Nous reviendrons !

LES CHEVALIERS DE MALTE

1541

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

René POTTIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jamais la France ne fut si grande que lorsqu’elle se fit l’humble servante du Dieu tout-puissant, lorsqu’elle accepta d’agir en « Fille aînée de l’Église ». C’est une vérité de l’histoire facile à contrôler. Il est cependant un fait, l’un des plus glorieux de nos annales, qui semble la contredire : celui de la conquête de l’Algérie.

Hélas ! aux environs de 1830 et pendant les années qui suivirent, les milieux officiels étaient si déchristianisés qu’il fallut les sarcasmes des musulmans devant notre impiété pour obliger nos ministres à fournir la preuve que la France n’était pas un pays d’athées. Ils nommèrent un évêque et l’autorisèrent à constituer un clergé, mais, en même temps, ils agirent de telle sorte qu’ils s’efforcèrent de rendre leur apostolat à peu près impossible auprès des Européens, et tout à fait impossible auprès des indigènes.

Mais impossible, dit-on, n’est pas français ! Ils le montrèrent, ces hommes et ces femmes qui, oublieux des quotidiennes vexations et même passant outre aux menaces, – des prêtres ne furent-ils pas poursuivis pour avoir commis cette faute impardonnable d’avoir appris la langue arabe ! – eurent une conduite de chrétiens fervents et d’ardents patriotes : puisque l’État sous ses formes différentes et successives, royauté, empire, république, paraissait oublieux de nos plus pures traditions, ils se substitueraient à lui pour qu’un peuple infidèle mais profondément attaché à sa foi sût que la France était encore et toujours la patrie où l’on prend comme modèle le Christ doux et humble de cœur, et qui donne sa vie pour le salut de tous.

En Algérie même où nous venions de mettre le pied, on peut parler de tradition : avant la conquête, les différentes interventions armées manifestaient ouvertement que nous entendions défendre la croix ; dans des conditions déplorables et dangereuses, nos missionnaires ne cessèrent de secourir et de faire libérer les esclaves retenus en des geôles infectes par les barbaresques. Mais il y a mieux : un fait peu connu du grand public, – dans l’importante Histoire de l’Afrique du Nord, de Ch.-André Julien, on y trouve à peine une très brève allusion, – et qui cependant, après coup, prend figure d’une prédiction.

La France et les Français n’avaient certes aucune raison d’aimer Charles-Quint, au point surtout de l’aider dans ses entreprises belliqueuses contre la régence d’Alger. Si, en 1541, au moment de sa tentative malheureuse, on trouve à ses côtés des Chevaliers de Malte d’origine française, c’est bien parce que ceux-ci étaient les dignes fils d’un saint Louis. Deux plaques de marbre posées sur les murs d’Alger par les soins du Comité du Vieil Alger commémorent le geste héroïque de nos compatriotes.

Le 23 octobre 1541, la flotte impériale, forte de cinq cent seize voiles, était venue s’embosser devant l’embouchure de l’Harrach, et le débarquement des trente-six mille hommes, marins et soldats, qui composaient le corps expéditionnaire, s’effectua sans trop de difficultés. Presque sans coup férir, l’armée gagna les hauteurs et contempla au-dessous d’elle la ville blanche. Elle paraissait si petite, si mal défendue malgré ses remparts compliqués, qu’un cri de joie s’échappa de toutes les poitrines. On avait compté sans les éléments adverses...

Subitement, le ciel se couvrit, une série d’orages d’une violence extraordinaire se déchaînèrent. Toute manœuvre devint impossible, et, ce qui est pis, la flotte mal abritée ne put achever de mettre à terre le matériel de siège et l’artillerie. Au contraire, elle dut s’éloigner et se réfugier près du cap Matifou, perdant dans ce court trajet cent quarante de ses plus belles unités, comme absorbées par la tempête.

Sans vivres, transpercés par la pluie, fouaillés par la grêle, les soldats se débandèrent par les chemins ravinés et transformés en torrents ; beaucoup même disparurent, emportés par les flots des oueds démesurément grossis. Ce fut une véritable panique. Dans cette fuite, l’honneur fut sauvé par les Chevaliers de Malte.

