Le feu et la grêle conjurés

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Henri POURRAT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’INCENDIE du moulin de Chinard, une nuit de Noël, sous la Restauration, fut un terrible incendie. C’était à Ambert, devant le portail ouest de l’église Saint-Jean. Des bluettes volèrent jusqu’à Cleurettes, à une lieue de là ! On eut des craintes pour tout le quartier. Mais le curé d’alors, M. de Rostaing, se fit soulever de terre par deux hommes habillés en militaires, et il conjura le feu.

Ces deux militaires étaient sans doute ses laquais. M. de Rostaing se faisait porter à l’église en chaise par deux laquais en livrée. – Les uns croient qu’il lui fallait n’avoir plus contact avec la terre ; d’autres que c’était la conjuration même qui le soulevait comme un possédé, et que les deux hommes étaient là pour le retenir...

Les prêtres peuvent conjurer le feu, mais ils doivent s’imposer en compensation de rudes pénitences. M. de Rostaing mourut dans l’année, avant de les avoir faites. Le jour de son enterrement, il y eut un tel orage que le cheval du curé de Saint-Ferréol, qui venait à l’office, avait de la grêle jusqu’au ventre dans le chemin et ne put passer le ruisseau d’Aubignat.

 

On raconte de reste que M. de Rostaing avait dit : « Tant que je serai là, il ne tombera pas de grêle sur la paroisse. Mais à ma mort, que verra-t-on ! » Il ne fut pas dans son caveau, ça tomba d’un tel appétit que les gens n’eurent qu’à s’abriter comme ils purent, à se mettre à croupetons, et à rester sur place. Ça les aurait tués.

Un Rolhion, de Grattarelles, se mariait ce jour-là avec une fille du voisinage. Ils vinrent s’épouser à Ambert. Ils rentrèrent chez eux au moulin pour la noce. Il leur fallut se retirer devant le flot, monter au grenier. L’eau arriva, emporta les plats sur la table.

 

Une histoire courait, mais qui n’a pu être bien retrouvée. C’était d’un paysan, qui apportait à la cure l’argent dû pour des messes. Ne rencontrant pas les domestiques, il poussait jusqu’à la chambre du curé. Comme il allait heurter à la porte, il entendait parler, et sans le vouloir il était témoin du pacte que le curé d’Ambert concluait avec le diable, afin qu’il n’y eût de son vivant ni incendie, ni tempête sur la paroisse.

Lors du grand incendie de l’épicerie Ch. qui fit deux victimes, – aux environs de 1900 – il s’est dit que M. le curé V. avait conjuré le feu, empêchant une explosion qu’on redoutait. Mais qu’il avait dû s’engager à accomplir de longues pénitences, et que s’il était mort avant d’avoir pu s’en acquitter, il aurait eu à les faire en l’autre monde.

En 1925, une grosse grêle hacha les récoltes d’une partie du canton d’Ambert. Il fut remarqué par les gens de Saint-Ferréol que tant que leur bon curé, l’abbé Jean, avait vécu, ces calamités leur avaient été épargnées, pour tomber sur eux dès qu’il était mort.

 

 

Henri POURRAT,

Légendes du pays vert, 1974.

 

 

 

 

 

 

 

 

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