Le Christ à Béthanie

 

 

Déjà l’astre du jour a fini sa carrière :

C’est l’heure du repos, l’heure de la prière,

Car l’étoile du soir scintille dans les cieux.

Le vieux pâtre à pas lents a quitté la campagne,

Murmurant sous l’air frais qu’embaume la montagne

              Une chanson qu’il tient de ses aïeux.

 

Mais la foule à longs flots se presse à Béthanie,

Comme pour un spectacle en hâte réunie ;

Étrange fusion d’opprobre et de vertus,

Voix de haine et d’amour, bruissement confus

Qui va se perdre au loin sous les platanes sombres. –

Les derniers feux du jour luttaient avec les ombres ;

Les méchants, l’œil au guet, l’oreille au moindre bruit,

Souriant au retour des voiles de la nuit,

Comme quelqu’un qui cherche où reposer son crime, –

N’attendaient qu’un signal pour saisir la victime.

Car elle n’est pas loin : la foule a bourdonné

Sa descente d’Éphrem au vallon fortuné.

 

« Homme ou Dieu, dit l’un d’eux, qu’importe l’origine ?

Quand la lumière gêne, on éteint le flambeau.

Mes hommes, mon crédit m’assurent sa ruine :

On le livre, son juge est sa propre doctrine,

Le peuple qu’il séduit doit être son bourreau. »

– Mais de ta passion, ô Majesté divine,

Ne vient que dans trois jours le drame douloureux.

 

En ce même moment, Marthe, sœur de Marie,

Préparait le repas chez Simon le lépreux, –

Maison sainte où le bruit de la foule qui crie

Se brise – comme une onde au flanc des rochers creux ;

Asile fortuné, qui n’a point comme d’autres

Perdu la pureté, le calme et le bonheur.

Or c’est là que Jésus, suivi des douze apôtres,

Était venu ce soir reposer sa douleur.

Ses amis l’entouraient rangés en petit nombre,

Et d’une oreille avide écoutaient ses discours.

Mais le temps s’enfuyait rapide ; la nuit sombre,

Contraire à leurs désirs précipitait son cours,

Car Dieu commande seul aux heures fugitives. –

Et Marthe se tenait debout près de Simon ;

Lazare était assis au nombre des convives

Qui tous prêtaient au Maître un silence profond.

Or le Maître se tut, et d’une main pieuse

Répandant sur ses pieds un parfum précieux,

Marie, en son amour, de bonheur radieuse,

À genoux, les essuie avec ses longs cheveux !...

 

Oh ! que j’accepterais de siècles d’amertume

Pour essuyer les pieds du Sauveur, – à genoux !

Comme mon cœur battrait ! et qu’il me serait doux

De lui prouver ainsi l’amour qui me consume !

J’irais, j’irais cueillir le parfum le plus pur

Bien haut, sous un vieux cèdre au gigantesque dôme,

Et je demanderais, pour essuyer l’arôme,

À la voûte du ciel un de ses plis d’azur.

 

 

 

MOISSET DEL BESSOU.

 

Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1860.

 

 

 

 

 

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