Ils ne se contentèrent pas de protéger la retraite. Bien que les Turcs et les Maures qui s’étaient d’abord terrés derrière leurs remparts, devant la consternation répandue chez les assaillants, eussent repris courage et le manifestassent par de vigoureuses sorties, les Chevaliers réussirent à contourner la ville fortifiée. Sans souci des traits et des balles tirées par des armes désuètes, et qui mêlaient leur grêle à celle de l’ouragan, ils arrivèrent devant Bab-Azoun. Cette porte était fermée. Une foule de soldats enturbannés la défendaient, tiraillant sans ménager les munitions. Constatant son impuissance, une mâle rage s’empara du porte-étendard. C’était un chevalier français : Pons de Balaguer, dit Savignac. Brandissant son enseigne lacérée par le vent et par les flèches, il s’élança au cri de : « Dieu le veut » ! et, en quelques bonds, au milieu de la mitraille, s’en vint planter sa dague dans le bois dur de la porte. Elle y demeura fichée, et sa poignée dessina au seuil de la ville infidèle le signe rédempteur de la Croix.

– Nous reviendrons ! avait crié Savignac de toute la force de ses poumons.

Hélas ! ni lui ni aucun de ses compagnons ne devaient jamais revenir. Furieux d’avoir vu une de leurs portes marquée de l’emblème chrétien, les janissaires, soutenus par une horde hurlante, se mirent à leur poursuite. Ils les atteignirent à l’endroit où l’ancienne rue de Constantine, – aujourd’hui, rue du colonel d’Ornano, – forme un angle avec la courte rue des Chevaliers de Malte. Les sectateurs du Coran avaient pour eux la supériorité du nombre et celle d’hommes bien nourris, à l’abri des intempéries. Ils firent une véritable boucherie des chrétiens qui tombèrent en si grand nombre que ce lieu s’appela longtemps « tombeau des Chevaliers ». À la tête de ceux-ci, après avoir frappé de taille et d’estoc, succombèrent Durand de Villegaignon et Savignac, deux noms qui sont bien de chez nous et que l’histoire nous a conservés.

Trois cents ans plus tard, la prophétie se réalisait. Le 5 juillet 1830, dignes héritières de ces héros, les armées françaises, commandées par le général de Bourmont, s’emparaient d’Alger.

Nos troupes s’étaient rendues maîtresses d’une capitale prétendue imprenable, mais au nom du roi de France, de ce roi qui n’avait plus que quelques jours à rester sur le trône. Des Français comprirent vite qu’une puissance aussi éphémère était incapable de faire admettre son autorité sur le territoire nouvellement conquis. Les formes gouvernementales ne devaient-elles pas se succéder à une allure effroyable ? Cependant la France demeurait.

La France demeurait, donc elle devait être fidèle à sa mission, c’est-à-dire être grande, noble, généreuse et charitable, jusque dans sa victoire. De nombreux antécédents existaient, prouvant que nos conquêtes n’avaient jamais été le fruit de l’appétit de domination. Obligée par les circonstances, la France avait dû intervenir sur des terres lointaines pour y faire respecter l’ordre et maintenir ses droits, jamais pour brimer ou détruire. Au contraire, en quelque lieu qu’elle s’installât, on voyait aussitôt naître le bien-être avec la sécurité, car, nation chrétienne par excellence, elle appliquait partout le grand principe de charité : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même et pour l’amour de Dieu. » Le Français digne de ce nom ignore donc les préjugés raciaux. Pour lui, un homme, qu’il soit blanc, jaune ou noir, est toujours un homme, c’est-à-dire un frère qu’il faut élever, éduquer, pour lui donner une vie meilleure, tant dans le domaine moral que physique.

Il semble bien que la France de 1830 avait, sinon renié, du moins quelque peu oublié son rôle missionnaire. Encore imbue des idées révolutionnaires antireligieuses, d’une part ; d’autre part, embarrassée d’une conquête à laquelle elle n’avait osé croire et dont elle se demandait si elle la conserverait, elle n’avait pas de plan préétabli.

