Mes premiers ans

 

 

                     I

 

      – Folâtre et souriante,

      Ma Muse aux tresses d’or,

      Reviens, gaîté charmante,

Reviens, je veux chanter encor !

 

      Prête-moi, ma divine,

      Ta grâce aux doux accents,

      Ta candeur enfantine,

Je veux chanter mes premiers ans !

 

      Bonheur des jours d’enfance,

      Sans le savoir cueilli,

      Perdu sans qu’on y pense,

Je te connais mieux, – j’ai vieilli !

 

      Mon cœur tout bas vous nomme,

      Ô mes jouets d’enfant,

      Devant mes hochets d’homme,

Pour lesquels je pleure souvent !

 

      Tambours, pantins, trompette,

      Donnés, cassés, perdus,

      Combien je vous regrette,

Hélas ! moi qui ne joûrai plus !

 

      Souvent je me console

      De mes maux en lisant

      Mes vieux livres d’école

Jusqu’à mon alphabet géant.

 

      Fables, grammaire, histoire,

      C’est là qu’ils sont tous nés,

      Mes beaux rêves de gloire,

Entre vos feuillets écornés.

 

      Victoires enfantines

      Couronnes, prix divers,

      Une tresse d’épines

A remplacé vos lauriers verts !

 

 

                     II

 

      J’ai connu tous tes charmes,

      Ô nature, autrefois !

      J’ai su verser des larmes

Tout seul, au sein profond des bois.

 

      Alors, jeune et sauvage,

      J’errais en liberté,

      Les yeux ivres d’ombrage,

Le cœur plein de sérénité.

 

      Maintenant de la vie

      Les sentiers sont moins gais,

      L’herbe verte et fleurie

Jaunit sous mes pas fatigués.

 

      J’entends la douleur vraie

      Sangloter près de moi,

      Sa vérité m’effraie

Et mes pauvres rêves ont froid.

 

                     ⁂

 

      – Et toi, mère adorée,

      Entre tes deux genoux

      Mon enfance éplorée

Trouvait un refuge si doux !

 

      À ta bouche si chère,

      J’ai puisé chaque jour

      L’enseignement austère,

Tout parfumé de ton amour.

 

      J’avais pour récompense

      Un baiser grave et lent,

      Dont le triste silence

Faisait rêver mon cœur d’enfant.

 

      Mon jeune esprit timide

      Se modelait au tien,

      Juste et pur, tout avide

Du beau, du savoir et du bien !

 

      Les prières chrétiennes

      Que tu disais tout haut,

      De tes lèvres aux siennes

Passaient tendrement, mot à mot.

 

                     ⁂

 

      Croyance tutélaire,

      Héritage sacré

      Des lèvres de ma mère,

De son amour gage adoré,

 

      Vis comme son image

      Dans le fond de mon cœur

      Reste en moi, voici l’âge,

Le doute est fils de la douleur.

 

      Reste en moi, foi suprême

      De son cœur maternel,

      Si ce n’est pour moi-même,

Du moins, pour elle, dans le ciel.

 

      Garde-moi bien de croire

      Aux grandeurs d’ici-bas,

      La véritable gloire,

Celle des vrais biens, n’y vit pas !

 

      Viles grandeurs altières,

      Oripeaux sans valeur,

      Royautés éphémères,

Fausse monnaie au son menteur ;

 

      Et toi, pauvre richesse,

      Grand sac gonflé de vent,

      Que la mort vengeresse

Du doigt fait éclater souvent ;

 

      Vous tous, vains simulacres

      Des bonheurs purs et vrais,

      Vos fruits aux saveurs âcres

Ne pourront me tenter jamais !

 

 

 

Paul LAUR.

 

Recueilli dans Poésies de l’Académie

des muses santones, 11e volume, 1888.

 

 

 

 

 

 

 

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