Les preuves historiques du christianisme

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

André-Marie AMPÈRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait d’un Mémoire inédit

 

D’AMPÈRE

 

SUR LES

 

PREUVES HISTORIQUES DU CHRISTIANISME

 

AVEC UNE INTRODUCTION PAR M. VALSON, DOYEN DE LA FACULTÉ

CATHOLIQUE DES SCIENCES DE LYON

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

Au commencement de ce siècle, il se produisit un France un mouvement religieux extrêmement remarquable.

Chacun se rappelle comment avait fini le siècle précédent. Le scepticisme et l’immoralité des classes dirigeantes, d’une part, de l’autre, les rêveries sociales et les utopies politiques des philosophes avaient longuement préparé la grande crise révolutionnaire, et avaient enfin déchaîné cette terrible tempête qui bouleversa si profondément la vieille société française.

La Religion et l’Église avaient été l’objet plus particulier d’une violente persécution ; on en voulait surtout à ce qui est chrétien, et, déjà à cette époque on disait : « Le christianisme, voilà l’ennemi. » En conséquence, le culte avait été proscrit et les églises fermées ; les prêtres étaient traqués comme des malfaiteurs et périssaient en foule sur les échafauds. Enfin les maîtres du jour avaient pris des soins infinis pour faire disparaître des mœurs, des coutumes, de la vie publique ou privée le souvenir même des idées chrétiennes.

Bien des institutions disparurent sans retour dans la tourmente révolutionnaire ; pour l’Église il s’agissait simplement d’une éclipse. Lorsqu’un astre opaque passe devant le soleil, celui-ci cesse d’être visible, mais il ne cesse pas pour cela d’être lumineux ; et lorsque l’éclipse est terminée, l’astre du jour répand de nouveau sur la nature des rayons qui n’ont rien perdu de leur force ni de leur fécondité ; leur action bienfaisante est même rendue ainsi plus sensible et plus précieuse.

C’est précisément ce qui arriva pendant les premières années de ce siècle. Le Concordat venait d’être signé ; les églises s’ouvraient de nouveau au culte, et les fidèles s’y précipitaient en foule, avides de retrouver les anciennes cérémonies, de recueillir la parole sainte et de rentrer en possession du précieux trésor qui leur avait été ravi. Le mouvement était du reste général ; de toute part les esprits revenaient au christianisme, et ce retour se manifestait sous les formes les plus diverses.

Le travail dont nous allons donner un extrait se rapporte précisément à cet ordre d’idées, et il offre un intérêt tout particulier parce qu’il montre quelle était alors la nature des aspirations religieuses chez les hommes les plus intelligents.

Dans le courant de l’année 1804, il s’était formé à Lyon une association sous la dénomination de « Société Chrétienne ». Les membres qui en faisaient partie s’étaient proposé de mettre en commun leurs efforts et leurs lumières en vue d’étudier la religion, de raffermir leur foi et de ressaisir les preuves de leurs croyances qui avaient eu à subir de rudes épreuves au milieu du désordre des évènements et de la perturbation profonde des esprits.

À la tête de cette petite société se trouvait un homme dont le nom n’était pas encore célèbre mais qui, par la sublimité de son génie et par l’éclat de ses découvertes, devait bientôt devenir l’une des grandes illustrations de la France et l’une des gloires les plus pures de l’histoire des sciences : il s’agit d’André Marie Ampère.

Les procès-verbaux des séances de la « Société chrétienne » ont été conservés dans la famille de M. Bredin, et c’est à la bienveillance de l’un des membres de cette famille que je dois d’en avoir eu communication. Ils nous apprennent que la société fut fondée le 4 ventôse, an XII (24 février 1804). Les premiers membres furent MM. Ampère président, Bredin secrétaire, Chatelain, Deroche, Grognier, Baret, Ballanche, auxquels vinrent bientôt se joindre dix nouveaux associés dont les noms sont restés, pour la plupart, bien connus dans la ville de Lyon.

Dès le début, les premiers associés « décidèrent que, pour avoir l’avantage de conférer ensemble sur les principes de la morale chrétienne, ils formeraient une société dont ils signèrent, le même jour, les articles réglementaires ».

Le procès-verbal ajoute : « Ce que l’on regarde comme une très heureuse idée, c’est que, pour échapper à la nécessité de discuter un règlement, on s’abandonne, avec une confiance absolue, à la conduite du président. Celui-ci fut chargé de gouverner la société selon ce qu’il jugerait être le plus convenable, et tous les membres promirent d’exécuter avec zèle ce qu’il leur prescrirait. »

Ampère fut donc le fondateur, le président-directeur, en un mot, l’âme de cette société.