Dans l’histoire du monde, rien n’est laissé au hasard : la Providence a ses vues que nous ne découvrons que plus tard. Mais était-il possible qu’un pays qui avait donné à l’Église tant de saints et de martyrs, à l’humanité tant de si grands docteurs, était-il possible que le pays des Augustin et des Fulgence, des Monique et des Salsa, était-il possible que ce pays du lumineux soleil, ayant entrevu les lueurs de la vérité, demeurât pour toujours plongé dans l’ombre de l’erreur ?...

Non, la France avait pris pied sur le continent africain, elle se devait d’y rester. Mais puisque la France officielle ne se souciait pas d’apporter avec elle son Dieu et sa foi, chacun des Français avait pour devoir de se substituer à elle et de se faire missionnaire.

Beaucoup le comprirent, et il s’agit bien d’une épopée, mais d’une épopée qui ne sera jamais définitivement écrite. « La vertu qui fait du tapage n’est déjà plus une vertu », chante un père noble dans un opéra-comique célèbre. Et c’est, hélas ! trop vrai. Autant le vice s’accommode d’une tumultueuse réclame, autant la vertu se complaît dans l’ombre et dans le silence. Combien de saints ne jouiront-ils pas au ciel de places excellentes, qui seront passés inaperçus sur cette terre où ils se seront contentés, jour après jour et minute après minute, de faire leur devoir, mais le faire tout, sans marchandage ni récrimination ! Et ces saints auront été des missionnaires, en quelque lieu qu’ils auront vécu, simplement parce qu’ils auront su rendre la vertu aimable.

N’est-ce pas ici le lieu de reproduire ces quelques lignes qui n’étaient pas destinées à la publicité mais qui la méritent car elles résument très bien tout ce que l’on peut dire sur l’héroïsme caché de la vertu ? Elles émanent de la Supérieure d’une société religieuse à qui j’avais demandé quelques renseignements complémentaires sur plusieurs des membres de sa communauté, mais j’affirme que ce que l’on m’écrit là, je l’ai entendu mainte et mainte fois au cours d’une récente enquête, tant en Algérie qu’au Sahara :

« Nous aurions souhaité, cher monsieur, pouvoir vous communiquer des faits plus nombreux et plus précis, mais notre activité missionnaire est le plus souvent faite de petites choses qui ne prêtent pas à remarque. La vie de chacune se perd en l’activité de toutes, et c’est cette coordination de forces humbles et cachées, alimentées aux sources de la grâce, qui crée le rayonnement des missionnaires auprès des âmes auxquelles elles sont envoyées. »

C’est vrai, et l’on ne saurait mieux dire. Une épopée missionnaire risque donc d’être assez terne et assez monotone. Un religieux, une religieuse qui ont consacré parfois plus de cinquante ans de leur existence à faire la classe ou à soigner des malades dans de petits bleds si inconnus qu’on ne sait où les situer sur la carte, et qui, un jour, se sont éteints en demandant à Dieu que leurs œuvres ne meurent pas après eux, ont souvent fait plus pour leur religion et leur patrie que des capitaines aux noms prestigieux. Ils resteront ignorés, et cependant ils auront besogné durement et utilement.

Pourtant lorsqu’il s’agit d’individus ayant vécu dans des sociétés, il est relativement facile, en éveillant les souvenirs de ceux qui les ont connus, de rassembler une gerbe de faits permettant de ressusciter leurs mémoires. Mais lorsqu’il s’agit d’individus isolés, dont les familles ont disparu ou ont essaimé au loin sans laisser de traces, comment les faire renaître ?... Au cours de mes pérégrinations, j’ai souvent entendu dire de tel colon, de tel administrateur, de tel retraité : « Celui-là, c’était un saint » ; ou encore : « Celui-là, c’était un brave homme », ce qui, dans la bouche d’un simple, constitue un brevet de sainteté ; ou encore, et cette fois c’est un indigène qui parle avec son langage imagé : « Celui-là, il avait le cœur blanc. » Mais quand vous voulez des détails, des précisions, des dates, les premiers vous répondent : « J’ai oublié », et le troisième : « Ma nâraf chi, je ne sais pas !... » Ils ont pourtant bien été missionnaires et missionnaires singulièrement actifs, ces hommes dont on n’évoque pas le souvenir sans un sentiment de sainte envie, donc sans un désir d’imitation.

