Les femmes sous la Terreur

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

A. RÉMY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La conduite de la Providence, dans les évènements humains, n’est pas moins visible et admirable que dans la création et la conservation des merveilles de la nature. Là où l’esprit du mal sème le désordre, la haine, la vengeance, Dieu fait fleurir le pardon, le dévouement, le sacrifice. Il n’est peut-être pas, dans l’histoire des nations, une époque où se dessine d’une manière plus éclatante la double face de ce tableau, que celle de 93 de hideuse mémoire. Mais, il faut le dire, si le côté de ce tableau où coule le sang, où tombent les têtes, où déborde la fureur révolutionnaire, est l’œuvre des hommes, l’autre côté, celui où brillent la sensibilité, la tendresse et l’héroïsme, est dû au sexe le plus faible : sur ces ruines dégouttantes de sang et de boue, où la lâcheté le dispute à l’horreur, une fleur jette, pour ainsi dire, son parfum suave et réparateur ; cette fleur, c’est le dévouement de la grâce, c’est l’énergie de la faiblesse, c’est le courage de la femme ! 93 apparaît à notre esprit tel qu’un vaste monceau de décombres où règnent d’effrayantes ténèbres, mais aussi où l’œil épouvanté se repose avec bonheur sur un point lumineux et rayonnant, comme le voyageur, égaré dans de sombres solitudes, salue avec un cri de joie l’étoile conductrice qui s’élève au-dessus de sa tête.

Parmi les innombrables victimes traînées sur l’échafaud par la main de la Terreur, cette personnification à jamais effrayante du principe révolutionnaire, les plus touchantes sont assurément ces martyres volontaires qui, pour sauver un époux ou mourir avec lui, portaient elles-mêmes leur corps au geôlier, leur tête au bourreau. Que de blondes tresses furent ainsi rougies sur le billot ! Que de nobles cœurs de femmes s’éteignirent ainsi sous cette hache fatale qui fonctionna, sans s’arrêter, pendant deux ans, et qui ensanglanta jusqu’à trois têtes royales ! Gouffre effrayant que celui-là, que ne rassasiaient pas les plus beaux noms de notre antique monarchie, mais à qui il fallut encore tant de douces et gracieuses existences qui n’étaient jamais sorties de l’ombre pudique que leur faisaient leurs modestes vertus, et que l’échafaud exposa, en quelque sorte, pour la première fois, aux regards de la foule hideuse ! Ô vous qui êtes deux fois saintes, car vous l’étiez déjà par votre vie et vous le fûtes encore par votre mort ! ô vous innocentes victimes, qui expiâtes des crimes qui n’étaient pas les vôtres, et dont le sang précieux et méritoire était sans doute exigé de Dieu pour fermer l’abîme ouvert sur notre belle France ! ô vous, surtout, pauvre reine à qui l’amour si mérité de vos sujets réservait un échafaud ; vous, sainte sœur du roi, qui reçûtes la récompense de vos vertus dans ce monde même, par la palme du martyre ; et vous, gracieuse princesse de Lamballe, devant qui le bourreau put être impitoyable... pardonnez-nous ! pardonnez -nous ! car nous fûmes monstrueusement lâches !!!

L’histoire cite avec orgueil quelques femmes de Rome, de Sparte et d’Athènes, qui s’illustrèrent par leur courage, leur dévouement ou leur grandeur d’âme ; mais, nous pouvons le proclamer ici, nos Françaises les ont encore surpassées !

Quelques exemples seulement, pris au hasard entre mille, – car nous serions trop embarrassés pour faire un choix, justifieront suffisamment notre assertion.

La femme d’un des généraux républicains de l’armée de l’Ouest, présente au jugement qui condamnait ce dernier à mort, demande au tribunal révolutionnaire comme une faveur, ou plutôt comme un droit, de partager le sort de son époux. Comme les juges-bourreaux hésitaient :

– Vive le roi ! s’écrie la généreuse femme.

Cette fois, le crime était flagrant et par trop insolent, la coupable fut immédiatement autorisée à prendre place à côté de son époux dans le hideux tombereau.

– Une autre avait acheté la permission de visiter son mari en prison. Elle obtient de lui qu’il se dépouille de ses vêtements et qu’il les remplace par les siens, à elle ; puis, ainsi déguisé, ce dernier sort librement. Mais, le lendemain, cette substitution fut facilement découverte.

– Malheureuse ! dit à la prisonnière un représentant, qu’as-tu fait ?

