Max Jacob

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

André MARISSEL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Beaucoup de poètes ont une histoire, plus ou moins riche en gestes ou événements inattendus ; beaucoup moins nombreux sont les poètes légendaires. On peut dire de Max Jacob qu’il appartint, de son vivant déjà, à la légende et que son personnage était de ceux qui particulièrement s’y prêtent.

Venu de Quimper à Paris autour des années 1890, il renonça à poursuivre ses études et vécut très vite la vie de bohème, ce qui signifiait non seulement des changements fréquents de profession mais aussi la misère. Critique d’art, puis secrétaire d’un avocat philanthrope, puis précepteur, employé de commerce..., il se forma dans les milieux les plus divers, dont il sut retenir les habitudes, les préjugés, le langage, à la fois pour s’en moquer et provoquer son imagination de rêveur à l’œil vif. Son milieu d’élection restait y naturellement le milieu des peintres, des poètes. Des premiers et des seconds il avait tous les dons, auxquels s’ajoutait celui de la verve et de la cocasserie.

Entre 1901 et 1909, Max Jacob fit partie de « La bande à Picasso » (André Salmon, Juan Gris, Van Dongen, Pierre Mac Orlan). C’était « l’époque de la rue Ravignan ». Un grand tournant de l’art moderne, en vérité, avec pour premiers rôles Picasso déjà nommé et Guillaume Apollinaire. Max Jacob participa donc à la naissance du cubisme et il publia, grâce à Kahnweiler, Saint-Matorel et Le Siège de Jérusalem, avec des illustrations de ses amis, puis Le Cornet à dés, en 1917. Il avait pour acheteurs de ses œuvres et pour lecteurs des gens du monde, qui se plaisaient dans la compagnie de cet homme à anecdotes, à imitations burlesques, sans soupçonner en rien l’existence en lui d’un être douloureux, insaisissable, profond. Esprit paradoxal et anxieux,  Max Jacob était un mystique, qui prétendit même avoir reçu la grâce, en 1909 et en 1914, de visions de la Sainte Face.

Mais sa conversion au christianisme et son baptême ne parurent pas, dans l’immédiat, transformer Max Jacob en un autre. Max Jacob se décida pourtant, en 1921, à quitter Paris et à s’installer, dans les environs d’Orléans, près de l’Abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire ; du même mouvement, il avait rompu avec sa vie antérieure, sans pour autant cesser d’écrire ni de rester en contact, en épistolier fécond, avec les artistes de sa génération et les nouveaux venus. Son influence littéraire est certaine, sur Jean Cocteau principalement ; et son influence religieuse, non moins importante. En 1944, les nazis qui, dès 1941, l’avaient inquiété, le déportèrent au camp de Drancy, où il mourut quelques jours après, bénissant le « martyre qui commence » et donnant l’exemple d’une grande sérénité d’âme.

L’œuvre de Max Jacob surprenait par sa variété, bien avant la guerre et par ce que l’on qualifierait désormais, assez improprement, de contradictions. En réalité, Max Jacob créateur a libéré toutes ses ressources et, aujourd’hui, ses textes les plus surprenants, voire les plus choquants, prouvent que l’aspiration sincère à l’unité n’exige pas des mutilations de l’être. Max Jacob, découvreur, inventeur, pratiquait la mystification pour se dégager d’un « moi » impérieux, susceptible, narcissique. Il ne s’agissait pas pour lui de se révolter contre l’ordre social mais contre le réel et l’ordre des mots. Son humour rarement « noir » avait la gravité des exercices funambulesques et l’apparente gratuité de ces jeux qui furent désignés, quelques-uns, par l’expression « cadavres exquis » (du temps des surréalistes, et avec l’espoir d’entrer par effraction dans l’inconscient). Max Jacob dérangeait subtilement. Il y avait dans son comportement, parfois boudeur, parfois agressif, quelque chose de triste, de narquois et de tendre. Max Jacob avait l’art perdu depuis de préserver l’humour de la violence et de l’indélicatesse, et nul plus que lui ne se méfiait des écoles littéraires, des idéologies, des recettes et de l’intellectualisme. Avec Léon-Paul Fargue, il est peut-être le plus sensible et « concret » des chasseurs d’images. Il ne tient pas en place, jette à bas les châteaux de cartes qu’il vient de bâtir, fait des pieds de nez aux gens solennels, saute à cloche-pied, reproduit à merveille des propos de concierge pour échapper, semble-t-il, aux démons de la mélancolie. Cultivant les apparences, les confondant, les troublant, il n’a qu’un but : détourner l’attention de sa quête d’absolu. Chaque poème de Max Jacob apparaît ainsi comme un sursis, un espace de temps mis entre parenthèses, un divertissement à distance, une bonne et mauvaise plaisanterie de jeune homme, une grimace de sentimental écorché, un masque. En Max Jacob, la pudeur est reine, trompeuse au meilleur sens du mot. Elle suscite des erreurs d’interprétation, comme une langue réputée facile. Un poème de Max Jacob, c’est en somme un traquenard éblouissant, une historiette élégante et absurde :

