Histoire du commandeur de Toralva

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jan POTOCKI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je suis entré dans l’ordre de Malte avant d’être sorti de l’enfance, ayant été reçu, comme l’on dit, « de pagerie ». Les protections que j’avais en cour m’obtinrent l’avantage de tenir galère à vingt-cinq ans ; et le grand-maître, étant l’année suivante entré en « donnaison », me conféra la meilleure commanderie de la langue d’Aragon. Je pouvais donc, et je puis encore, prétendre aux premières dignités de l’ordre. Mais comme on n’y parvient que dans un âge avancé, et qu’en attendant je n’avais absolument rien à faire, je suivis l’exemple de nos premiers baillis, qui, peut-être, eussent dû m’en donner un meilleur. En un mot, je m’occupais à faire l’amour, ce que je regardais alors comme un péché des plus véniels ; et plût au ciel que je n’en eusse point commis de plus grave ! Celui que j’ai à me reprocher est un emportement coupable, qui m’a fait braver ce que notre religion a de plus sacré. Je n’y pense qu’avec effroi ; mais n’anticipons point.

Vous saurez donc que nous avons à Malte quelques familles nobles de l’île qui n’entrent point dans l’ordre et n’ont aucune relation avec les chevaliers, de quelque rang que ce soit, ne reconnaissant que le grand-maître, qui est leur souverain, et le chapitre, qui est son conseil.

Après cette classe, il en vient une mitoyenne, qui exerce les emplois et recherche la protection des chevaliers. Les dames de cette classe se donnent à elles-mêmes et sont désignées par le titre d’onorate, qui, en italien, veut dire « honorées ». Et sûrement elles le méritent par la décence qu’elles mettent dans leur conduite, et, s’il faut tout vous dire, par le mystère qu’elles mettent dans leurs amours.

Une longue expérience a prouvé aux dames onorate que le mystère était incompatible avec le caractère des chevaliers français, ou du moins qu’il était infiniment rare de leur voir réunir la discrétion à toutes les belles qualités qui les distinguent. Il en est résulté que les jeunes gens de cette nation, accoutumés en tous pays à de brillants succès près du sexe, doivent, à Malte, se borner à des prostituées.

Les chevaliers allemands, d’ailleurs peu nombreux, sont ceux qui plaisent le mieux aux onorate, et je crois qu’ils le doivent à leur teint blanc et rosé. Après eux, ce sont les Espagnols, et je crois que nous le devons à notre caractère, qui passe avec raison pour être honnête et sûr.

Les chevaliers français, mais surtout les caravanistes, se vengent des onorate en les raillant de toutes manières, surtout en dévoilant leurs intrigues secrètes. Mais comme ils font bande à part et qu’ils négligent d’apprendre l’italien, qui est la langue du pays, tout ce qu’ils disent ne fait pas grande sensation.

Nous vivions donc en paix, ainsi que nos onorate, lorsqu’un vaisseau de France nous amena le commandeur de Foulequère, de l’ancienne maison des sénéchaux de Poitou, issus des comtes d’Angoulême. Il avait été autrefois à Malte, et toujours il y avait eu des affaires d’honneur. À présent, il venait solliciter le généralat des galères. Il avait plus de trente-cinq ans ; en conséquence, on s’attendait à le trouver plus rassis. En effet, le commandeur n’était pas querelleur et tapageur comme il l’avait été ; mais il était hautain, impérieux, et même factieux, prétendant à plus de considération que le grand-maître lui-même.

Le commandeur ouvrit sa maison : les chevaliers français s’y rendaient en foule. Nous y allions peu, et nous finîmes par n’y pas aller du tout, parce que nous y trouvions la conversation établie sur des sujets qui nous étaient désagréables, entre autres sur les onorate, que nous aimions et respections.

Lorsque le commandeur sortait, on le voyait entouré de jeunes caravanistes. Souvent il les menait dans la rue Étroite, leur montrait les endroits où il s’était battu, et leur racontait toutes les circonstances de ses duels.

