La baguette divinatoire

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jules-Paul TARDIVEL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’usage de la baguette divinatoire pour découvrir les sources est assez répandu en Amérique, du moins aux États-Unis et au Canada ; et les sourciers sont assez nombreux. Ils se servent invariablement, je crois, d’une branche de coudrier.

À ce propos, disons en passant, que la croyance populaire semble attacher aux opérations des sourciers un certain caractère surnaturel – du moins en Angleterre, – puisque, en anglais, le coudrier qui fournit la baguette divinatoire se nomme : witch-hazel (noisetier des sorciers).

Mais venons aux faits.

L’été dernier, je visitais la partie Est de la province de Québec, et j’eus l’occasion de voir, pour la première fois, un sourcier à l’œuvre. L’endroit – la paroisse de Saint-A. – est très élevé. C’est un vaste plateau situé à sept cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Les cours d’eau y sont très rares, et les cultivateurs sont obligés de creuser des puits. Pour n’avoir pas à travailler en vain, ils ont recours aux sourciers.

Lors de mon passage à Saint-A., le curé de la paroisse, M. l’abbé P., chez qui j’étais descendu, faisait creuser un puits près du presbytère. Le sourcier de la région, un brave cultivateur acadien, avait indiqué l’endroit avec précision, et avait même déclaré qu’on trouverait de l’eau à une trentaine de pieds de profondeur. Les hommes engagés par M. le curé travaillaient sans grande confiance, car le terrain qu’ils foraient était sec et dur, et rien à la surface n’indiquait la présence d’une source. Ils persévérèrent cependant, et à une profondeur d’une trentaine de pieds, ils trouvèrent une source abondante.

Le lendemain, nous trouvant, M. le curé P. et moi, chez le curé voisin, M. l’abbé R., la conversation s’engagea sur ce phénomène dont la réalité, l’objectivité semblait incontestable. J’émis timidement quelques doutes.

– Ne serait-ce pas un coup du hasard ? Est-ce le diable ?

– Ni l’un ni l’autre, fit M. le curé P. Ce n’est pas le hasard, certainement, car notre sourcier ne manque jamais son coup. Du reste, je l’ai vu à l’œuvre plus d’une fois : arrivé à l’endroit où se trouve la source, la baguette se tord visiblement dans ses mains. Et ce ne peut pas être un mauvais esprit qui agit. Non seulement mon sourcier est un excellent catholique qui ne songerait seulement pas à invoquer le diable, mais j’ai eu soin de bénir sa baguette, pour plus de précaution.

– Voici du reste, fit remarquer M. le curé R., notre hôte, en se dirigeant vers sa bibliothèque, ce que dit la théologie à ce sujet.

« L’usage de la baguette divinatoire est défendu, si elle tourne au gré de celui qui la tient. On ne peut pas, non plus, l’employer pour trouver des choses perdues. Mais si elle tourne indépendamment de la volonté de celui qui la tient, sur les sources, sur les mines, par exemple, plusieurs auteurs disent, avec une probabilité sérieuse, qu’on peut s’en servir en protestant contre toute intervention diabolique. » (Abrégé de théologie dogmatique et morale, par l’abbé G. Berthier, M. S. 1852. N° 2284.)

– L’opération n’est donc pas diabolique en soi, dit M. le curé P., autrement tous les théologiens seraient d’accord pour la condamner absolument. Elle paraît, cependant, quelque peu risquée ; car le sourcier se trouve sur le terrain mystérieux qui avoisine le monde invisible. C’est encore le naturel, mais le préternaturel n’est pas loin. Sur ce terrain-là, les incursions des esprits malins doivent être faciles et fréquentes.

L’idée de toute intervention diabolique étant écartée, du moins dans le cas particulier qui nous occupait, je devins sceptique.

– Votre sourcier, dis-je, est de bonne foi, je veux le croire, mais il se fait illusion. C’est l’élasticité de la branche, d’un côté, la tension des muscles, de l’autre, qui produisent la torsion de la baguette.

– Et la source trouvée à l’endroit indiqué ?

– Simple coïncidence !

– Eh bien ! répondit M. le curé P., vous allez l’essayer vous-même, vous êtes peut-être sourcier.

De retour à Saint-A., je fis l’expérience. Je pris la branche de coudrier, la tenant selon les indications qui me furent données.

– J’ai déjà béni le hart, dit M. le curé, mais pour plus de sûreté, voici !

Et il plaça son chapelet sur mes mains et autour de la branche.

– Si elle tourne, vous ne direz pas que c’est le diable qui la fait tourner. Marchez, maintenant !

Je m’avançai vers l’endroit où on avait trouvé la source. D’abord, je ne sentis rien. Puis tout à coup, aussi vrai que je vous écris en ce moment, la baguette se mit à se tordre dans mes mains d’une façon saisissante. C’était comme si une main invisible avait subitement accroché un gros poids au bout de la branche. J’étais radicalement impuissant à empêcher la baguette de se courber vers la terre. Je restai tout interloqué.

– Est-ce le hasard, cela, ou un simple mouvement musculaire, monsieur le sourcier ? me demanda triomphalement le curé.

J’étais obligé d’avouer que ce n’était ni l’un ni l’autre.

De ces faits, dont je vous affirme la parfaite exactitude, il me semble qu’on peut logiquement tirer les conclusions suivantes :

1° Le phénomène dont il s’agit est réel. Une force extérieure fait plier la baguette lorsque le sourcier s’approche d’une source cachée.

2° Dans les circonstances relatées plus haut, l’hypothèse de l’intervention d’un mauvais esprit paraît inadmissible.

3° L’intervention d’un bon esprit est également improbable, ce me semble.

4° Il faut donc que le phénomène soit produit par les seules forces de la nature.

5° On est sourcier sans le savoir.

Natura non facit saltum. N’est-il pas permis de croire que dans le vaste espace qui existe entre la matière brute et le monde spirituel se trouve une série de substances de plus en plus ténues à mesure qu’on monte vers l’invisible : des fluides, des forces, que sais-je ? Entre la pierre, le bois, l’eau, la terre, et l’esprit inférieur, bon ou mauvais, n’y aurait-il pas un autre monde, qui n’est pas le monde des intelligences angéliques, mais qui est en même temps un monde invisible et inconnu pour l’homme depuis la chute originelle ? De ce monde invisible et inconnu, nous saisissons comme par hasard quelques effets, mais les causes nous échappent entièrement. N’est-ce pas ainsi qu’il faut expliquer les phénomènes de la baguette des sourciers ?

 

 

 

 

Jules-Paul TARDIVEL.

 

Paru dans La Revue du monde invisible en 1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

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