Dom Joan d’Armada

 

 

SON altesse, que Dieu garde, donna l’ordre à l’amirauté que le comte se préparât le matin à prendre le large. Comme le comte se prépara d’une merveilleuse façon ! Il fit, à l’heure de minuit, tirer le canon de partance. Il y eut alors bien des larmes répandues tout le long du quai. Les mères pleuraient pour leurs fils, craignant de ne les plus revoir. En arrivant sur le navire, on entendait grandes rumeurs. Là le maître et les contremaîtres se montraient actifs à l’envi. Ah ! quel noble commandant a cette royale frégate, donnant signaux dans des sifflets, des sifflets neufs garnis d’argent ! Ah quel noble commandant a ce royal bâtiment, donnant signaux dans des sifflets, des sifflets neufs entourés d’or.

Dom Joan naviguait, suivant la route ordonnée, on était au milieu du jour, il envoya son gabier sur la hune. Le gabier monte incontinent pour voir ce qu’il découvrirait. Monté à la pointe du mât, il s’écria d’une voix haute. – Mettez en batterie, Dom Joan, et chacun à ses pièces. Voici une si grande flotte qu’elle cacherait soleil et lune.

Dans cette flotte qui venait, commandait un renégat. Celui-ci jurait par sa barbe que dom Joan le lui payerait. Dom Joan qui l’a entendu se sent tout rempli de tristesse. Saisissant un Christ en ses bras, il s’écrie de la poupe à la proue : – Ô petit fils de sainte Anne, fils de la vierge Marie, ne permettez pas, ô Seigneur, que sur nous l’emporte la Turquie ; ne permettez pas que les Mores se remplissent d’orgueil et que vos fils se remplissent de couardise.

Les deux flottes s’abordèrent quand on fut au milieu du jour. La fumée était si grande qu’on ne pouvait plus se voir. Le boulet qu’envoyait Dom Joan était de fer et brisait tout. Le boulet qu’envoyaient les Turcs se brisait en petites balles. Tant de sang était répandu qu’il s’écoulait par les dalots, il y avait tant de cadavres qu’ils empêchaient les manœuvres. De sept cents il ne restait plus que quatre-vingts sur une galère, avec ses mâts brisés, son château de poupe démoli, avec son pavillon à la traîne, à la honte de la Turquie.

En arrivant dans leur pays, ils jetèrent l’ancre en lieu sûr, et leur roi qui les attendait demanda ce qui était arrivé. – C’est Dom Joan d’Armada qui a tout coulé bas. Le roi répondit : – Je n’ai regret de mes navires, j’en ferai faire de meilleurs, j’ai regret de mes hommes qui étaient la fleur de la Turquie. Qui a gagné cette bataille de si grande importance ? – C’est Dom Joan d’Armada qui est le roi de la bravoure.

 

 

 

Théodore Boudet, comte de PUYMAIGRE,

Choix de vieux chants portugais,

traduits et annotés par

le comte de Puymaigre,

1881.

 

 

 

 

 

 

 

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