– Mon devoir ! répondit-elle... Maintenant, fais le tien !

Inutile de dire que le représentant s’empressa d’obtempérer à cette fière injonction, et qu’il fit en effet son devoir.

Le maréchal de Mouchy venait d’être transféré au Luxembourg ; sa femme y arrive presque en même temps. On lui représente que l’acte d’arrestation ne la concerne pas.

– Puisque mon mari est arrêté, répond-elle, je le suis aussi.

Et elle l’accompagne devant le tribunal révolutionnaire.

L’accusateur public lui fait observer qu’elle n’est pas accusée.

– Puisque mon mari l’est, je le suis aussi.

L’arrêt de mort est prononcé : elle monte avec le maréchal dans la charrette. Le bourreau, étonné, lui objecte qu’elle n’est pas condamnée :

– Puisque mon mari l’est, je le suis aussi !

Où est le sublime, s’il n’est là ?

Tout le monde connaît ce dialogue entre un républicain et un jeune royaliste :

– Pourquoi ne portes-tu pas la cocarde ?

– Parce que vous la portez.

– Crois-tu en Dieu ?

– Non, si vous y croyez.

Ce n’est rien moins que le dialogue cornélien, transporté de la scène dans la vie réelle.

Nantes n’a pas oublié ces généreuses femmes qui, veuves de par la guillotine, demandaient à Carrier la mort à grands cris.

– Citoyennes, vous allez être satisfaites, répondait celui-ci avec ce calme féroce qu’il apportait dans ses horribles fonctions.

Et les héroïnes étaient conduites au supplice !

Une malheureuse, après avoir assisté à l’exécution de celui qu’elle aimait, avait suivi sa dépouille mortelle jusqu’au lieu où elle devait être ensevelie. Elle offre cent louis au fossoyeur pour la tête du cadavre : le marché est accepté. Elle l’enveloppe dans un voile et l’emporte. Mais chemin faisant, la nature succombe sous le poids du bien-aimé fardeau : l’infortunée tombe évanouie au coin d’une rue, et son larcin sanglant roule à terre sous les yeux effrayés de la foule. Elle est transportée immédiatement devant le tribunal révolutionnaire, qui était en permanence comme la guillotine : l’inspiration d’un lugubre délire lui est imputée à crime, elle est condamnée à l’expier par la mort. Elle remercie ses juges, c’est-à-dire ses bourreaux, et marche joyeusement au supplice qui doit la réunir à celui qu’elle pleure.

Une amie de Condorcet lui avait offert un asile dans sa maison. Celui-ci lui représentait le danger auquel il l’exposait en acceptant sa généreuse proposition :

– Vous seriez hors la loi, lui dit-il.

– Eh ! répondit-elle, suis-je hors l’humanité ?

On connaît les touchantes et admirables paroles prononcées par Mlle de Sombreuil, au moment où son père venait d’être condamné à mort avec le respectable Malesherbes et la fille de ce dernier, Mme de Rosambo :

– J’ai eu le bonheur, dit-elle à cette dame, de sauver une fois la vie de mon père, et j’ai aujourd’hui la douleur de ne pas mourir avec lui. Vous, Madame, vous avez la consolation de mourir avec le vôtre !

La femme d’un bourgeois de Lyon, instruite que son mari était sur le point d’être arrêté, le fait fuir sous ses propres vêtements à elle. Bientôt les sicaires arrivent : l’héroïque épouse, qui avait revêtu les habits de son mari, se présente et est conduite, aux lieu et place de ce dernier, devant le comité révolutionnaire. Là, son sexe reconnu, elle répond aux questions qui lui sont faites sur son mari, en déclarant qu’elle l’a fait fuir, et en se glorifiant de lui avoir ainsi sauvé la vie. Comme on la menaçait de la mort :

– Quand vous voudrez, répondit-elle, je suis prête !

– L’intérêt de la patrie vous commande de parler, lui dit le représentant.

– L’intérêt de la patrie ne commande pas d’outrager la nature ! s’écria-t-elle !

L’échafaud fut, bien entendu, la récompense de cette belle réponse.