Voici maintenant quelques indications relativement aux questions traitées ; on les trouve dans le procès-verbal de la séance du 2 mars 1804.

« M. Bredin. – Importance de la connaissance de la destination de l’homme.

« M. Grognier. – L’homme trouve-t-il en soi les moyens de connaître sa destination ?

« M. Ballanche. – Doit-il, peut-il y avoir une révélation ?

« M. Baret. – La révélation porte-t-elle des caractères essentiellement divins ?

« M. Deroche. – Histoire de la révélation depuis l’origine du monde.

« M. Ampère. – Exposé des preuves historiques de la révélation.

« M. Chatelain. – Comparaison de la morale chrétienne et de celle des philosophes.

« M. Ballanche. – Influence du christianisme sur le genre humain. »

St l’on veut, d’ailleurs, avoir une idée de la manière dont les questions étaient traitées, si l’on veut, en outre, se rendre compte des discussions, souvent très vives et très serrées, qui s’élevaient entre les membres, à l’occasion des travaux communiqués, il suffit de consulter le cahier des procès-verbaux. Le compte-rendu abrégé d’un secrétaire est toujours plus ou moins pâle et décoloré ; et cependant on peut voir que les membres prenaient leur tâche fort au sérieux, et que l’argumentation s’élevait parfois à un niveau très élevé. On pourra en juger par la citation suivante que j’emprunte à la séance du 18 ventôse, an XII (vendredi, 9 mars 1804). C’est le résumé d’une discussion, relative à l’établissement du christianisme, qui s’était élevée entre M. Ampère et M.B. l’un des membres nouvellement admis.

« M. B. – On regarde l’établissement du christianisme comme quelque chose de surnaturel, mais on ne songe pas que les souverains ont aidé à l’établissement et à la propagation de cette religion.

« M. Ampère. – Prouve à M. B. que les souverains n’ont pas favorisé les progrès du christianisme dans les premiers temps ; qu’ils ont fait, au contraire, tous leurs efforts pour l’éteindre. Il est remarquable que, lorsque Constantin a adopté le christianisme, la moitié du peuple romain suivait déjà cette religion. On a même accusé cet empereur d’avoir embrassé cette croyance dans l’intention de plaire au peuple ou de se faire des partisans. Plus on réfléchit sur l’établissement de notre religion, et plus on le trouve étonnant et miraculeux.

« M. B. – Et pourquoi s’étonnerait-on davantage de voir une opinion se propager, que de voir un empire s’étendre ?

« M. Ampère. – Un empire s’agrandit ; rien de plus naturel, rien de plus simple. Je vois là l’effet ordinaire des passions humaines, etc. Mais des opinions mystérieuses, une doctrine contraire aux penchants les plus violents du cœur humain, reçus par les hommes de toutes les nations, de tous les états, de tous les rangs, etc.! Voilà qui n’est pas conforme aux lois ordinaires de notre monde ; voilà qui est contraire à toute probabilité humaine.

« M. B. – Quoi qu’on puisse dire sur l’insuffisance de la raison, je sens qu’elle suffit pour me dire, qu’après ma mort, il y aura plaisir ou peine ; et sur cette idée se fonde toute la morale, sans qu’il y ait besoin de recourir à aucune révélation.

« M. Ampère. – Ma raison ne me dit pas cela d’une manière si claire et si nette. Ma raison me dit qu’il y aura plaisir, peine... ou peut-être rien. De fortes présomptions en faveur d’une vie à venir : voilà tout ce que je trouve sous la révélation.

« À ce moment, MM. Ballanche, Grognier et Baret interviennent et montrent que, par les lumières de la simple raison, les plus grands philosophes de l’antiquité ont, à la vérité, connu l’immortalité de l’âme ; mais qu’ils n’ont pu rendre populaire leur enseignement qui restait à l’état d’opinion particulière.

« M. Ampère ajoute : Socrate et Pythagore ont annoncé un envoyé céleste. Ils ont reconnu formellement l’insuffisance de leur raison.

« Ainsi que vient de le remarquer M. Ballanche, la morale de Socrate ne peut devenir populaire ; et cependant la vraie morale doit être pour tous. Les savants ne doivent pas avoir le droit exclusif de pouvoir être bons et heureux.

« MM. Baret et Grognier montrent ensuite l’insuffisance de la seule raison pour nous instruire sur tout ce qui concerne la sanction de la loi morale. En vain parlera-t-on de la voix de la conscience ; le remords n’est pas proportionné à la faute ; il est même en raison inverse de la gravité des crimes, etc.

