Sur des myosotis

        CUEILLIS AU CIMETIÈRE

 

 

               À M. Houlbert.

 

 

Que dit la fleur d’azur à celui qui la cueille

Dans le funèbre enclos, parmi les tertres verts,

Pendant que le songeur, courbant le front, effeuille

L’arbre tout jaunissant des souvenirs amers ?

 

Souvenez-vous de ceux qui dorment sous les herbes,

De ceux qui conduisaient les hommes, vils troupeaux,

Et qui se croyaient grands et n’étaient que superbes,

Et dont le nom s’efface au marbre des tombeaux.

 

Et des petits enfants, folles têtes rieuses,

Qui prirent le sol froid trop tôt pour oreiller ;

Et des pères pleurant, des mères malheureuses,

Qui voulaient les rejoindre et près d’eux sommeiller.

 

Souvenez-vous encor de l’enfant douce et pure

Qui, promise à l’hymen, s’arrêta sur le seuil,

Et, soumise à tes lois, Seigneur, eut pour parure,

Non la fleur d’oranger, mais la fleur du cercueil ;

 

Et du vieillard, auguste à ses heures dernières ;

Et de celui qui, chaste, a vécu sans remords.

Priez ! donnez à tous l’aumône des prières !

Priez pour les vivants ! ce sont parfois des morts.

 

Ils sont morts au bonheur, à la douce espérance ;

La mémoire les guide au chemin des regrets ;

Leur vie est un fardeau, leur amour est souffrance,

Et leur âme est la tombe où tout dort à jamais.

 

 

 

Alfred de MARTONNE.

 

Paru dans Poésie, 11e volume

de l’Académie des muses santones, 1888.

 

 

 

 

 

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