Il est bon de vous dire que, selon nos usages, le duel est défendu à Malte, excepté dans la rue Étroite, qui est une ruelle où nulle fenêtre ne donne ; elle n’a de largeur qu’autant qu’il en faut pour que deux hommes puissent se mettre en garde et croiser leurs fers. Ils ne peuvent reculer. Les adversaires se mettent en large de la rue ; leurs amis arrêtent les passants et empêchent qu’on ne les trouble. Cet usage a été autrefois introduit pour empêcher les assassinats, car l’homme qui croit avoir un ennemi ne passe pas par la rue Étroite ; et si l’assassinat était commis ailleurs, on ne pouvait plus le faire passer pour une rencontre. D’ailleurs, il y a peine de mort pour qui viendrait dans la rue Étroite avec un poignard. Le duel est donc non seulement toléré à Malte, mais même permis. Cependant cette permission est pour ainsi dire tacite, et loin d’en abuser, on en parle avec une sorte de honte, comme d’un attentat contraire à la charité chrétienne – et malséant dans le chef-lieu d’un ordre monastique.

Les promenades du commandeur dans la rue Étroite étaient tout à fait déplacées. Elles eurent le mauvais effet de rendre les caravanistes français très querelleurs, et d’eux-mêmes ils y étaient assez portés.

Ce mauvais ton alla en augmentant. Les chevaliers espagnols augmentèrent aussi de réserve ; enfin, ils se rassemblèrent chez moi et me demandèrent ce qu’il y avait à faire pour arrêter une pétulance qui devenait tout à fait intolérable. Je remerciai mes compatriotes de l’honneur qu’ils me faisaient en m’accordant leur confiance : je leur promis d’en parler au commandeur, en lui représentant la conduite des jeunes gens français comme une sorte d’abus dont lui seul pouvait arrêter les progrès, par la grande considération et le respect qu’on avait pour lui dans les trois langues de sa nation. Je me promettais de mettre dans cette explication tous les égards dont elle était susceptible ; mais je n’espérais pas qu’elle pût finir sans un duel. Cependant, comme le sujet de ce combat singulier me faisait honneur, je n’étais pas trop fâché de l’avoir. Enfin, je crois que je me laissai aller à une sorte d’antipathie que j’avais pour le commandeur.

Nous étions alors dans la semaine sainte, et il fut convenu que mon entrevue avec le commandeur n’aurait lieu que dans une quinzaine de jours. Je crois qu’il eut connaissance de ce qui s’était passé chez moi, et qu’il voulait me prévenir en me faisant une querelle.

Nous arrivâmes au vendredi saint : vous savez que, selon l’usage espagnol, si l’on s’intéresse à une femme, on la suit ce jour-là d’église en église, pour lui présenter l’eau bénite. On le fait un peu par jalousie, crainte qu’un autre ne la présente et ne prenne cette occasion de lier connaissance. Cet usage espagnol s’était introduit à Malte. Je suivais donc une jeune onorata à qui j’étais attaché depuis plusieurs années ; mais, dès la première église où elle entra, le commandeur l’aborda avant moi, se plaça entre nous, me tournant le dos et reculant quelquefois pour me marcher sur les pieds, ce qui fut remarqué.

Au sortir de l’église, j’abordai mon homme d’un air indifférent, et comme pour lui parler de nouvelles. Je lui demandai ensuite dans quelle église il comptait aller : il me la nomma. Je m’offris de lui montrer un chemin plus court : je le menai, sans qu’il s’en aperçût, dans la rue Étroite. Lorsque nous y fûmes, je tirai l’épée, bien sûr, d’ailleurs, que personne ne nous troublerait en un jour comme celui-là, où tout le monde est aux églises.

Le commandeur tira aussi son épée, mais il en baissa la pointe : « Eh quoi ! me dit-il, un vendredi saint ! »

Je ne voulus rien entendre.

