s’empourprèrent sous les rayons de la lune, et répandirent une clarté dorée sur la terre jonchée de rameaux d’if.

Cet éclat vint frapper les yeux de la sorcière, alors que, dans l’endroit le plus reculé de son antre, à l’heure magique de minuit, elle essayait sur une tombe un charme puissant.

Sa voix glapissante s’éleva du sein de la caverne : « Oh ! viens, ma fille, viens sans crainte, et conte-moi tes malheurs. »

Ainsi que frémit la feuille du tremble, lorsque l’ouragan agite ses rameaux ; ainsi que s’arrête étonné le chef de Clan qui voit fuir ses lâches phalanges.

Ainsi frémit, ainsi s’arrêta la craintive beauté lorsque du fond de l’antre effroyable, une vieille furie s’avança, vêtue de haillons souillés.

Autour de son front couronné de ciguë, ses cheveux gris de cendre tombaient à l’aventure : comme des profondeurs de deux horribles cratères, ses prunelles ardentes lançaient une flamme bleuâtre.

Sa peau, d’un rouge terreux, semblait adhérer aux os de ses épaules, semblable à l’écorce flétrie cicatrisée par l’éclair, lorsque la foudre a grondé.

Une robe d’un vert et d’un bleu salis accoutrait la taille de ce spectre : une énorme déchirure laissait entrevoir les sillons de son flanc.

« Oh ! conte-moi, ma fille, conte-moi sans crainte quel chagrin t’a conduite ici : que mon pouvoir puisse écarter tes soucis et rendre à ton âme la joie la plus douce.

– « Puissante enchanteresse ! vous voyez devant vous l’héritière du roi Édric : le Northumberland échut à mon père, mais le chagrin échut à sa fille.

« Lord Wolfwold obtint mon virginal amour ; mon père lui sourit : mais dès qu’il fut monté sur le trône du Northumberland, son orgueil exila le jeune héros.

« Bientôt les noirs corbeaux du sauvage Danemark déployèrent leurs sombres ailes au-dessus des mers et se précipitèrent sur les coteaux et sur les prairies du Northumberland en redoutables bataillons.

« Reviens, brave Wolfwold ! s’écria Édric : ô généreux guerrier, écoute ! la main de ma fille, l’épouse de ton choix attend ta lance triomphante. »

« Le jeune exilé avait passé dans les ennuis une année entière à la cour d’Écosse : il entendit cet appel favorable et soudain il reprit sa large claymore.

« Il laissa dans les pleurs les beautés de l’Écosse ; et revolant vers moi sur les ailes de l’amour, marchant nuit et jour, et se refusant le sommeil, il gagna les bords de la Tweed.

« Ce fut avec des accents de joie et des regards ravis qu’il pressa cette main qui lui fut chère.... « Je pars, ô ma charmante Ulla ! s’écria-t-il, je cours défendre les États de ton père.

« Sur le rivage de l’Édon, nous rencontrerons l’audacieux ennemi ; avant trois courtes journées, je viendrai déposer à tes pieds leurs dépouilles sanglantes. »

« Hélas ! ce temps est écoulé et trois longs jours encore, et cependant nul message n’est venu des bords de l’Édon réjouir sa tremblante épouse.

« Savante enchanteresse ! dévoile-moi son incertaine destinée. – Calme tes sens, mon enfant, car le ciel t’est favorable, répondit la vieille magicienne.

« Approche de ma caverne, et tiens-toi dans l’endroit où je place le cercle magique ; ne crains rien surtout des effrayants fantômes qui vont se glisser sous ma baguette d’ivoire. »

La sorcière brûla dans un vase informe un grossier encens, et des vapeurs impures s’élevèrent jusqu’au disque de la lune qui répandit une nouvelle clarté.

Un de ses pâles rayons se joua à travers les ténèbres qui recouvraient les flancs de la caverne, et l’on découvrit, sur la roche la plus reculée, un autel et une tombe.

On distinguait autour de la tombe de mystérieuses leçons, tracées sous des formes bizarres ; et des lézards et d’immondes serpents ailés supportaient la base fétide de l’autel.

Affamé et privé d’yeux, un énorme reptile était tapi dans l’angle le plus éloigné ; et des milliers d’orfraies et de chauve-souris étaient suspendues aux crevasses de la voûte.

Le squelette d’un renard et celui d’un vautour ouvraient un gosier avide, et ces cadavres semblaient se disputer encore les os l’un de l’autre, et prêts à engager une querelle de mort.

« Maintenant, ma fille, dit la sorcière, la tombe va me rendre sa proie ; le père de Wolfwold va se présenter dans ma caverne.

« Ses os entendront mes paroles, et sa main desséchée va tracer sur ces murs les lignes du sort. »

Elle sentit les gouttes d’une sueur glacée couler sur son visage pâle comme la glace du nord, lorsque porté par les esprits des airs, le fantôme apparut à l’entrée de la caverne.

Et trois fois l’enchanteresse agita sa verge magique au-dessus du squelette, et trois fois il leva lentement son bras décharné.

Le doigt fatal se promena sur un bouclier fendu et sur une lance brisée ; puis il s’arrêta sur un lugubre cercueil que souillaient des taches de sang.

La sorcière agitée d’une horreur convulsive s’écria : « Que ces oracles, ô mon enfant, s’accomplissent sur les ennemis de Wolfwold !

« Essayons de nouveaux charmes : silence, mon enfant, sois attentive, et remarque les flammes qui vont s’élever de l’autel et du sol.

« Si la flamme brille à tes yeux du doux incarnat de la rose, alors Wolfwold respire.... Mais que l’enfer nous garde qu’elle vienne à répandre une lueur bleuâtre ! »

La sorcière éleva son bras difforme et secoua sa baguette dans l’air, et tandis qu’elle murmurait des paroles magiques, de sombres éclairs s’échappaient de ses yeux.

Le genou de la belle Ulla fléchit soudain et frappe la terre ; ses mains s’élèvent vers le ciel, et ses membres se roidissent du froid de l’horreur.

Ses lèvres, naguère semblables à la rose, sont maintenant d’un violet pâle ; elles s’agitent et ne peuvent exprimer la douleur qui l’accable.

Ses yeux si brillants n’ont plus que la blancheur terne de l’albâtre et semblent inanimés.

Bientôt le charme fut achevé ; et, brillant faiblement, une flamme tremblotante perça du sol.... Une effrayante flamme bleuâtre !

Derrière le feu livide de l’autel, du lieu le plus secret de l’antre, le jeune Wolfwold se leva sous de blancs vêtements, sous les vêtements de la tombe !

Ses yeux se fixèrent sur les yeux d’Ulla ; sa joue était terreuse et cave ; de sa main ensanglantée, il semblait lui faire signe de le suivre.

La belle Ulla vit l’ombre désolée : son cœur horriblement frappé se brisa.... Elle abandonna sa tête insensible, tomba sur la terre, et mourut !

 

 

 

William Julius MICKLE.

 

Recueilli dans Ballades, légendes et chants populaires

de l’Angleterre et de l’Écosse,

publiés par A. Loève-Veimars, 1825.

 

 

 

 

 

 

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