« M. Ampère. – C’est que le remords est une grâce qu’il faut mériter. Il doit être d’autant plus vif qu’on en est plus digne. Heureux l’homme qui peut sentir de vifs remords !

« Relativement à ce que nous disions sur les philosophes, il est à remarquer que leurs disciples n’ont point conservé leurs opinions sans les altérer ; que les écoles qu’ils ont laissées se sont toujours divisées ; tandis que les apôtres ont prêché la même doctrine sur tous les points du monde. Ils étaient éloignés les uns des autres, sans aucune communication entre eux ; et cependant il n’y avait pas la moindre différence entre leurs principes ; etc.

« Il me paraît que, de tout ce qu’on vient de dire, il faut conclure que la raison humaine est incapable de s’élever toute seule aux grandes vérités qui concernent notre destination future. »

Les séances de la Société Chrétienne, inaugurées avec tant de zèle et d’ardeur, ne devaient pas être de longue durée. À la fin de la même année 1804, celui qui en était le véritable inspirateur quittait Lyon, et le petit groupe de chercheurs, que son influence avait réunis, se dispersa de lui-même. Ampère, à peine âgé de trente ans, était appelé à Paris pour y remplir les fonctions de professeur à l’École polytechnique.

Il nous reste à dire quelques mots du travail qui fait l’objet principal de cette communication. Ainsi que nous l’avons vu dans l’énumération des questions mises à l’ordre du jour, ce travail avait été composé par Ampère pour acquitter en quelque sorte sa double contribution de président et de membre. Le manuscrit original, qui a été pieusement conservé, depuis bientôt un siècle, dans les modestes archives de la « Société Chrétienne », se compose de trois cahiers assez volumineux qui doivent avoir fait l’objet de trois lectures distinctes. Les deux premiers sont intitulés « Mémoire sur les preuves historiques du christianisme, 1re et 2e partie » ; le troisième a pour titre « Preuves historiques de la divinité du christianisme ».

« Les preuves historiques du christianisme, dit l’auteur en débutant, peuvent être classées en trois grandes divisions : les témoignages donnés à la divinité de Jésus-Christ avant son avènement, ou les prophéties ; ceux que nous offrent les écrits des adversaires de la religion sainte qu’il a instituée ; ceux enfin que nous trouvons dans les livres sacrés où des témoins oculaires ont consigné le récit de ses actions et des prodiges qui ont servi de preuves à sa mission. »

Tels sont en effet les divers points de vue auxquels l’auteur se place successivement dans les trois parties de son travail. C’est la troisième que nous offrons aujourd’hui aux lecteurs de la Controverse ; limités par l’espace, nous avons dû choisir, et il nous a paru que cette troisième partie avait quelque chose de plus personnel et, à ce titre même, pouvait présenter un intérêt plus immédiat.

En ce qui concerne l’apologie du christianisme et la démonstration des vérités révélées, le travail d’Ampère ne renferme pas d’éléments nouveaux. Il ne faut pas trop s’en étonner d’ailleurs ; l’apologie et la démonstration du christianisme sont faites et achevées depuis longtemps. Les Docteurs et les Pères de l’Église se sont acquittés de cette tâche de manière à laisser bien peu de chose à faire à leurs successeurs ; de leur côté, les philosophes les plus illustres et les penseurs les plus profonds ont apporté chacun leur pierre à l’édifice dans la suite des âges ; tout a donc été dit, et les nouveaux venus ne font que reproduire sous des formes diverses, quelquefois mieux appropriées à leur temps, les arguments et les preuves de leurs devanciers. À ce titre, la reproduction de la dissertation d’Ampère pourrait donc paraître, jusqu’à un certain point, superflue ; et cependant, comme l’incrédulité continue de renouveler ses négations et ses attaques, il convient que la vérité ne cesse pas de renouveler ses affirmations et ses démonstrations.

Il ne faut pas oublier d’ailleurs que certains témoignages ont des titres et des droits plus particuliers auprès des hommes intelligents ; aussi, lorsque du sein de cette « nuée de témoins » part une voix plus autorisée, une voix qui a reçu, à un degré éminent, la consécration du génie, il est naturel que l’attention redouble et que l’impression soit plus profonde.

