Deux voix du siècle

 

 

– Comment, ma pauvre enfant, te voilà devenue

Une femme savante et consultant la nue,

Dès l’aube matinale, un grimoire à la main !

Est-ce possible ? Toi, qu’autrefois j’ai connue

Faisant de Sirius un empereur romain,

Et plaçant la grande Ourse à la Ménagerie,

Entre l’hippopotame et l’âne d’Algérie !

 

Te voilà protestant, le verbe rehaussé,

Que le ciel est désert, incolore et glacé,

Et que ce chant d’azur où monte la croyance,

N’est que de l’air, de l’air et de l’air amassé,

Dont nos esprits grossiers font toute l’importance.

Que de savoir, bon Dieu ! vrai, je n’en reviens pas !

Quoi ! ce ciel n’est rien que de l’air, des frimas,

 

Qui montent, montent, vont en se perdant sans cesse ?

La science, dis-tu, le prouve en sa sagesse,

Et croire le contraire est folie aujourd’hui.

Que c’est triste, cela ! Quoi ! ce ciel où s’adresse

Incessamment notre âme, en y cherchant l’appui

Qui nous manque ici-bas, c’est du vide et du vide !

Et vouloir le nier, c’est s’avouer stupide !

 

– Oui, du vide, du vide et du vide toujours ;

Sans forme, sans couleur, sans aspect, sans contours,

Au sein duquel se meut notre pauvre planète,

Avec des millions d’astres suivant leur cours ;

Et tout ce bleu qui luit au-dessus de ta tête,

N’est pour le télescope, en la main du savoir,

Que de l’air qui se change en un abîme noir. »

 

– Et poussant devant moi je ne sais quel volume,

Tu me dis : « Vois plutôt, c’est écrit là-dedans :

Ce qu’on nomme le ciel n’est qu’un amas de brume

Incolore, glacé, solitaire en tout temps. »

 

– Et ces beaux séraphins qu’on place sur la nue,

Ne sauraient s’y tenir, malgré leurs pieds divins ;

Le désert est partout où nous levons la vue,

Car les êtres des cieux sont autant d’êtres vains.

 

– Quoi ! pas d’anges, dis-tu, dans ce dôme céleste

Où nous voyions jadis glisser leurs légions !

Pas de défunts aimés, la science l’atteste,

Qui se penchent vers nous des saintes régions !

 

Pas de beaux séraphins, l’assure ton grimoire,

Ne parcourant ce ciel où nous voyions jadis

La Vierge nous sourire, au milieu de sa gloire,

Dans un nuage d’or, d’opale et de rubis !

 

Et Dieu ?... dis-je, tremblante, en te voyant si fière

D’avoir chassé du ciel, à l’aide d’un bouquin,

Ces symboles bénis qui consolent la mère

Et changent un cadavre en un blond chérubin.

 

– Dieu, n’y croiras-tu plus, non plus qu’à ses beaux anges ?

Dieu, la philosophie en a fait la raison,

Et l’a débarrassé de ces vaines phalanges

Que je n’ai jamais vu glisser à l’horizon.

 

Et le Christ, qu’en fais-tu ? Le Christ, un fou sublime,

Qu’on tua par malheur pour le monde romain,

En supposant qu’il ait vécu ; puisque j’estime

Que je n’ai pas compté chaque trou de sa main,

 

Non plus que les degrés qui montent son calvaire ;

Et, quant à l’Évangile, on l’a refait cent fois.

C’est un code confus, couronné d’un rosaire,

Qui, pour Jésus, serait peut-être un patois.

 

– Et l’âme, ce divin être au fond de notre être

Qui ne veut pas finir dans les plis d’un linceul,

Et que brûle la soif de croire et de connaître,

L’aurais-tu par hasard bornée au froid cercueil ?

 

– L’âme, sous le scalpel, devient une imposture,

Et, pour plus d’un savant, ce fluide fécondant

Qui se mêle dans tout à toute la nature,

C’est un agent commun, si ce n’est le néant.

 

– Ainsi donc c’en est fait : d’ignorante, naguères,

Te voilà devenue experte à faire peur ;

Te voilà discutant, les prunelles altières,

Des astres et de Dieu sur le ton d’un docteur.

 

Te voilà, juste ciel ! de naïve et croyante,

Tout-à-coup transformée en nouveau saint Thomas,

Et prête à renier la plaie encor sanglante,

Si ta main ne la touche ! Est-ce possible ? hélas !

 

Combien mieux je t’aimais quand, modeste et pieuse,

La prière à la lèvre et la foi dans le cœur,

Tu n’étais pas encore savante et studieuse ;

Le Christ alors pour toi se nommait le Sauveur ;

 

Et tu le suspendais au-dessus de ta couche,

Comme un divin gardien de ton chaste sommeil ;

Tu vénérais, alors ! L’oraison de ta bouche

Sortait comme un parfum d’un calice vermeil.

 

Tu n’avais pas au front cette précoce ride

Qui trahit de ton cœur le sépulcre sans fond ;

Tu n’avais pas encor cette parole avide

Ni ces élancements d’yeux moqueurs au plafond.

 

Tu ne prononçais pas le grand mot de science

En plongeant dans la nue un œil inquisiteur ;

Herschel et Cassini, dans ce temps d’innocence,

N’existaient pas pour toi : c’était le Créateur

 

Qui remplissait ce vide où ton âme s’égare,

Ainsi qu’un pauvre aiglon dans le gouffre de l’air.

Tu n’avais pas encor, dans un factum bizarre,

Fais sombrer l’oasis du milieu du désert !

 

Tu n’avais pas, hélas ! au fond de ta pauvre âme,

Brisé tous les autels au nom de la raison,

Et d’un doigt insensé fait glisser, pauvre femme,

Le verrou qui te cèle au fond d’une prison !

 

Ton naïf crucifix n’était pas un chef-d’œuvre

Échappé du ciseau d’un artiste fameux,

Il était de bois noir, sculpté par un manœuvre ;

Mais sur ses pieds ton front se recueillait pieux !

 

Tu ne le plaçais pas alors dans ta demeure

Ainsi qu’un objet d’art parmi d’autres objets ;

Tu croyais ton chevet sa place la meilleure,

Et tu l’ornais à Pâque avec des rameaux frais.

 

Aujourd’hui dans ton cœur ce ne sont que décombres,

Ruines et tombeaux, urne vide à jamais !

Tu marches au hasard dans ces savanes d’ombres

Où trébuche la femme en cherchant des sommets.

 

 

 

Claudia BACHI.

 

Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1860.

 

 

 

 

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