 

« Il y a sur la nuit trois champignons qui sont la lune. Aussi brusquement que chante le coucou d’une horloge, ils se disposent autrement à minuit chaque mois. Il y a dans le jardin des fleurs rares qui sont de petits hommes couchés, cent, c’est les reflets d’un miroir. Il y a dans ma chambre obscure une navette lumineuse qui rôde, puis deux... des aérostats phosphorescents, c’est les reflets d’un miroir. Il y a dans ma tête une abeille qui parle. »

(« Poème de la lune » Le Cornet à dés.)

 

Que retenir de ce poème ? L’usage de l’affirmation : « trois champignons qui sont la lune », « des fleurs rares qui sont de petits hommes », aboutissant à ridiculiser les perceptions immédiates et la raison ; ainsi que les répétitions (« C’est les reflets d’un miroir ») et des allitérations bien placées. On admettra sans peine alors que Max Jacob, peintre du surnaturel, est aussi un musicien, un envoûteur, un charmeur, et que ces constatations « esthétiques » peuvent conduire loin. En effet, Max Jacob n’illustre pas à l’aventure quelque théorie de la nouveauté et de la modernité à tout prix ; il s’inspire, au contraire, des traditions les plus solides, sans insistance gênante, et il retrouve quand il le désire l’air et le tour de la chanson savante et « naïve » :

 

          Dis-moi quelle fut la chanson

          Que chantaient les belles sirènes

          Pour faire pencher les trirèmes

          Des Grecs qui lâchaient l’aviron...

          ..................................................................

 

          Échos d’échos des longues plaines

          Et les chansons des émigrants

          Où sont les refrains d’autres temps

          Que l’on a chantés tant et tant ?

 

Son originalité « d’avant-garde » existe cependant. Elle consiste à faire servir le calembour, par malice et provocation, à une « cause » fort éloignée de la sienne (il faut citer le très célèbre « dahlia que Dalila lia »), la cause poétique. Aussi bien, les recherches et les trouvailles de Max Jacob, dans ce domaine encore peu exploré de l’ironie tournée contre elle-même, rencontrèrent-elles des résistances. Max Jacob, poète à transformations et travestissements, paraissait vider parfois de tout contenu ses vers, à force de vouloir défier l’inconnu et l’insaisissable :

 

« C’est pour aller au bal, au bal au bal, au Baîkal, allah ! au bal, allah, Ah ! à la balalaïka. / Rades du tyran-terres du Levant baron du levant tirades / nomme azur ce que la dame mazurke – je t’assure que cette dame est turque ! nomade... »

 

Demeure, après la lecture d’un tel poème, une impression de tournoiement, d’escamotage et de féerie singulière, que seuls réussissent à procurer les prestidigitateurs. Mais Max Jacob qui est un illusionniste n’est pas que cela, en dépit de ses détracteurs : il a prouvé dans ses poèmes bretons, de Morven-le-Gaëlique qu’il était capable, sans cesser de disparaître au cœur de ses parodies, de s’inspirer du langage des plus humbles, de parler avec une simplicité d’évangéliste égaré dans le « siècle des lumières » :