Au point de vue littéraire, le style d’Ampère offre déjà les très sérieuses qualités qu’on rencontrera plus tard dans ses autres écrits. Il ne faut pas y chercher sans doute les grands mouvements d’éloquence, et encore moins les effets et les habiletés d’un littérateur de profession. L’auteur n’a aucun souci des artifices de la rhétorique ; son attention est toute entière concentrée sur sa pensée, et son unique préoccupation est de lui donner une forme claire, précise et complète. Ses idées sont donc présentées d’abord sous des énoncés simples et bien définis ; puis viennent les preuves qui sont exposées avec ordre et mesure ; les arguments se succèdent par gradation, en se complétant et en se fortifiant mutuellement jusqu’à ce que la démonstration soit achevée. Sous beaucoup de rapports le style d’Ampère rappelle celui de Descartes dans son Discours sur la méthode. C’est la même allure grave et magistrale qui convient à l’exposition scientifique ; la phrase se développe sans se presser, employant toujours le terme le plus propre, suivant sans cesse l’idée, et ne la quittant pas avant d’en avoir formulé l’entière expression ; c’est comme un ample vêtement destiné à revêtir la pensée ; l’étoffe en est simple, mais solide ; les plis du manteau sont peu nombreux, mais bien disposés ; et la pensée, au lieu de se dissimuler ou de disparaître sous la draperie, ressort au contraire dans toute son intégrité, parce que tout est naturel et bien proportionné.

Mais, ce qui constitue peut-être l’intérêt principal du travail d’Ampère, c’est qu’il permet de répondre à l’un des préjugés les plus répandus à notre époque. Nous vivons dans un siècle essentiellement scientifique. On invoque à chaque instant l’autorité de la science et, lorsque « la science a parlé », comme on a coutume de dire, il semble que tout soit fini et que toute discussion soit close, même dans les questions les plus étrangères au domaine scientifique. D’un autre côté, les savants contemporains nous ont trop souvent donné le déplorable exemple de se servir des découvertes modernes pour essayer de contredire les vérités révélées et pour attaquer la religion par la base. S’il fallait en croire les plus ardents, il serait désormais impossible d’être savant et de rester chrétien, à moins de manquer de logique. Si on leur objecte que les faits sont là, qu’ils prouvent contre eux, que les plus grands génies scientifiques ont été en même temps des chrétiens convaincus, ils répondront que c’était chez eux une inconséquence, ou une faiblesse, ou peut-être encore une mesure de prudence, en raison du siècle où ils vivaient. Enfin cette conviction pourrait aussi être le résultat de préjugés provenant de leur naissance, de leur éducation, du milieu peu éclairé où ils avaient vécu ; Descartes était un élève des Jésuites, Pascal un intime de Port-Royal, Copernic était revêtu du caractère sacerdotal ; Képler, Newton, Leibnitz subissaient l’influence de la réforme protestante dont les débuts furent, comme on le sait, si passionnés ; les uns et les autres auraient donc manqué de la liberté d’esprit nécessaire pour juger sainement des choses religieuses.

Mais ici le cas est tout différent, et s’il y eut une influence exercée, elle fut dans un sens tout opposé. Ampère est en effet un des fils de la Révolution Française ; il avait 14 ans 1789, et il a fait connaître lui-même quelle impression profonde avaient produite sur son jeune esprit les grands évènements de cette époque. Du reste, plus d’enseignement chrétien, plus de culte, plus de prêtre ; Rousseau, Voltaire, Diderot ont remplacé les Docteurs et les Pères de l’Église ; ils sont les prophètes de la loi nouvelle, et leurs disciples se chargent de tirer, avec une effrayante logique, les conséquences de leurs principes. Le vide religieux est donc aussi complet que possible dans les âmes. Eh bien ! c’est après quinze ans d’un pareil régime qu’Ampère, parvenu à la force de l’âge, et dans la pleine possession de sa puissante intelligence, se place de nouveau en présence de la foi et des grands problèmes religieux, et c’est dans de telles conditions qu’il a écrit les pages profondément chrétiennes qu’on va lire.

Quant au génie d’Ampère et à la place exceptionnelle qu’il occupe dans la science, c’est un point sur lequel il serait tout à fait superflu d’insister ; je me bornerai à rappeler, en terminant, le jugement qui a été porté à son sujet par l’un des savants les plus autorisés et les plus compétents de notre époque.

Voici en quels termes M. J. Bertrand, l’éminent secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, apprécie les découvertes et caractérise le génie de l’illustre savant :

« Ampère a fait en physique une des plus grandes découvertes de ce siècle, celle des actions électro-dynamiques, et par là, bien plus que par l’idée du télégraphe électrique, il a pris rang à côté d’Œrsted. La place est glorieuse assurément ; mais Ampère en a mérité une bien plus haute encore : c’est à Newton tout au moins qu’il faut le comparer. Les phénomènes complexes et, en apparence, inextricables de l’action de deux courants ont été analysés par lui et réduits à une loi élémentaire à laquelle cinquante ans de travaux et de progrès n’ont pas changé une seule syllabe.

