Le Jésus de cire

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jean VARIOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FRITZEL, le fils du louvetier, était seul à la maison, ce soir-là. Son père ne devait rentrer qu’au matin, ayant une longue chasse à mener, du côté de Dabo, et l’enfant, craintif, ne pouvait dormir et restait près de la haute cheminée où mouraient les tisons. L’horloge battait lentement, et la veilleuse ne jetait qu’une faible lueur.

Dehors, la neige qui tombait étouffait tous les bruits de la nature, et Fritzel, dans le silence de la nuit, restait les yeux grands ouverts, n’osant bouger.

Pourtant, il se leva et fut chercher l’enfant Jésus de cire que son oncle le chanoine lui avait donné pour Noël, et il le tint dans ses bras comme s’il redoutait quelque malheur.

Une sorte de reniflement se fit entendre contre le bas de la porte. « C’est Proll, le chien du veilleur de nuit », pensa-t-il. Mais on grattait contre le bois comme si une main remuait la poignée. Alors Fritzel, tremblant, alla fermer le verrou.

Le grattement reprit de plus belle et ne s’arrêtait que quelques secondes ; puis il semblait qu’on respirait très fortement. Et soudain, une menace rauque déchira l’air, répétée par les échos de la vallée. La porte violemment secouée cédait et grinçait sous une poussée violente. Fritzel, blanc comme le linceul des morts, lâcha le Jésus de cire qui tomba sur le bord de l’âtre, souriant toujours et les bras tendus dans un geste de tendresse.

La voix maintenant se faisait plus haletante et la porte cédait toujours. Enfin le loup entra ! C’était une grosse bête noire et grise, aux yeux de feu, à la gueule sanglante. D’un bond il fut sur Fritzel qu’il renversa sous ses pattes. La voix féroce se faisait joyeuse, mais le Jésus de cire, tout blond et tout rose, se leva et saisit le loup à la gorge ; souriant toujours, il le serra de ses petits bras potelés et la bête râla, gémit, se renversa en frémissant et mourut.

À ce moment, le louvetier entra.

« Voici la bête, cria-t-il, que je poursuis depuis deux jours ! Fils ! tu l’as échappé belle ! »

Et il embrassa son enfant, cependant qu’il repoussait du pied jusqu’à la porte le cadavre du loup. L’enfant Jésus souriait toujours, ses deux bras tendus pour bénir.

 

 

 

Jean VARIOT, Légendes religieuses d’Alsace, 1916.

 

 

 

 

 

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