La légende de la neige

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Isabelle PIERRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voilà : je suis un petit grain de sable. Je suis vieux, très vieux. Cependant, sur ma foi, j’ai conservé tous mes esprits. Je vivais il y a deux mille ans. Depuis ce temps, avec Messire Vent, j’ai voyagé par toute la terre. J’en ai vu des choses ! J’ai même assisté à la naissance de la neige. Quelle impression ! C’est une histoire féerique. Vous voulez que je raconte ? D’accord !

Disons que nous sommes au début de l’ère. Il y a ce soir un « je ne sais quoi » de mystérieux sur la campagne de Bethléem. Abandonnant la tradition, les maisonnettes ont tôt fait de baisser les paupières. Un doux zéphyr court allègrement, insufflant au mystère fraîcheur et renouveau. Les étoiles se regardent, clignent des yeux et, discrètement, se cachent dans un pli de ciel pour réapparaître soudain, si lumineuses qu’elles diamantent la lune maquillée d’opale et revêtue de soie irisée comme au jour de fête.

Les rameaux, tout bas, très bas, jasent d’espérance. Ils se laissent mollement bercer par la brise zéphyrienne. À leur pied, le ruisseau, discret, presqu’endormi, fredonne son chant d’amour. Ce léger murmure est un sourire à l’astre des nuits. Mystérieux, il semble écouter le silence et boire la paix sereine du soir.

Tout à coup, au coin d’une route, un petit âne avance lentement, je dirais même pieusement. Sur son dos, une jolie dame drapée d’un long manteau d’aurore, se laisse emporter dans la campagne endormie. Elle est si belle, si radieuse, qu’on croirait d’un ange. Un homme barbu chemine aux côtés de la belle « aventurière » – car pour une dame, cela devient une aventure que de voyager en pleine nuit. Très souvent, ils se regardent, ils se sourient. Ils sont heureux, heureux dans leur pauvreté. Dans les yeux de la dame en bleu brille le rayon d’une joie profonde. Pourquoi cet immense bonheur ?

Le vent, en grand effronté qu’il est, s’accorde la liberté d’une indiscrétion et soulève le manteau d’azur de la dame. Quelle idée ! Et quelle chance ! Je vis alors que le bonheur était dans une maternité toute proche, l’ange allait être maman !

Mais le bonheur ce n’est pas étrange... Ce n’est pas étrange comme cette étoile qui court follement au plafond des astres, qui danse magiquement, inlassablement. Et, mystère plus impénétrable encore, elle semble guider les deux voyageurs.

Je vais en avoir la surface polie ou je ne m’appelle pas grain de sable. Les hommes diraient : « Je vais en avoir le cœur net », mais comme tous les grains de sable, je n’ai pas de cœur. J’ai décidé de suivre la dame.

C’est ainsi que je connais Joseph et Marie, que j’entends leur conversation. Ils parlent de la naissance d’un roi. Je n’en crois pas ma grosseur : je voyage avec des souverains ! Mais si pauvres...

Marie est fatiguée ; elle grelotte de froid mais jamais ne se plaint. Son sourire tromperait Dieu lui-même... si Dieu pouvait être trompé.

L’étoile mystérieuse s’arrête soudain. De l’agitation féerique, elle passe au calme divin. Marie et Joseph s’arrêtent aussi. Joseph scrute l’horizon et désigne à son épouse une petite étable. Obéissante, elle accepte ce refuge. Joseph entre avec Marie. Époux fidèle et vigilant, il est son réconfort et sa protection.

Et le Roi est né. Jamais un roi, fut-ce le plus riche ici-bas, n’a eu une naissance aussi humble et, à la fois, tout aussi grandiose.

Des voix inconnues à la terre modulent des refrains d’une suavité exquise. De loin, très loin, retentit, vibrant et riche, un mélodieux « Gloria in excelsis ».

Joseph, fatigué, dort près de Marie, qui, émue, contemple son enfant tout rose, tout humain dans ses langes blancs. Dans son léger sommeil, il envoie un sourire à sa maman. Sur la joue empourprée de la Vierge glisse une larme émue. Un ange saisit du bout de l’aile cette petite larme et s’envole dans l’immense plaine céleste. Oh ! merveille ! Chaque coup d’aile angélique divise la « goutte cristalline » en des milliers de légers flocons blancs qui tournoient, valsent au rythme des cantiques et, dans un interlude, se posent sur la terre.

Le toit des chaumières et des palais, les clôtures, les rues et les plaines se sont habillés d’ouate blanche et moelleuse. Les sapins courbent la tête sous le poids du léger « fardeau blanc ». Le Christ est né ! Et la neige, dans toute sa splendeur, vient vêtir le royaume terrestre d’une cape de velours soyeux. La coupole céleste s’est teintée d’un bleu saphir ; la lune jette ses rayons froids sur le cristal neigeux et les étoiles glissent vertigineusement dans l’atmosphère pour venir parer la demeure de l’Enfant-Roi.

Jamais la terre n’a connu d’aussi riches splendeurs. Ce fut la naissance du Sauveur et aussi... celle de la neige.

Le premier Noël amena la première des premières neiges.

L’ange divin avait saisi une larme de la jolie maman et son innocence. Il se pencha sur l’Enfant pour recueillir sa pureté et sur Joseph pour adopter sa joie. Et... il partit. De l’espérance dont causaient les rameaux il enleva une pointe. Pour ajouter plus de charme à son œuvre, il y mêla une note berceuse de la cantilène du ruisseau, l’éclat scintillant des étoiles et la splendeur du ciel. Avec la permission du Père Eternel, il créa les « LÉGERS FLOCONS DE NEIGE ».

Et c’est depuis ce jour que, chaque année, chaque pays où la température est propice se revêt d’une robe immaculée. C’est depuis ce jour que tous les petits et les grands s’émerveillent devant la première neige. C’est aussi depuis ce jour que la neige tient si large place dans la féerie de Noël.

La neige, pour les riches comme pour les pauvres, est, et restera toujours un merveilleux présent de Noël !

 

 

 

Isabelle PIERRE, décembre 1960.

 

Paru dans Crescendo,

Union canadienne des jeunes écrivains,

Éditions Nocturne, 1963.