« Le livre d’Ampère est aujourd’hui encore l’œuvre la plus admirable produite dans la physique mathématique depuis l’œuvre des Principes. Jamais plus beau problème ne s’est présenté sur la voie d’un plus grand génie. Par un bonheur bien rare dans l’histoire des sciences, tout ici appartient à Ampère. Le phénomène entièrement nouveau qu’il a deviné, c’est lui qui l’a observé le premier, c’est lui seul qui en a varié les circonstances pour en déduire les expériences si élégantes qui servent de base à la théorie ; lui seul enfin qui, avec un rare bonheur, a exécuté tous les calculs et inventé toutes les démonstrations. Ampère a révélé une loi d’attraction nouvelle, plus complexe et plus malaisée sans doute à découvrir que celle des corps célestes. Il a été à la fois le Képler et le Newton de la théorie nouvelle, et c’est sans exagération qu’aujourd’hui, à un demi-siècle de distance, sans subir l’entraînement d’aucune amitié, et sans complaisance pour personne, nous pouvons placer le nom d’Ampère à côté des plus illustres dans l’histoire de l’esprit humain. Aucun génie n’a été plus complet, aucun inventeur mieux inspiré n’a été mieux servi par les circonstances. »

 

M. VALSON.

 

 

 

 

 

PREUVES HISTORIQUES DE LA DIVINITÉ DU CHRISTIANISME

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TROISIÈME PARTIE

 

PREUVES TIRÉES DES ÉCRITS DES CHRÉTIENS

 

Tous les genres de preuves se réunissent en faveur du Christianisme. Le métaphysicien n’aurait besoin, pour voir la vérité, que d’examiner la manière dont cette divine religion explique à la fois la grandeur et la bassesse de l’homme, et l’idée qu’elle nous donne des rapports de Dieu avec ses créatures, et des vues de la Providence.

Pourquoi l’homme pourrait-il embrasser tous les siècles dans sa pensée, s’il était borné à une existence de quelques années ?

Pourquoi, s’il est né pour de plus hautes destinées, ses penchants le courbent-ils presque partout, et à toutes les époques, sous le joug honteux des passions les plus viles ? Peut-on méconnaître, dans cette funeste dépravation, que le philosophe ne peut contempler sans rougir, en quelque sorte, d’être homme, les plaies profondément ulcérées qu’a faites à la liberté et à la conscience de cet être créé avec des facultés si sublimes, la chute malheureuse dont la révélation nous a dévoilé le mystère ? Telle était la démonstration qui plaisait à Pascal. Il sentait que, sans ce que le christianisme nous apprend de ce que l’homme devait être, et de l’évènement qui l’a dégradé, on ne saurait concevoir comment la même intelligence, la même volonté qui animaient Newton et Vincent de Paul, se pervertissent au point de donner naissance à ces monstres de cruauté ou de dépravation qui, mille fois au-dessous des plus vils animaux, ont été l’horreur de leurs semblables, ou la honte de l’humanité. Un autre genre de preuves frappera l’homme en qui le sentiment du beau moral n’a point été émoussé par l’égoïsme et les vices dont la société l’a entouré.

Il dira : un homme aurait-il conçu cette morale ; si elle n’était descendue du ciel, de qui serait-elle l’ouvrage ? « Ah ! si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus-Christ ont été celles d’un dieu. » Telles sont les raisons, sans doute, que l’âme de Fénelon aimait à méditer. Telles sont les preuves qui auraient fait tomber Rousseau aux pieds d’un prêtre pour lui dévoiler des actions qu’il a follement étalées aux yeux de ses concitoyens, si son orgueil avait pu supporter la pensée qu’un homme sur la terre pût l’égaler en vertu. Le philosophe qui, éclairé du flambeau de l’expérience, sera descendu dans les replis du cœur humain, qui aura analysé les ressorts qui agissent sur lui, et qui aura étudié les effets de ces passions terribles qui exercent si souvent sur lui l’empire le plus absolu sera encore plus frappé de la manière dont le Christianisme s’est établi et dont il se maintient sous nos yeux, malgré tous les efforts de ces passions conjurées contre lui. Il ne voudra, pour preuves du Christianisme, que ses merveilleux effets sur les mœurs des Romains, sous les premiers empereurs, changées en celles des anachorètes de la Thébaïde ; les filles romaines, élevées dans le luxe et tous les raffinements de l’art de plaire, courant au martyre ; ces philosophes, si fiers des systèmes par lesquels ils prétendaient tout expliquer, ployant leur raison sous le joug des mystères ; tous les hommes renonçant à tout ce qui flattait leurs sens et leur orgueil, renonçant, ce qui n’est peut-être pas moins difficile, aux préjugés les plus profondément enracinés ; le Grec brisant ses poétiques idoles, et le Juif embrassant comme un frère un Gentil, un incirconcis !