 

           « Je ne suis pas venu pour l’angoisse

          Je suis venu pour la louange

          Le Seigneur a perdu sa couronne d’épines

          Celui qui la trouvera aura le Paradis. »

 

« Laisser parler son cœur », son cœur souffrant ; telle est la faculté majeure d’un poète qui, probablement, a beaucoup douté de son pouvoir d’amour, d’indulgence, de charité, et qui aurait pu devenir un auteur fantaisiste et mondain, esclave de sa notoriété. Mais son insatisfaction, son appétit de Dieu, préservaient ce « littérateur dans l’âme » (Défense de Tartufe) d’un « salut » médiocre. Il a été non moins aimé qu’admiré, et sa légende, qui est aujourd’hui sa vérité, lui assure mieux encore que la fidélité de la jeunesse. Son immense respect : sa reconnaissance.

 

 

André MARISSEL.

 

 

 

L’œuvre poétique et littéraire de Max Jacob est d’une originalité et d’une diversité qui surprennent aujourd’hui autant qu’hier ; mais « un réalisme évident au sens traditionnel depuis le dernier siècle » la caractérise (Marcel Raymond), et va dans le sens d’une communication certaine. La conversion au catholicisme a été sans doute l’événement essentiel de la vie, et de la poésie, de Max facob.

 

 

Œuvres essentielles

 

LA CÔTE. Ce recueil de poèmes celtiques sera suivi de deux signés Morven-le-Gaëlique. « J’ai la Bretagne dans les doigts, dans l’œil et dans le cœur. » Toute l’œuvre de Max Jacob est marquée par la poésie et les mœurs de son pays natal.

SAINT-MATOREL. – Sous ce titre ont été réunis en 1956 un conte religieux, un drame céleste et des poèmes mystiques et burlesques, publiés en 1911, 1912 et 1914. Le personnage de Matorel n’est autre que Max Jacob.

LE CORNET À DÉS. Premier recueil de ces petits poèmes en prose que Max Jacob écrivit jusqu’à sa mort. Près de la vie quotidienne et fruit d’invention, expression spontanée et composition formelle, le poème en prose du Cornet à dés appartient à un art sans artifice.

LA DÉFENSE DE TARTUFE. Extases, visions, prières, poèmes et méditations d’un juif converti. Ces textes en prose et en vers, écrits entre 1902 et 1919, dissimulent, cachés sous le masque de la fantaisie, les plus sérieux visages du poète tourmenté.

 

 

Études sur Max Jacob

 

BÉALU (Marcel), Dernier Visage de Max facob (suivi de deux cent douze lettres de Max Jacob à Marcel Béalu, avril 1937-février 1944), Lyon, Emmanuel Vitte.

BÉLAVAL (Yvon), La Rencontre avec Max facob, Paris, Éditions Charlot.

BILLY (André), Max Jacob, Paris, Seghers (coll. « Poètes d’aujourd’hui »).

ÉMIÉ (Louis), Dialogue avec Max Jacob, Paris, Éditions Corrêa.

 

 

Biographie

 

1876   Naissance de Max Jacob à Quimper.

1904   Le Roi Kaboul et le Marmiton Gauvin (premier ouvrage publié de Max Jacob), Picard et Kahn.

1911   Saint-Matorel, chez H. Kahnweiler, première évocation autobiographique, fantaisiste et poétique.

1917   Le Cornet à dés, livre considéré comme un chef-d’œuvre du poème en prose.

1920   Première exposition importante de gouaches et dessins, chez Bernheim Jeune, Paris.

1921   Le Laboratoire central, poèmes. Installation à Saint-Benoît-sur-Loire. Chaque année le poète passe plusieurs mois en Bretagne. Voyages en Italie et en Espagne.