« Écoutez, me dit-il, il y a plus de six ans que je n’ai fait mes dévotions : je suis épouvanté de l’état de ma conscience. Dans trois jours... »

Je suis d’un naturel paisible, et vous savez que les gens de ce caractère, une fois irrités, n’entendent plus raison. Je forçai le commandeur à se mettre en garde ; mais je ne sais quelle terreur se peignait dans ses traits. Il se mit contre le mur, comme si, prévoyant qu’il serait renversé, il cherchait déjà un appui. En effet, dès le premier coup, je lui passai mon épée au travers du corps.

Il baissa sa pointe, s’appuya contre la muraille et dit, d’une voix mourante : « Je vous pardonne ; puisse le ciel vous pardonner ! Portez mon épée à Tête-Foulque, et faites dire cent messes dans la chapelle du château. »

Il expira. Je ne fis pas, dans le moment, une grande attention à ses dernières paroles, et si je les ai retenues, c’est que je les ai entendu répéter depuis. Je fis ma déclaration dans la forme usitée. Je puis dire que, devant les hommes, mon duel ne me fit aucun tort : Foulequère était détesté, et l’on trouva qu’il avait mérité son sort ; maïs il me parut que, devant Dieu, mon action était très coupable, surtout à cause de l’omission des sacrements, et ma conscience me faisait de cruels reproches. Ceci dura huit jours.

Dans la nuit du vendredi au samedi, je fus réveillé en sursaut et, regardant autour de moi, il me parut que je n’étais pas dans ma chambre, mais au milieu de la rue Étroite, et couché sur le pavé. Je m’étonnais d’y être, lorsque je vis distinctement le commandeur, appuyé contre le mur. Le spectre eut l’air de faire un effort pour parler, et me dit : « Portez mon épée à Tête-Foulque, et faites dire cent messes dans la chapelle du château. »

À peine eus-je entendu ces paroles que je tombai dans un sommeil léthargique. Le lendemain, je m’éveillai dans ma chambre et mon lit, mais j’avais parfaitement conservé le souvenir de ma vision.

La nuit d’après, je fis coucher un valet dans ma chambre, et je ne vis rien, non plus que les nuits suivantes. Mais dans la nuit du vendredi au samedi, j’eus encore la même vision, avec la différence que je vis mon valet couché sur le pavé à quelques pas de moi. Le spectre du commandeur m’apparut et me dit les mêmes choses. La même vision se répéta ensuite tous les vendredis. Mon valet alors rêvait qu’il était couché dans la rue Étroite ; mais d’ailleurs il ne voyait ni n’entendait le commandeur.

Je ne savais d’abord ce que c’était que Tête-Foulque où le commandeur voulait que je portasse son épée. Des chevaliers poitevins m’apprirent que c’était un château situé à 3 lieues de Poitiers, au milieu d’une forêt ; qu’on en racontait dans le pays bien des choses extraordinaires et qu’on y voyait aussi bien des objets curieux, tels que l’armure de Foulque-Taillefer et les armes des chevaliers qu’il avait tués, et que c’était même un usage dans la maison des Foulequère d’y déposer les armes qui leur avaient servi, soit à la guerre, soit dans les combats singuliers. Tout ceci m’intéressait ; mais il fallait songer à ma conscience.

J’allai à Rome et me confessai au grand pénitencier. Je ne lui cachai pas ma vision dont j’étais toujours obsédé. Il ne me refusa pas l’absolution, mais il la donna conditionnelle après ma pénitence faite. Les cent messes au châtel de Tête-Foulque en faisaient partie ; mais le ciel accepta l’offrande et, dès le moment de la confession, je cessai d’être obsédé par le spectre du commandeur. J’avais apporté de Malte son épée et je pris, aussitôt que je le pus, le chemin de la France.

Arrivé à Poitiers, je trouvai qu’on y était informé de la mort du commandeur, et qu’il n’y était pas plus regretté qu’à Malte. Je laissai mon équipage en ville ; je pris un habit de pèlerin et un guide. Il était convenable d’aller à pied à Tête-Foulque, et d’ailleurs le chemin n’était pas praticable pour les voitures.