Mais, parmi ces preuves, les seules qui puissent être appréciées par tous les hommes, et que leur simplicité met à la portée des hommes les moins instruits, en même temps qu’elles feront l’éternel désespoir de ces savants infortunés qui cherchent dans leurs vaines connaissances des armes contre le Seigneur et contre son Christ : ce sont les preuves de fait.

Les guérisons miraculeuses, la résurrection de Lazare, celle de l’homme-Dieu lui-même, Saint Paul, converti par la voix du Ciel, suspendant le cours ordinaire de la nature, et de nouveaux miracles attestant partout la vérité de la mission des apôtres : voilà des faits, et sur lesquels il suffit de consulter l’accord unanime de tous les témoignages de l’histoire.

J’ai rassemblé, dans la seconde partie de cet essai, quelques-uns des passages des auteurs Juifs et païens, où ces ennemis du Christianisme attestent eux-mêmes les faits qui en démontrent la divinité.

Je vais examiner la force des témoignages des auteurs qui lui ont rendu un double hommage, et qui, non contents d’en raconter les triomphes, ont reconnu la vérité et professé la doctrine. Il semble d’abord que l’intérêt qu’ils devaient prendre aux progrès de la religion qu’ils avaient embrassée diminue la confiance que devraient inspirer des témoins oculaires, mais une considération bien simple détruit cette objection. La plupart n’étaient pas nés chrétiens, et ils n’ont changé qu’à la vue de ces mêmes faits, examinés alors avec tous les préjugés de leur première éducation, et la prévention alors générale contre le Christianisme. Entrons d’ailleurs dans le détail des circonstances où se trouvaient les premiers écrivains des faits qui en ont suivi immédiatement la naissance, et voyons s’il leur a été possible d’en imposer, et si même il était possible qu’ils en eussent envie.

Les hommes ne se portent à tromper que quand ils y sont poussés par un intérêt quelconque. Ceux qui, comme Mahomet et tous tes hérésiarques, après avoir vu que les miracles de Moïse avaient éternisé ses lois, et que ceux de Jésus-Christ et des apôtres avaient converti l’univers, ces hommes, dis-je, espérant des honneurs et des richesses s’ils acquéraient des partisans, pouvaient être portés à feindre des miracles. L’historien d’Apollonius, pour s’opposer au triomphe des chrétiens, pouvait en attribuer à cet extravagant, trente ans après sa mort ; mais quel motif pouvait porter les chrétiens à mentir ? Au lieu des honneurs et des richesses qui devaient être le prix des mensonges de leurs adversaires, les leurs, si le témoignage qu’ils rendaient à Jésus-Christ avait été contraire à la vérité, ne pouvaient les conduire qu’aux plus affreux supplices, et à des supplices accompagnés de tous les genres de moquerie et d’opprobres. Mais, dira-t-on, ils espéraient des biens éternels. Des biens éternels pour prix du mensonge ! Quelle démence, lorsqu’on voit la pureté de la morale de ces hommes qui regardaient au contraire le mensonge comme digne d’être puni par des flammes éternelles ! S’ils mentaient ils se privaient, d’après cette doctrine même, à laquelle ils sacrifiaient leur vie, de ces biens de l’immortalité, les seuls qu’ils ambitionnassent, comme le prouvent toutes leurs actions. En sorte qu’on ne peut sortir de ce dilemme : s’ils désiraient des biens, des honneurs temporels, s’ils fuyaient les douleurs de ce monde, ils devaient renoncer à leur foi ; s’ils cherchaient les biens éternels, s’ils craignaient l’enfer, ils ont dit la vérité. Quelle différence entre les apôtres, qui ne pouvaient rien espérer en ce monde, et les imposteurs qui voyaient des trônes et des empires, s’ils parvenaient à tromper les peuples !

On objectera que toutes les sectes ont eu des martyrs, mais, parmi ces martyrs, pourra-t-on citer, hors du Christianisme, un seul témoin oculaire d’évènements surnaturels à l’égard desquels on ne puisse en imposer aux hommes. On n’a pas assez remarqué cette différence. Tout homme qui meurt pour une opinion la croit. Si celui qui meurt, parce qu’on lui a dit que Mahomet est un prophète, prouve qu’en effet on le lui a dit, l’apôtre qui mourait en attestant qu’il avait vu Jésus-Christ ressuscité prouve qu’il l’avait vu, car on ne peut pas croire un fait comme l’ayant vu, sans l’avoir vu en effet.

