Élévations

 

                             AU CHRIST

 

                          À M. L’ABBÉ A. M.

 

 

                                    I.

 

Ici rien pour le cœur, rien qui demeure stable ;

Ici tout de la mort vient se courber sujet ;

L’homme n’a pour fonder que le mobile sable.....

Ô Christ ! de mon amour soit l’immuable objet !

 

Toi seul es éternel, seul reçois mon hommage,

Source vive de l’être et de la vérité,

Soleil pur dont le nôtre à peine est une image,

Ô bonté souveraine, ô suprême beauté !

 

Amour, amour à toi, dans l’éphémère vie !

Amour, amour à toi, dans les siècles sans fin !

T’aimer, te faire aimer est mon unique envie !

Dunne-moi pour t’aimer l’amour du séraphin !

 

 

                                   II.

 

Heureux les vrais amis ! la suave espérance,

À ta voix, dans leurs cœurs calme toute souffrance.

Heureux qui fixe en toi ses vœux irrésolus !

Il n’ira plus, errant de chimère en chimère,

Recueillir avec peine une moisson amère :

N’a-t-il pas l’avant-goût du bonheur des Élus ?

 

Le ciel est avec toi, c’est toi, c’est ta présence !

Le dernier des malheurs, l’enfer, est ton absence !

Et nous te possédons en t’aimant, roi divin !

Nous vivons avec toi, nous vivons de ta vie :

Notre âme à son désir se plonge en toi ravie.

Tu t’es fait tout pour elle, et son pain et son vin.

 

Malheureux qui te hait ! que son sort est à plaindre !

La douleur sans espoir à l’aise peut l’étreindre ;

Sa raison s’obscurcit et s’éteint dans l’erreur ;

Descendu pas à pas jusqu’au sang de la brute,

Toutes les passions l’ont subjugué sans lutte :

Son âme a du cercueil et le froid et l’horreur.

 

 

                                  III.

 

Et de tes vrais amis le nombre est faible encore !

Les épis oubliés de l’ardent moissonneur

Font une gerbe mince, ô céleste glaneur !

Les ceps n’étanchent pas la soif qui te dévore !

Quand viendra, quand viendra le jour qui doit venir,

          Où de t’aimer tout cœur humain s’honore ?

C’est le plus beau des jours qu’espère l’avenir.

 

          Qu’il vienne, ô Christ ! oh ! qu’il vienne rapide,

Avec tous ses soleils, dissiper notre nuit,

Nos ténèbres de mort où nul astre ne luit !

À son premier rayon, du sépulcre fétide,

          L’humanité se relève splendide,

          Ressuscitée une seconde fois.

L’auteur de tous nos maux, le conseiller du crime,

L’égoïsme vaincu retombe dans l’abîme.

La charité grandie à l’ombre de ta croix,

Depuis l’éternité par ton amour bénie,

Elle qui sur son sein voulait nous presser tous,

Mais que notre démence a du monde bannie,

Dès que l’intérêt propre a régné seul en nous,

La charité conclut l’union fraternelle.

Son exil douloureux est fini pour jamais.

Nous retrouverons la joie, et le calme et la paix

Que nous avions, hélas ! cherchée loin d’elle.

 

Dieu sauveur ! de ce jour hâte l’avènement :

Le monde va mourir, il n’a plus d’aliment

Et l’implacable faim l’entraîne vers la tombe.

Ses vaines voluptés ne l’assouvissent pas ;

L’or ne peut raffermi ni son cœur ni ses pas.

Donne-lui ton amour, afin qu’il ne succombe ;

Fais-le renaître à toi ; Dieu puissant, les humains

          Ne sont-ils donc pas en tes mains ?

 

          Les océans comme l’arène,

          Les cieux et les mondes divers,

          Au gré de ta main souveraine,

          Tu régis le vaste univers :

          Que ton souffle passe, il incline

          Les empires vers leur ruine,

          Ou, les touchant à la poitrine,

          Les rappelle d’entre les morts ;

          En vain, comme un flot sur la grève,

          L’homme pour résister se lève,

          Il fait ce qu’il veut et l’achève :

          Toi seul es fort parmi les forts !

 

Sauve-nous, sauve-nous, Jésus ! – De ton aurore,

Les premières lueurs s’épandent dans le ciel ;

Ton jour viendra ! Partout l’homme incliné t’adore,

Et ma voix te redit le chant universel :

 

Amour, amour à toi, dans l’éphémère vie !

Amour, amour à toi, dans les siècles sans fin !

T’aimer, te faire aimer est mon unique envie !

Donne-moi pour t’aimer l’amour du séraphin !

 

 

 

J.-M. F……

 

Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1859.

 

 

 

 

 

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