Chaste amitié

 

 

Un jeune homme au front calme et pur

D’un ange ici-bas douce image,

En priant contemplait l’azur

Qui nous peint la mer sans rivage ;

Et plus il touchait au tombeau,

Pauvre âme, plus il semblait beau.

 

Parmi l’essaim des jouvenceaux,

Dont j’avais vu fleurir les charmes,

Aucun n’avait les yeux si beaux…

De pitié je versais des larmes

À le voir ainsi dans sa fleur

S’éteindre à force de pâleur.

 

Comme on peut voir dans un jardin

Frémir d’un rien la sensitive,

L’ange même apparu soudain

Eût rendu son âme craintive :

Tant est grande l’horreur du mal

Par le sentiment virginal.

 

À l’entendre comme à le voir,

On eût dit une aimable vierge,

De celles qu’on voit vers le soir

Dans l’église, à l’éclat d’un cierge,

Tout bas prier en gémissant,

Tant son cœur était innocent.

 

D’un lis il naît la pâleur,

Comme les saints des monastères ;

Je souffrais tant de sa douleur,

Notre amitié nous rendant frères,

Que je pâlissais comme lui,

Quand mon bras lui servait d’appui.

 

Déjà prêt au dernier essor,

Il craignait qu’une main de femme

Ne le touchât après sa mort....

Il me disait du fond de l’âme :

Je t’en supplie, ah ! que toi seul

M’entoure en secret du linceul.

 

Sur des rayons mystérieux

Bientôt montant de phase en phase,

C’est entre la terre et les cieux

Qu’il flottait comme dans l’extase :

Des anges, en tendant la main,

Vers Dieu lui traçaient son chemin.

 

Souriant, doux comme un agneau

Et simple comme une colombe,

Il semblait l’enfant au berceau

En me disant près de la tombe :

Je t’en supplie, ah ! que toi seul

M’entoure en secret du linceul.

 

Contre les affres du trépas

Pouvait-il rester sans défense,

Quand je l’aidais à chaque pas,

Car nous étions amis d’enfance ?

En lui disant : Prions les cieux,

Prions, pour que vous soyez mieux !

 

Mais lui, me jetant lentement

Un de ces qui font peine,

Montrait la sphère en s’animant,

Comme un but où le temps nous mène ;

Ami, c’est là dans l’heureux port

Qu’on se repose après la mort.

 

Ami, reste donc calme, adieu....

Puisque le premier Je m’envole,

J’irai t’attendre auprès de Dieu,

Pour t’y préparer l’auréole :

Là nous nous rejoindrons plus tard.....

El l’espoir brûlait son regard.

 

J’avais préparé le linceul

Selon sa volonté dernière ;

Je l’ensevelis étant seul,

Avant qu’on apportât la bière....

Puis je plantai sur son tombeau

Un lis comme lui pur et beau.

 

 

 

GILLOT DE KERHARDÈNE.

 

Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1859.

 

 

 

 

 

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