Les apôtres n’ont pu vouloir tromper le monde, parce qu’ils ne pouvaient rien espérer d’heureux pour eux, ni en ce monde ni en l’autre, de leur mauvaise foi, et qu’elle les exposait au contraire, et en ce monde et en l’autre, d’après leur propre croyance, à des tourments aussi effrayants qu’inévitables mais, en supposant qu’ils eussent pu en avoir la volonté, auraient-ils pu réussir à nous tromper ? C’est ce qui me reste à examiner.

Les quatre évangiles ont été écrits par des hommes qui ne se sont point communiqué leurs récits, comme le prouvent les différences de quelques circonstances qu’on y remarque, et que l’Esprit-saint, qui les inspirait, a permises sans doute pour être une preuve irréfragable de la non-connivence des auteurs sacrés. Chacun racontait les faits dont il se souvenait, et y joignait les circonstances dont il avait conservé la mémoire. Comment tous les faits vraiment importants, et la plupart des circonstances accessoires se retrouveraient-ils dans ces récits divers, si chacun y avait inséré des histoires composées à plaisir ? Si le fond de la vie de Jésus-Christ était vrai, et les miracles ajoutés par les écrivains, on trouverait plus d’accord sur les faits vrais que sur ceux qu’on y aurait joints, ou, si ceux-ci y avaient été ajoutés après coup et à dessein, on y retrouverait un parfait accord qui les distinguerait des autres faits. Au lieu de cela, il y a la même ressemblance des faits principaux, la même diversité dans les petites circonstances ; il y a, à cet égard, une entière parité dans tout ce que rapportent les évangélistes et, s’il est prouvé que Jésus-Christ a existé, il l’est qu’il a ressuscité Lazare, qu’il s’est ressuscité lui-même, et que ses apôtres ont étonné l’univers par d’inexplicables merveilles.

Il est naturel que nous croyions avant d’avoir examiné les preuves de notre religion, parce que nos pères nous l’ont inculquée, mais ceux que les apôtres ont convertis n’avaient pas été élevés dans le Christianisme ; il fallait, pour les rendre chrétiens, faire violence à tous leurs préjugés, et, lorsqu’on ne leur offrait qu’un entier renoncement à eux-mêmes et à tout ce que les hommes appellent bonheur, et qu’ils ne voyaient qu’une mort infâme et cruelle pour prix de leurs vertus, ils n’auraient pu être séduits par des mensonges dénués de fondement, car le peuple n’est crédule que pour les idées qui se rattachent aux opinions de son enfance.

L’existence des chrétiens actuels prouve que des hommes ont commencé à être chrétiens ; l’histoire ne nous permet pas de douter que c’était dans le temps des plus violentes persécutions. Interrogeons cette même histoire, pour savoir quels motifs les ont déterminés, car le récit de ceux qui ont été témoins, et même acteurs de ce changement, peuvent seuls nous en apprendre les motifs. Ils nous diront : tant de milliers d’hommes se sont convertis à la vue de tel miracle, tant à la résurrection de Lazare, tant lorsque saint Pierre guérit le boiteux assis à la belle porte du temple, etc.

La vérité de ces récits n’est-elle pas prouvée par le fait même que ces hommes sont devenus chrétiens à cette époque, sans qu’aucun autre motif pût les y porter ?

Les païens mêmes n’attribuent-ils pas les conversions opérées par saint Paul à ce qu’il était, disaient-ils, le plus habile des magiciens ?

Ils savaient, et par l’expérience qui venait de s’offrir à leurs yeux, et par la connaissance qu’ils avaient du cœur humain, que sans miracles, il n’y aurait point eu de conversions. On doit regarder les faits contenus dans les évangiles comme des faits racontés par plusieurs auteurs, témoins oculaires qui ne pouvaient avoir aucun intérêt à tromper, et tout à craindre pour la vie dont ils jouissaient et pour celle qu’ils espéraient, s’ils ne disaient pas la vérité ; par des auteurs qui, ne s’étant point communiqué leurs écrits, ne peuvent s’accorder comme ils le font sur tous les faits principaux, s’ils avaient inventé les faits qu’ils racontent ; enfin, comme des écrivains dont le témoignage, réunissant toutes les conditions possibles de crédibilité, ne peut être révoqué en doute sans détruire en même temps la certitude de tous les faits historiques. Mais c’est alors que se présente une objection.

