Le tombeau de la chrétienne

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

PÉLISSIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il existait, il y a fort longtemps, dans le pays des Hadjoutes, un nommé Jousuf Ben Cassem, riche et fort heureux dans son intérieur. Sa femme était douce et belle, et ses enfants étaient robustes et soumis. Cependant il était très vaillant, il voulut aller à la guerre ; mais, malgré sa bravoure, il fut pris par les chrétiens, qui le conduisirent dans leur pays, et le vendirent comme esclave. Quoique son maître le traitât avec assez de douceur, son âme était pleine de tristesse, et il versait d’abondantes larmes lorsqu’il songeait à tout ce qu’il avait perdu. Un jour qu’il était employé aux travaux des champs, il se sentit plus abattu qu’à l’ordinaire, et, après avoir terminé sa tâche, il s’assit sous un arbre, et s’abandonna aux plus douloureuses réflexions. « Hélas ! se disait-il, pendant que je cultive le champ d’un maître, qui est-ce qui cultive les miens ? Que deviennent ma femme et mes enfants ? Suis-je donc condamné à ne plus les revoir, et à mourir dans le pays des infidèles ? » Comme il faisait entendre ces tristes plaintes, il vit venir à lui un homme grave qui portait le costume des savants. Cet homme s’approcha et lui dit : « Arabe, de quelle tribu es-tu ? – Je suis Hadjoute, lui répondit Ben Cassem. – En ce cas, tu dois connaître le Koubar Roumia. Si je le connais..... Hélas ! ma ferme, où j’ai laissé tous les objets de ma tendresse, n’est qu’à une heure de marche de ce monument.

– Serais-tu bien aise de les revoir, et de retourner au milieu des tiens ?

– Pouvez-vous me le demander ? Mais à quoi sert de faire des vœux que rien ne peut exaucer ?

– Je le puis, moi, repartit le chrétien. Je puis t’ouvrir les portes de ta patrie, et te rendre aux embrassements de ta famille ; niais j’exige pour cela un service : te sens-tu disposé à me le rendre ?

– Parlez, il n’est rien que je ne fasse pour sortir de ma malheureuse position, pourvu que vous n’exigiez rien de moi qui puisse compromettre le salut de mon âme.

– Sois sans inquiétude à cet égard, dit le chrétien. Voici de quoi il s’agit : Je vais de ce pas te racheter à ton maître ; je te fournirai les moyens de te rendre à Alger. Quand tu seras de retour chez toi, tu passeras trois jours à te réjouir avec ta famille et tes amis, et, le quatrième, tu te rendras auprès du Koubar Roumia ; tu allumeras un petit feu à quelques pas du monument, et tu brûleras dans ce feu le papier que je vais te donner. Tu vois que rien n’est d’une exécution plus facile. Jure de faire ce que je viens de te dire, et je te rends aussitôt à la liberté.

Ben Cassem fit ce que lui demandait le chrétien, qui lui remit un papier couvert de caractères magiques dont il ne put connaître le sens. Le même jour la liberté lui fut rendue, et son bienfaiteur le conduisit dans un port de mer, où il s’embarqua pour Alger. Il ne resta que quelques instants dans cette ville, tant il avait hâte de revoir sa femme et ses enfants, et se rendit le plus promptement possible dans sa tribu.

Je laisse à deviner la joie de sa famille et la sienne ; ses amis vinrent aussi se réjouir avec lui, et, pendant trois jours, son haouche fut plein de visiteurs. Le quatrième jour, il se rappela ce qu’il avait promis à son libérateur, et s’achemina au point du jour vers le Koubar Roumia. Là il alluma le feu, et brûla le papier mystérieux, ainsi qu’on le lui avait prescrit. À peine la flamme eut-elle dévoré la dernière parcelle de cet écrit, qu’il vit, avec une surprise inexprimable, des pièces d’or et d’argent sortir par milliers du monument, à travers les pierres. On aurait dit une ruche d’abeilles effrayées par quelque bruit inaccoutumé. Toutes ces pièces, après avoir tourbillonné un instant autour du monument, prenaient la direction du pays des chrétiens avec une extrême rapidité, en formant une colonne d’une longueur infinie, semblable à plusieurs vols d’étourneaux. Ben Cassem voyait toutes ces richesses passer au-dessus de sa tête : il sautait le plus qu’il pouvait, et cherchait avec ses mains à en saisir quelques faibles parties. Après s’être épuisé ainsi en vains efforts, il s’avisa d’ôter son burnous, et de le jeter le plus haut possible ; cet expédient lui réussit, et il parvint à faire tomber à ses pieds une vingtaine de pièces d’or et une centaine de pièces d’argent. Mais à peine ces pièces eurent-elles touché le sol, qu’il ne sortit plus de pièces nouvelles, et que tout rentra dans l’ordre ordinaire. Ben Cassem ne parla qu’à quelques amis de ce qui lui était arrivé. Cependant cette aventure extraordinaire parvint à la connaissance du pacha, qui envoya des ouvriers pour démolir le Koubar Roumia, afin de s’emparer des richesses qu’il renfermait encore. Ceux-ci se mirent à l’ouvrage avec beaucoup d’ardeur ; mais, au premier coup de marteau, un fantôme sous la forme d’une femme parut au haut du tombeau et s’écria : « Aloula ! Aloula ! Viens à mon secours, on vient enlever tes trésors ! » Aussitôt des cousins énormes, aussi gros que des rats, sortirent du lac et mirent en fuite les ouvriers par leurs cruelles piqûres. Depuis ce temps-là, toutes les tentatives que l’on a faites pour ouvrir le Koubar Roumia ont été infructueuses, et les savants ont déclaré qu’il n’y a qu’un chrétien qui puisse s’emparer des richesses qu’il renferme.

 

 

 

PÉLISSIER.

 

Paru dans Anémone, annales romantiques

en 1837.

 

 

 

 

 

 

 

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