Thierenbach

 

 

À MA SOEUR

MADAME EUGÈNE CHARPENTIER

 

 

Sur les plis onduleux des pentes du Ballon,

Thierenbach est niché dans un riant vallon,

Formant, en ses contours, un cirque de verdure,

Dessiné par le temps, orné par la nature,

Encadré de forêts dont les sombres sapins

Et les chênes altiers s’étagent en gradins :

Vasque de jaspe vert, d’émeraudes parée,

Où lentement s’écoule une source azurée,

Qui creuse dans les prés, aux exquises senteurs,

Une nappe d’opale en un cercle de fleurs.

 

En l’an sept cent vingt-huit, de Murbach les saints prêtres,

Disciples de Pirmin, dans ces sites champêtres,

Dressèrent un autel à la mère de Dieu.

Des miracles fréquents éclataient en ce lieu,

Où la Vierge voulut, par sa présence même,

Nous rappeler à tous que sa douleur extrême,

En embrassant son fils qui venait d’expirer,

Nous invite à souffrir, mais nous dit d’espérer.

À des pâtres, un jour, assise dans la nue,

En pleurs, portant son fils, elle était apparue.

 

Dans le siècle douzième, un généreux seigneur,

Udalric d’Eguisheim, voulut qu’avec honneur,

Au culte de Marie, en ce pèlerinage,

Fût rendu, pour toujours, un magnifique hommage :

Thierenbach eut son temple agrandi, restauré ;

Et, tout auprès, il fit bâtir un prieuré,

Que l’abbé de Cluny, pierre le Vénérable,

Bénit et consacra... D’une voix admirable

Qui montait vers le ciel, entraînant tous les cœurs,

L’orateur implora la Vierge des douleurs.

 

Sous les noyers ombreux et sur la verte pente,

De la route qui monte et doucement serpente,

Une source jaillit, en un jet de cristal.

Notre-Dame voulut l’offrir, comme un régal,

Aux pèlerins lassés, car cette eau bienfaisante,

Par son divin pouvoir et sa vertu puissante,

Aux aveugles donnait, douce comme le miel,

La joie et le bonheur de regarder le ciel,

De contempler, ravis, l’image de la Vierge

Qu’éclairait en tremblant la flamme de leur cierge.

 

Un jeune homme de Soultz, fils de riche seigneur,

Luttait contre la mort, consumé de langueur.

Les siens, découragés, perdaient toute espérance.

En Notre-Dame, il mit sa pleine confiance.

Sa mère le mena, porté sur un brancard,

Devant l’image sainte, implora le regard

De la mère du Christ, qui, voyant l’enfant pâle,

Gisant comme son fils et leur détresse égale,

Eut pitié !... Le jeune homme, aussitôt se dressant,

Marcha jusqu’à l’autel, guéri, reconnaissant !...

 

Il consacra son or au saint pèlerinage,

De Cluny prit la règle et mourut en grand âge.

Les paroissiens de Soultz, que ce prodige émut,

Des biens de la commune offrirent un tribut :

Les nobles, les bourgeois avec grande abondance,

Les pauvres, les manants, selon leur indigence,

Donnèrent leur offrande. Une procession

Fut établie au jour dit de l’Invention ;

Souvenir de ferveur, de foi du moyen âge,

Qui, depuis cette époque, en est le témoignage.

 

Les villages voisins : Jungholtz, Rimbach, Wuenheim,

La ville de Rouffach, Bollwiller, Isenheim,

Chaque année, un matin de la saison fleurie,

Allaient à Thierenbach pour honorer Marie.

Et leurs processions, dans les bois et les prés,

Déroulaient des replis en rubans diaprés.

Tous croyaient, espéraient en la sainte Madone,

Et, leur cierge à la main, priant devant l’icone,

Demandaient son appui pour les dons temporels,

Et son divin secours pour les biens éternels.

 

Des pays éloignés et de l’Alsace entière,

Les pèlerins venaient, unissant leur prière.

Prodiges éclatants, miracles confirmés,

Toujours étaient par eux au retour proclamés.

Des ex-voto nombreux ornaient le sanctuaire,

Témoignages naïfs de piété sincère :

Paysannes, bergers priant pour leurs troupeaux,

Malades, accidents, tous peints sur ces tableaux,

Où se voyait toujours, assise dans la nue,

La Vierge douloureuse, aux pâtres apparue.

 

Les siècles ont passé, le temple fut détruit...

Et vous brillez encore, étoile dans la nuit,

Vierge de Thierenbach, qui protégez l’Alsace

Et, bénissez l’effort de sa vaillante race,

Que nos mères priaient, qu’invoquaient nos aïeux !

Du ciel écoutez-nous, daignez jeter les yeux

Sur notre cher pays, donnez-lui confiance

En ses mâles vertus : énergie, espérance !

Que, fidèle au passé, par sa foi rassuré,

Il conserve toujours votre culte sacré !

 

 

 

Georges SPETZ,

Légendes d’Alsace, 1905.