Les récits des évangélistes étaient conformes à la vérité, mais ils ont pu être altérés.

Ceux qui avancent une pareille supposition ne font pas attention que, lors même qu’elle serait admissible, elle n’infirmerait que quelques parties du récit des écrivains sacrés, et qu’on n’en pourrait rien conclure contre la vérité des miracles, ni rien, par conséquent, contre la divinité de Jésus-Christ. En effet, si les miracles étaient racontés dans quelques passages isolés, on pourrait supposer que ces passages ont été intercalés. Mais quiconque a lu l’Évangile sait que tout l’ensemble de l’histoire de Jésus-Christ est un tissu de merveilles, et, comme l’a observé un écrivain célèbre, on ne peut effacer les miracles de l’Évangile sans détruire ce livre divin. Il faudrait donc supposer que, malgré l’uniformité de style, de ce style, où tout le monde reconnaît la simplicité de langage de la plus pure vérité qui ait jamais parlé aux hommes ; que malgré l’enchaînement des faits qui rend presque toute intercalation impossible, il n’y a pas une page où l’on ait ajouté un fait controuvé, par un verset, pour ainsi dire, qui ait été altéré, car dans les passages où l’on ne raconte aucun évènement surnaturel on fait allusion à ceux où on en rapporte. Qu’on demande aux partisans de cette inconcevable supposition si cette altération s’est faite à la fois, et sur tous les manuscrits en même temps, ce qui est évidemment absurde, ou si elle s’est faite successivement, et alors les changements n’ont-ils pas dû exister dans certains manuscrits et non dans les autres ? Les différences n’ont-elles pas dû se transmettre par des copies ? Car apparemment que les chrétiens dispersés dans le monde alors connu n’allaient pas copier un exemplaire unique, et conservé par ceux à qui on attribuait ces changements. Alors comment se fait-il que tous les manuscrits conservés dans tant de divers pays, différents de langage et même d’opinion, puisque plusieurs ont fait secte à part depuis des époques très éloignées ; comment se fait-il que tous ces manuscrits présentent une identité au moins égale à celle des manuscrits des auteurs profanes que le temps a le plus respectés ? Et quelle différence à l’égard du nombre ! Quelques exemplaires seulement de Virgile et d’Homère ont échappé au cours des années, et les exemplaires des livres du Nouveau Testament, traduits en toutes tes langues, ont été conservés en grand chez les chrétiens de toutes les sectes et de tous les pays. Eh bien ! des savants que leurs vastes connaissances ont immortalisés ont passé pour ainsi dire leur vie à chercher et à recueillir des variantes de l’Écriture sainte ; elles ont été imprimées d’après des exemplaires de toutes les langues connues, et l’on remarque avec étonnement qu’elles tombent presque toutes sur des mots transposés ou remplacés par des synonymes, et qu’aucune ne change le sens.

Cette uniformité presque miraculeuse entre des sectes qui s’anathématisaient réciproquement, entre les habitants des trois parties de l’ancien continent, est une suite naturelle du profond respect que les chrétiens de tous les âges ont eu pour ces livres divins. Et quelle preuve plus grande de l’impossibilité qu’ils aient été altérés, que ce respect même ? Ferait-on des changements dans un livre à la conservation duquel on sacrifie sa vie avec joie ? Laisserait-on faire ces changements, sans s’en apercevoir, dans un livre dont la lecture est l’occupation de tous les jours, l’unique consolation dans les horreurs des plus terribles persécutions, et le soutien des vertus les plus héroïques ?

Ah ! pour tous ceux qui cherchent la vérité pour la connaître, et non pour la combattre, il est aussi absurde d’imaginer que le Nouveau Testament a été altéré que de dire que ceux qui l’ont écrit ont pu mentir, ou être mal instruits, à l’égard des merveilles qui s’étaient opérées sous leurs yeux. On ne peut s’empêcher de conclure avec cet auteur dont l’orgueilleuse raison a sans cesse égaré les sentiments, que les faits de Socrate, dont personne ne doute, ne sont pas si bien attestés que ceux de Jésus-Christ.

Et parmi ces derniers, l’ordre de l’univers changé, les morts ressuscitant, les incurables guéris, une éclipse de soleil dans le temps de la pleine lune, ne sont ni les moins prouvés ni les moins remarquables. Et quelle manière plus convenable d’apprendre la volonté de Dieu ?

Comment ne reconnaîtrait-on pas le créateur de la nature dans celui à qui elle obéit ? « Digitus Dei est hic. »

 

 

André-Marie AMPÈRE.

 

Paru dans La Controverse en 1881.

 

 

 

 

 

 

 

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