Nous trouvâmes la porte du donjon fermée. Nous sonnâmes longtemps au beffroi ; enfin le châtelain parut : il était le seul habitant de Tête-Foulque, avec un ermite qui desservait la chapelle, et que nous trouvâmes faisant sa prière. Lorsqu’il eut fini, je lui dis que j’étais venu lui demander cent messes. En même temps, je déposai mon offrande sur l’autel. Je voulus y laisser aussi l’épée du commandeur, mais le châtelain me dit qu’il fallait la mettre dans l’armerie, ou salle des armes, avec toutes les épées des Foulequère tués en duel, et de ceux qu’ils avaient tués ; que tel était l’usage consacré.

Je suivis le châtelain dans l’armerie, où je trouvai, en effet, des épées de toutes tailles, ainsi que des portraits, à commencer par le portrait de Foulque-Taillefer, comte d’Angoulême, lequel fit bâtir Tête-Foulque pour un sien fils manzier, c’est-à-dire « bâtard », lequel fut sénéchal de Poitou, et souche des Foulequère de Tête-Foulque.

Les portraits du sénéchal et de sa femme étaient aux deux côtés d’une grande cheminée, placée dans l’angle de l’armerie. Ils étaient d’une grande vérité. Les autres portraits étaient également bien peints, quoique dans le style du temps. Mais aucun n’était aussi frappant que celui de Foulque-Taillefer. Il était peint en buffle, l’épée à la main, et saisissant sa rondache, que lui présentait un écuyer. La plupart des épées étaient attachées au bas de ce portrait, où elles formaient une sorte de faisceau.

Je priai le châtelain de faire du feu dans cette salle et d’y porter mon souper.

« Quant au souper, me répondit-il, je le veux bien ; mais, mon cher pèlerin, je vous engage à venir coucher dans ma chambre. »

Je demandai le motif de cette précaution.

« Je m’entends, répondit le châtelain, et je vais toujours vous faire un lit auprès du mien. »

J’acceptai sa proposition avec d’autant plus de plaisir que nous étions au vendredi, et que je craignais un retour de ma vision.

Le châtelain alla s’occuper de mon souper, et je me mis à considérer les armes et les portraits. Ceux-ci, comme je l’ai dit, étaient peints avec beaucoup de vérité. À mesure que le jour baissait, les draperies, d’une sombre couleur, se confondirent dans l’ombre avec le fond obscur du tableau et le feu de la cheminée ne faisait distinguer que les visages, ce qui avait quelque chose d’effrayant ; ou peut-être cela me parut ainsi, parce que l’état de ma conscience me donnait un effroi habituel.

Le châtelain apporta mon souper, qui consistait en un plat de truites, pêchées dans un ruisseau voisin. J’eus aussi une bouteille d’un vin assez bon. Je voulais que l’ermite se mît à table avec moi, mais il ne vivait que d’herbes cuites à l’eau.

J’ai toujours été exact à lire mon bréviaire, qui est d’obligation pour les chevaliers profès, du moins en Espagne. Je le tirai donc de ma poche, ainsi que mon rosaire et je dis au châtelain que, n’ayant point encore sommeil, je resterais à prier jusqu’à ce que la nuit fût plus avancée, et qu’il eût seulement à me montrer ma chambre.

« À la bonne heure, me répondit-il ; l’ermite, à minuit, viendra faire sa prière dans la chapelle attenante. Alors vous descendrez ce petit escalier, et vous ne pourrez manquer ma chambre, dont je laisserai la porte ouverte. Ne restez pas ici après minuit. »

Le châtelain s’en alla. Je me mis à prier, et de temps en temps à mettre quelque bûche dans le feu. Mais je n’osais trop regarder dans la salle, car les portraits me semblaient s’animer. Si j’en regardais un pendant quelques instants, il me paraissait cligner les yeux et tordre la bouche, surtout le sénéchal et sa femme, qui étaient des deux côtés de la cheminée. Je crus voir qu’ils me jetaient des regards pleins de courroux et qu’ensuite ils se regardaient l’un l’autre. Un coup de vent ajouta à mes terreurs ; car non seulement il ébranla les fenêtres, mais il agita les faisceaux d’armes, et leur cliquetis me faisait tressaillir. Cependant je priais avec ferveur.