L’on permettra peut-être à celui qui écrit ces lignes d’inscrire humblement à la suite de ces noms déjà enfouis pour la plupart dans l’oubli, celui plus obscur encore de son aïeule. Jeune fille de seize ans, elle venait d’apprendre l’arrestation de son père : elle s’élance, elle vole ; mais elle vient se heurter contre une consigne rigoureuse. Elle pleure, elle supplie ; mais ni prières, ni larmes, ne peuvent attendrir les deux factionnaires. Que fait-elle ? Elle passe sous le ventre de leurs chevaux, et pénètre violemment, dans le cabinet de celui qui avait signé l’ordre de la fatale arrestation : là, elle se dresse devant lui, comme Charlotte Corday, dont l’exemple était encore brûlant, dut apparaître à Marat ; elle le somme, sous la menace d’un couteau dont la lame brille dans sa main, de lui signer à l’instant même un ordre de relâchement. Son énergie filiale est récompensée : elle obtient l’ordre qu’elle demande, ou plutôt qu’elle exige, et son père est sauvé !

Qu’il y a loin de tous ces traits à celui de cette jacobine forcenée, ancienne maîtresse d’un financier, la fille Théroigne, qui, dans la nuit du 9 au 11 août, se trouvait à la tête d’une patrouille de patriotes qui surprit une poignée de royalistes dans la cour des Feuillants ! Cinq de ces derniers

furent égorgés, et l’abbé Bonjon, qui était parmi eux, eut la tête coupée sur une borne : la Théroigne lui tenait les jambes !!!

Ne vit-on pas aussi une autre de ces furies,

dites patriotes, proposer au club des Cordeliers de tuer tous les hommes au-dessus de 40 ans, attendu qu’ils ne pouvaient être républicains ! C’est bien dommage, en vérité, que cette mesure éminemment patriotique n’ait pas été adoptée : il eût été si beau, si attrayant, de vivre sous un régime politique où la vieillesse eût été inconnue, et où la féconde rosée de la guillotine eût entretenu dans le corps social une jeunesse éternelle !

Si l’on vit alors, selon la belle expression de l’auteur du Génie du Christianisme, ce que les yeux d’une reine peuvent contenir de larmes, il fut donné de voir aussi ce qu’une âme royale peut renfermer de courage et de grandeur. Quand le bourreau se présenta dans la chambre de l’infortunée Marie-Antoinette, la victime était prête pour le sacrifice ; elle avait elle-même fait les apprêts funèbres de sa dernière toilette : ses cheveux étaient tombés sous sa propre main, et celle qui allait mourir s’était habillée de blanc comme pour une fête. Durant le trajet fatal, un sombre et profond silence escorta seul la royale martyre, et l’injure soudoyée n’osa s’élever jusqu’au front qu’avait couronné le diadème : le peuple, sans doute, était instinctivement épouvanté au dedans de lui-même du sacrilège deux fois odieux qui était commis en son nom ; car si la victime était une reine, elle était aussi une femme ! Or, chez un peuple naturellement monarchique et généreux, un sentiment irrésistible plaidait nécessairement au fond des cœurs la cause de la faiblesse et de la majesté réunies sur une même tête.

En montant sur l’échafaud, elle mit par mégarde son pied sur celui de l’exécuteur : avec cette grâce que la royale victime avait conservée jusqu’en face de la mort, elle lui demande excuse ! Oui, il faut le répéter afin que l’on puisse croire à tant de candeur, l’on vit une reine s’excuser envers un bourreau ! Peu s’en fallut que ce dernier, plus sensible que les juges, et terrassé, pour ainsi dire, sous le prestige d’une aussi éclatante infortune unie à tant de grandeur et de simplicité, ne faillit devant son épouvantable mission !

Et cette sainte princesse Élisabeth, quelle mort sublime aussi que la sienne ! Vingt-cinq personnes, parmi lesquelles onze dames de la cour, l’accompagnèrent au supplice. Ses bourreaux, par un raffinement de cruauté, la firent exécuter la dernière. Mais le courage qu’elle puisait dans sa dignité et surtout dans sa foi ne l’abandonna pas un seul instant : à mesure qu’une des victimes allait présenter sa tête, elle l’encourageait de pieuses et consolantes paroles. Vingt-cinq fois le coup de la mort retentit au fond de son cœur, car elle mourut, on peut le dire, dans chacune des martyres à qui successivement elle montra le ciel ; mais celle qui déjà n’appartenait plus à la terre ne pouvait hésiter, encore moins faillir sur le seuil de l’éternité, et c’est le front radieux, le pardon dans le cœur et sur les lèvres, qu’elle franchit cette terrible porte qui lui était ouverte par le bourreau.

 

 

 

A. RÉMY.

 

Paru dans Le Compilateur en 1844.

 

 

 

 

 

 

 

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