Prière pour avouer son ignorance

 

 

Redescends, redescends dans ta simplicité.

Je viens de voir les guêpes travailler dans le sable.

Fais comme elles, ô mon cœur malade et tendre : sois sage,

accomplis ton devoir comme Dieu l’a dicté.

J’étais plein d’un orgueil qui empoisonnait ma vie.

Je croyais que j’étais bien différent des autres :

mais je sais maintenant, mon Dieu, que je ne fis

que récrire les mots qu’ont inventés les hommes

depuis qu’Adam et Ève au fond du Paradis

surgirent sous les fruits énormes de lumière.

Mon Dieu, je suis pareil à la plus humble pierre.

Voyez : l’herbe est tranquille, et le pommier trop lourd

se penche vers le sol, tremblant et plein d’amour.

Enlevez de mon âme, puisque j’ai tant souffert,

l’orgueil de me penser un créeur de génie.

Je ne sais rien. Je ne suis rien. Je n’attends rien

que de voir, par moments, se balancer un nid

sur un peuplier rose, ou, sur le blanc chemin

passer un pauvre lourd aux pieds luisants de plaies.

Mon Dieu, enlevez-moi l’orgueil qui m’empoisonne.

Oh ! Rendez-moi pareil aux moutons monotones

qui passent, humblement, des tristesses d’Automne

aux fêtes du Printemps qui verdissent les haies.

Faites qu’en écrivant mon orgueil disparaisse :

que je me dise, enfin, que mon âme est l’écho

des voix du monde entier et que mon tendre père

m’apprenait patiemment des règles de grammaire.

La gloire est vaine, ô Dieu, et le génie aussi.

Il n’appartient qu’à Vous qui le donnez aux hommes

et ceux-ci, sans savoir, répètent les mêmes mots

comme un essaim d’été parmi de noirs rameaux.

Faites qu’en me levant, ce matin, de ma table,

je sois pareil à ceux qui, par ce beau Dimanche,

vont répandre à vos pieds dans l’humble église blanche

l’aveu modeste et pur de leur simple ignorance.

 

 

 

Francis JAMMES, Le deuil des primevères, 1898-1900.

 

 

 

 

 

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