L’incendie

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Francesco SOAVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une nuit, dans une maison habitée par de pauvres gens, le feu se déclara avec une grande violence. Dans une pièce du rez-de-chaussée, un tison mal éteint ou mal couvert avait communiqué le feu à des fagots, puis à des meubles ; de là il avait gagné la porte, l’avait brûlée, et, se répandant dans l’escalier, qui était en bois aussi, il avait atteint le toit, à travers lequel on voyait s’élever les flammes.

Les habitants, plongés dans le sommeil, furent réveillés par la fumée et par le pétillement de la flamme ; courant vers l’escalier pour se sauver, ils virent qu’il était tout en feu, et se mirent alors à pousser de tous côtés des cris perçants. Les voisins, effrayés par ce tumulte, se lèvent, accourent et se trouvent en présence de la scène la plus épouvantable qu’on puisse imaginer : le rez-de-chaussée tout en feu, les pièces contiguës déjà atteintes, les étages supérieurs près d’être envahis ; le toit surmonté par une colonne de flamme débouchant de l’escalier ; enfin les fenêtres remplies de gens qui, placés entre deux feus et privés de la seule issue que l’escalier eût pu leur offrir, criaient de toute leur force et demandaient du secours.

Chacun, soit d’un côté, soit d’un autre, s’empressa d’apporter des échelles, qui, appliquées aux fenêtres, fournirent à ces malheureux le moyen de sortir et de se sauver. Quelques-uns, plus courageux, se laissèrent glisser le long des cordes qu’on leur jeta. Ceux qui se trouvaient aux fenêtres les plus basses sautèrent à terre ; trous enfin, d’une manière ou d’une autre, réussirent à s’échapper du foyer.

Il ne restait plus que deux enfants, qui se trouvaient dans une petite chambre du dernier étage. Leur père, alors sorti avec le maître qu’il servait, les avait malheureusement laissés seuls. Ne pouvant s’aider en aucune façon, ils demandaient du secours en criant ; mais, quoique les assistants se sentissent émus de compassion, aucun d’eux ne savait comment les sauver. La chambre où ils étaient n’avait d’autre issue qu’une lucarne en bois qui était déjà la proie des flammes, et l’on ne pouvait pénétrer dans cette pièce que par la fenêtre d’une chambre voisine, les deux pièces se communiquant. Mais, outre que cette fenêtre était à une grande élévation, déjà les flammes commençaient à la gagner, et il y avait un danger de mort évident pour qui aurait tenté cette voie de salut.

En ce moment arriva Mgr Apochon, qui, à la vue du péril imminent que couraient ces deux pauvres petites créatures, se sentit le cœur vivement remué par la pitié et par l’horreur. Ne croyant pas toutefois qu’il y eût certitude de succomber pour qui se hâterait de leur porter secours, afin de décider quelqu’un à en faire la tentative, il offrit à haute voix une récompense de cent louis d’or pour celui qui s’y résoudrait. Personne n’accepta sa proposition ; alors, pensant qu’on ne trouvait pas la somme proportionnée au danger, il la doubla aussitôt ; mais cette nouvelle offre n’eut pas plus de succès ; chacun des assistants tenait trop à la vie pour l’aventurer à aucun prix et avec si peu de chances d’en revenir sain et sauf.

Reconnaissant l’inutilité de ses promesses, le charitable et courageux prélat s’écria : « À Dieu ne plaise que nous qui sommes ici regardions tranquillement périr dans les flammes ces deux pauvres victimes ! Ce que personne n’ose faire, je le ferai, moi. » À ces mots il ordonne qu’on attache deux échelles au bout l’une de l’autre, une seule ne suffisant pas ; on les appuie contre la fenêtre de la chambre voisine ; puis il monte bravement, traverse les flammes pour rejoindre les deux enfants, en prend un sur ses épaules et l’autre sous son bras, redescend par l’échelle au milieu de la foule stupéfaite et attendrie, et emporte ceux qu’il vient de sauver.

Pourquoi de tels hommes sont-ils si rares sur cette ! Ou pourquoi, à peine nés et connus, sont-ils si promptement ravis au monde, dont ils sont les bienfaiteurs et les modèles !

 

 

 

Francesco SOAVE, La bienfaisance ingénieuse.

 

Recueilli dans Les bijoux volés et autres nouvelles, 1875.

 

 

 

 

 

 

 

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