Au Parson

 

 

J’ai voulu revoir le logis

Que j’habitais avec grand’mère,

J’ai voulu revoir le logis

Que j’habitais au temps jadis ;

J’ai voulu revoir la maison,

La rustique et pauvre chaumière,

J’ai voulu revoir la maison

Que nous habitions au Parson :

 

C’est à la gauche du chemin

Qui traverse l’Ille-et-Vilaine,

C’est à la gauche du chemin

Qui mène au pays de Saint-Méen ;

Je l’ai quitté voilà vingt ans,

Mais je l’ai reconnu sans peine,

Je l’ai quitté voilà vingt ans,

Ce doux pays de mon printemps !

 

J’ai sauté, tout comme autrefois,

Sauté pour enjamber la douve,

J’ai sauté, tout comme autrefois,

Par-dessus l’échalier de bois ;

J’ai reconnu le vieux courtil

Comme un vieil ami qu’on retrouve,

J’ai reconnu le vieux courtil

Tout baigné des rayons d’avril !

 

Et j’ai bonjouré le jardin

Et la maison couverte en chaume,

Et j’ai bonjouré le jardin

Dont vous ririez avec dédain...

Et j’ai fait lentement le tour

De mon ancien petit royaume,

Et j’ai fait lentement le tour...

Pleurant sur mon tardif retour ;

 

Car, hélas ! je n’ai plus trouvé,

Dans le coin de sa cheminée,

Car, hélas ! je n’ai plus trouvé

Celle qui m’avait élevé :

Elle avait fermé ses bons yeux

Deux jours avant mon arrivée,

Elle avait fermé ses bons yeux

Pour ne plus les rouvrir qu’aux Cieux !

 

Et, tout secoué de sanglots,

J’ai tiré doucement la porte ;

Et, tout secoué de sanglots,

Sur le seuil, j’ai gravé ces mots :

« C’est ici que gît le meilleur

De ma jeunesse à jamais morte,

C’est ici que gît le meilleur,

Le plus pur lambeau de mon cœur ! »

 

Adieu donc, cher petit Parson !

Adieu, pays de mon enfance !

Adieu donc, cher petit Parson,

Vieux amis et vieille maison !

Votre gâs, demain, s’en ira

En exil au pays de France,

Votre gâs, demain, s’en ira :

Seul, Dieu sait quand il reviendra !...

 

 

Sur l’air de « La Chanson des matelots » de Yann Nibor.

 

 

 

Théodore BOTREL, Contes du lit-clos, 1900.

 

 

 

 

 

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