1928   Revient vivre à Paris. Vie mondaine.

1936   Max Jacob de nouveau à Saint-Benoît.

1944   Déporté par la Gestapo au camp de Drancy, y meurt le 5 mars. (Créé après la guerre, le Prix Max Jacob, qui est devenu le « Concourt de la poésie », est un hommage au poète martyr.)

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Poésie.

 

La Côte, Paris, 1911, Crès, 1927.

Œuvres burlesques et Mystiques de frère Matorel, Paris, Kahnweiler, 1912.

Le Cornet à dés, Paris, 1917 (H.C.) ; Paris, Gallimard, 1945.

Le Laboratoire central, Paris, Au sans Pareil, 1921 ; Paris, Gallimard (avec une préface d’Yvon Bélaval), 1960.

Visions infernales, Paris, Gallimard, 1924.

Fond de Peau, Paris, Les Cahiers libres, 1927.

Sacrifice impérial, Paris, Émile-Paul, 1929.

Rivage, Paris, Les Cahiers libres, 1931.

Ballades, Paris, Debresse, 1938.

Derniers Poèmes en vers et en prose, Paris, Gallimard, 1945.

L’Homme de cristal, Paris, La Table ronde, 1946.

Poèmes de Morven-le-Gaëlique, Paris, Gallimard, 1953.

Le Cornet à dés (II), Paris, Gallimard, 1955.

 

Romans.

 

Le Phanérogame, Paris (H.C.), 1918.

Le Terrain Bouchaballe, Paris, Émile-Paul, 2 vol., 1920-1923.

Filibuth ou La Montre en or, Paris, Gallimard, 1923.

L’Homme de chair et l’Homme reflet, Paris, Kra, 1924.

 

Contes, récits, divers.

 

Le Roi Kaboul et le Marmiton Gauvin, Paris, Picard et Kahn, 1904.

Saint-Matorel, Paris, Kahnweiler, 1911 ; Paris, Gallimard, 1936.

Le Siège de Jérusalem, Paris, Kahnweiler, 1914.

Les Alliés sont en Arménie, Paris (H.C.), 1916.

La Défense de Tartufe, Paris, Société littéraire de France, 1919.

Matorel en Province, Paris, Vogel, 1921.

Le Roi de Béotie, Paris, Gallimard, 1921.

Art poétique, Paris, Émile-Paul, 1922.

Le Cabinet noir, Paris, Librairie de France, 1922 ; édit, augmentée, Paris, Gallimard, 1928.

La Couronne de Vulcain, Paris, Kahnweiler, 1923.

Le Nom, Liège, À la Lampe d’Aladin, 1926.

Tableau de la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1929.

Bourgeois de France et d’ailleurs, Paris, Gallimard, 1932.

Conseils à un jeune poète, Paris, Gallimard, 1945.

Miroir d’astrologie (en coll. avec Claude Valence), Paris, Gallimard, 1949.

Esthétique de Max facob, Paris, Seghers, 1956.

 

Textes religieux.

 

Méditations religieuses, Paris, La Table ronde, 1945.

Méditations religieuses, préface de l’abbé Morel, Paris, Gallimard, 1947.

 

Correspondance.

 

Lettres à Edmond Jabès, Alexandrie, Le Scarabée, 1945.

Choix de lettres à Jean Cocteau (1919-1944), Paris, Morihien, 1950.

Lettres à un ami, Paris, Vineta, 1951.

Correspondance, recueillie par François Garnier, Paris, Édit. de Paris, 1953. Lettres à B. Esdras-Gosse, Paris, Seghers, 1953.

Correspondance (II) (Saint-Benoît-sur-Loire, 1921-1924), présenté par François Garnier, Édit. de Paris, 1956.

Lettres aux Salacrou (1923-1926), Paris, Gallimard, 1957.

 

Les Cahiers Max Jacob, édités par la Société des Amis de Max Jacob, ont publié de nombreux inédits et des textes devenus introuvables.

Des Morceaux choisis ont paru chez Gallimard en 1936.

Les Œuvres complètes de Max Jacob ont commencé de paraître chez Gallimard.

 

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

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