Pour suppléer à cette impossible documentation sur toute une classe de la société, composée de laïcs riches ou pauvres, il y aurait un moyen, ce serait de parler des vivants. Car, – Dieu en soit loué ! – elle est loin d’être disparue cette cohorte de missionnaires que ne distingue aucun costume. Je connais en cette Algérie, en ce Sahara que j’ai tant de fois parcourus, des hommes et des femmes par dizaines, peut-être par centaines, qui sont des apôtres ne songeant qu’à faire le bien et à le faire faire autour d’eux, sans éclats, sans grands gestes ni grands discours. Mais peut-on parler de vivants sans déchirer ce voile de pudeur qu’imposent l’amitié et le respect ? Comment surtout parler de vivants sans nuire à cette humilité exquise sans quoi il n’y a pas de sainteté, ni de véritables missionnaires ?... Sachons seulement qu’ils existent, et que, grâce à eux, la France reste au-delà de la mer ce que, malgré les apparences, elle n’a jamais cessé d’être dans la métropole : une terre de foi et de charité.

Nous nous bornerons donc à esquisser la vie de quelques disparus, les uns illustres, d’autres inconnus ou peu connus. Nous les prendrons dans toutes les classes de la société, chez les militaires comme chez les civils, chez les religieux comme chez les laïcs, car la vertu sait fleurir chez tous les Français. Parmi les religieux, certains ordres ne seront pas représentés, qu’ils nous en excusent et ne croient pas à une négligence de notre part, mais plutôt qu’ils remercient avec nous le Ciel de nous avoir offert une matière si abondante, dont on oserait presque dire qu’elle est trop riche.

Maintenant, laissons parler et agir nos héros et nos saints, nous effaçant le plus possible et nous bornant à les situer dans leur cadre. L’auteur est intimement persuadé de l’importance de ce cadre, dans une épopée missionnaire, aussi n’a-t-il voulu suivre que des personnages ayant vécu dans des contrées qu’il a parcourues. Être apôtre ne nécessite pas en France les mêmes qualités, les mêmes vertus qu’en Algérie et au Sahara. Le climat, le milieu imposent des sacrifices et une abnégation dont notre pays tempéré n’a pas besoin.

Le fait de vivre quotidiennement avec des étrangers est toujours pénible, même lorsque la seule question de langue vous sépare. Quand le costume, les coutumes, les mœurs, la religion sont autant de causes supplémentaires de division, cela peut aller jusqu’à l’incompréhension totale et même jusqu’à la haine. On s’en aperçut bien en cette Algérie où, pour tant d’Européens à peine plus évolués que les indigènes et venus de tous les points de l’horizon méditerranéen, l’Arabe ou le Berbère n’était que le « bicot », une sorte de bête de somme un peu plus intelligente, de qui, par conséquent, l’on pouvait exiger davantage, tout en la nourrissant moins.

Les héros de l’épopée missionnaire française ont répondu en se faisant les apôtres d’une loi toute nouvelle : la loi évangélique par excellence, la loi d’amour. Humainement, ces colons, ces administrateurs, ces soldats, ces médecins, ces prêtres, ces religieux, ces jeunes filles, ces femmes, ces religieuses, arrivés en même temps que les armées victorieuses ou à leur suite, n’avaient aucune raison de ne pas appliquer une autre loi : celle du plus fort. Qu’ils aient agi différemment fut une surprise pour les musulmans ; même, – et peut-être surtout, – dans le domaine religieux, ceux-ci s’attendaient à ce qu’on leur fît ce qu’ils avaient subi tant de fois, c’est-à-dire à ce qu’on leur imposât, au besoin à la pointe de l’épée, la foi qui était la nôtre et qui avait été la leur jadis, avant qu’ils ne se convertissent définitivement à l’Islam après douze reniements successifs, selon le dire de leur historien, Ibn Khaldoun.

Telle ne fut pas, telle ne pouvait être la conduite d’un pays chrétien. Si l’on exagéra dans la suite, la promesse faite au lendemain de la conquête de respecter toutes les religions était la preuve que les éléments les plus déchristianisés de notre patrie étaient encore animés par cet esprit de tolérance compréhensive qui est la fine fleur de la charité. Les missionnaires firent mieux, ils ne se contentèrent pas de supporter l’erreur à leurs côtés, ils aimèrent ceux qui en étaient victimes. Et ils les aimèrent jusqu’à partager leur existence primitive, jusqu’à donner leur temps, leurs affections, leurs biens, leur vie et leur sang pour eux.