Enfin, j’entendis l’ermite psalmodier ; et lorsqu’il eut fini, je descendis l’escalier pour gagner la chambre du châtelain. J’avais en main un bout de chandelle ; le vent l’éteignit, je remontai pour le rallumer. Mais quel fut mon étonnement de voir le sénéchal et la sénéchale descendus de leurs cadres et assis au coin du feu. Ils causaient familièrement, et l’on pouvait entendre leurs discours.

« Ma mie, disait le sénéchal, que vous semble d’icelui Castillan qui a occis le commandeur sans lui octroyer confession ?

– Me semble, répondit le spectre féminin, me semble, mamour, avoir en ce fait félonie et mauvaiseté. Ains cuidai-je, messire Taillefer ne laissera le Castillan partir du châtel sans le gant lui jeter. »

Je fus très effrayé et me jetai dans l’escalier ; je cherchai la porte du châtelain et ne pus la trouver à tâtons. J’avais toujours en main ma chandelle éteinte. Je songeai à la rallumer, et me rassurai un peu ; je tâchai de me persuader à moi-même que les deux figures que j’avais vues à la cheminée n’avaient existé que dans mon imagination. Je remontai l’escalier et, m’arrêtant à la porte de l’armerie, je vis qu’effectivement les deux figures n’étaient point auprès du feu, où j’avais cru les voir. J’entrai donc hardiment, mais à peine avais-je fait quelques pas que je vis au milieu de la salle messire Taillefer en garde et me présentant la pointe de son épée.

Je voulus retourner à l’escalier, mais la porte était occupée par une figure d’écuyer qui me jeta un gantelet. Ne sachant plus que faire, je me saisis d’une épée que je pris dans un faisceau d’armes et je tombai sur mon fantastique adversaire. Il me parut l’avoir pourfendu en deux mais aussitôt, je reçus au-dessous du cœur un coup de pointe qui me brûla comme eût fait un fer rouge. Mon sang inonda la salle et je m’évanouis.

Je me réveillai le matin dans la chambre du châtelain. Ne me voyant pas venir, il s’était muni d’eau bénite et était venu me chercher. Il m’avait trouvé étendu sur le parquet sans connaissance, mais sans aucune blessure. Celle que j’avais cru recevoir n’était qu’une fascination. Le châtelain ne me fit pas de questions et me conseilla seulement de quitter le châtel.

Je partis et pris le chemin de l’Espagne. Je mis huit jours jusqu’à Bayonne. J’y arrivai un vendredi et me logeai dans une auberge. Au milieu de la nuit, je m’éveillai en sursaut et je vis devant mon lit messire Taillefer qui me menaçait de son épée. Je fis le signe de la croix et le spectre parut se fondre en fumée. Mais je sentis le même coup d’épée que j’avais cru recevoir au châtel de Tête-Foulque. Il me parut que j’étais baigné dans mon sang. Je voulus appeler et quitter mon lit ; l’un et l’autre m’étaient impossibles. Cette angoisse inexprimable dura jusqu’au premier chant du coq. Alors je me rendormis ; mais le lendemain je fus malade et dans un état à faire pitié.

J’ai eu la même vision tous les vendredis. Les actes de dévotion n’ont pu m’en délivrer. La mélancolie me conduira au tombeau, et j’y descendrai avant d’avoir pu me délivrer de la puissance de Satan. Un reste d’espoir en la miséricorde divine me soutient encore et me fait supporter mes maux.

 

 

 

Jan POTOCKI, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1805.

Recueilli dans Les maîtres de l’étrange et de la peur,
de l’abbé Prévost à Guillaume Apollinaire
,
Édition établie par Francis Lacassin,
Éditions Robert Laffont, 2000.

 

 

 

 

 

 

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