La Voie lactée

 

 

 

À cette heure, la lampe est éteinte. Au dehors la nuit est claire et silencieuse. Tous les souvenirs des jours passés vous reviennent et les doux contes s’envolent en troupes bleuâtres.

Le cœur ravi s’enivre alors de sa mélancolie.

Dans la nuit éblouissante de l’hiver, les astres brillants nous regardent avec un si heureux sourire qu’il semble que la mort ait abandonné la terre. Comprends-tu ce muet langage ? Moi, je sais un conte : ce sont les étoiles qui me l’ont appris... Veux-tu l’écouter ?

Parmi les splendeurs du crépuscule, il demeurait sur une étoile. Elle habitait sur un autre soleil, très loin de lui ; et elle s’appelait Salami, et il s’appelait Zulamith.

Autrefois ils avaient vécu sur la terre, et ils s’étaient aimés, et ils s’aimaient toujours. Hélas ! à présent, n’étaient-ils pas séparés par la nuit, la mort, la douleur et le péché ! Dans le calme de la tombe, il leur poussa des ailes blanches, mais, tu le sais, ils furent condamnés à vivre éloignés l’un de l’autre sur deux étoiles différentes.

Dans leur solitude, au fond de l’éther bleu, chacun d’eux pensait à l’autre. Entre eux, il y avait un espace infini, rayonnant d’éclairs et de soleils. Des mondes innombrables, ouvrage de la main du Créateur, se dressaient étincelants entre Salami et Zulamith.

Un soir, consumé par un désir irrésistible, Zulamith se met à construire un arc de lumière de son étoile à l’étoile aimée. Salami, devinant sa pensée, l’aide à jeter un pont d’un pôle à l’autre.

Ainsi, durant mille années, ils bâtissent avec une foi inébranlable ; et voilà que s’élève la voie lactée, pont d’astres brillants, qui couronne la voûte la plus haute du ciel, entoure de ses bras le lumineux zodiaque et unit les deux rives de l’océan des airs.

À cette vue, les chérubins furent saisis de désolation ; leur vol s’élança vers Dieu : « Seigneur, ô Seigneur, regarde ce que Salami et Zulamith ont élevé ! » Mais Dieu tout-puissant sourit, et une grande lueur illumina l’espace. « Ce que l’amour a créé, dit-il, je ne le détruirai pas. »

Lorsque le pont fut achevé, Salami et Zulamith coururent dans les bras l’un de l’autre. À ce moment, un astre radieux, le plus radieux de la voûte céleste, surgit sous leurs pieds.

Ainsi s’épanouît le cœur en un moment de joie après mille années de souffrance.

Et tous ceux qui sur la sombre terre se sont aimés tendrement et loyalement, et ont été séparés par le péché, par la mort cruelle ou par la nuit de la tombe, sois assuré qu’ils retrouveront leur amour et que leur désir sera apaisé, s’ils ont seulement le pouvoir de se créer un pont, pont idéal, d’un monde vers un autre monde.

 

 

 

Z. TOPÉLIUS.

 

Traduit par Betty Boman

et Madeleine Pape-Carpantier.

 

Recueilli dans Le roi Fialar,

Garnier Frères, 1879.

 

 

 

 

 

 

 

 

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