Il faut le reconnaître, ces apôtres furent d’abord incompris, mais c’est la grande force de l’amour que d’attirer l’amour. Peu à peu et de part et d’autre, des préjugés tombèrent. Et ils sont nombreux aujourd’hui, malgré les excitations extérieures, les indigènes qui, ainsi que ce vieux bachagha aujourd’hui décédé, nous affirment :

« Sans flatation (il voulait dire sans flatterie), j’aime la France ! »

Pourquoi l’aimait-il ? Ce n’était pas pour ses routes, ses chemins de fer, tout ce confort né du progrès mécanique, dont il se servait, mais en le mettant à sa juste place, puisque c’est le même qui ajoutait :

« La France nous a donné tout cela, et c’est bon, mais si, pour une cause ou une autre, ces machines venaient à disparaître, nous reprendrions nos chameaux, nos mulets ou nos ânes, et nous retrouverions la vie qu’ont connue nos ancêtres. Cependant, quelque chose aurait changé... »

Ce quelque chose que ne savait pas exprimer mon interlocuteur constitue le plus précieux apport de la France et de ses missionnaires. C’est la paix d’abord, qui permet aux familles de se développer sans le perpétuel souci des razzias. C’est l’ordre ensuite, selon saint Augustin, un des principaux facteurs de la paix puisque, d’après sa définition, elle est « la tranquillité dans l’ordre ». Mais ordre et tranquillité peuvent s’obtenir de deux façons : par la contrainte, et ce fut la pax romana, la paix brutale de tous les paganismes ; par le consentement des deux partis en présence, et c’est la paix française et chrétienne.

Peut-être, au cours des pages qui vont suivre, perdra-t-on de vue ces considérations qu’impose la philosophie de l’histoire. Elles se dissimuleront sous l’anecdote, et c’est pourquoi il fallait qu’elles fussent dites. Les personnages qui seront évoqués ont vécu, ont souffert, et quelques-uns sont morts, pour servir ce noble idéal de la charité dont, en définitive, la France bénéficie.

On aurait tort de croire qu’une telle action soit jamais finie. Au reste, si ce livre commence par le récit d’un épisode déjà ancien, c’est pour mieux marquer la continuité de l’effort français à travers les siècles, mais tous nos autres héros appartiennent à l’histoire contemporaine. Quelques-uns sont morts hier. Or hier ne prend toute sa raison d’être que s’il est une porte ouverte sur aujourd’hui et sur demain ; ce sont autant d’exemples qui nous sont proposés.

L’Algérie, le Sahara, nos colonies, en un mot tous ces immenses territoires qu’on appelle si justement la France d’Outre-Mer, réclament des âmes dévouées et courageuses pour que continuent à s’écrire les pages glorieuses de l’épopée missionnaire.

« Âmes bienheureuses, âmes d’athlètes de la charité française, s’écriait le cardinal Lavigerie, obtenez à cette Alger si belle dans les desseins de l’avenir, le repos et la prospérité. Obtenez-nous à nous-mêmes la force de vous imiter. »

Tous ces personnages dont nous allons parler, les uns pour la seule commodité, les autres pour se rapprocher davantage de ces indigènes qu’ils aimaient, se couvraient volontiers d’un burnous, mais sous les plis de cet ample manteau de laine blanche, tous portaient plus ou moins apparente la Croix. Devant une population possédant une religion avec ses dogmes, son organisation, son Livre saint, ils ne pouvaient brandir cette Croix à la manière des missionnaires qui ont en face d’eux des fétichistes arriérés ; ils ne la cachaient pas non plus comme un objet de honte, ils la laissaient seulement apparaître, suffisamment pour que ceux qu’ils souhaitaient de conduire vers leur destin céleste comprissent que, sous le burnous, pouvaient fleurir ces moissons qui répandent la bonne odeur du Christ...

 

 

René POTTIER, La croix sous le burnous, 1950.

 

 

 

 

 

 

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