La voix du vent

 

(IMITÉ D’UNE BALLADE D’ÉLISABETH WETHERELL)

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

C. de NUGENT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« À l’angle des donjons gothiques

» Entendez-vous le vent du nord

» Les sifflements mélancoliques ?... »

(Vte de NUGENT : Les Bords du Danube.)

 

 

L’ENFANT. – « Qui vous consterne donc ce soir, ma mère ? Le bruit du vent me berce doucement et me prépare à un heureux sommeil ; mais chaque fois qu’on l’entend souffler, votre visage devient aussi triste que si vous lisiez un livre lugubre. »

LA MÈRE. – « Mon entant, je lis en effet un livre dont j’ai l’âme navrée, un livre qui me remplit de craintes, de soucis et d’angoisses, un livre dont tontes les pages sont gravées dans mon cœur et font couler mes larmes. Le souffle du vent plaisait à mon oreille quand j’étais une enfant comme toi ; mais aujourd’hui dans sa bruyante haleine j’écoute la voix de ceux qui dorment au fond de la tombe. »

L’ENFANT. – « Ma mère, quel est donc ce livre lugubre que vous lisez, et pourquoi lire et relire les pages qui vous font pleurer ? »

LA MÈRE. – « Ce livre, ma fille, est le souvenir du jour qui m’a séparé du meilleur ami, du compagnon de ma vie ; c’est le souvenir des heures, des semaines et des mois où je veillais et me consumais à attendre en vain son retour. Déjà plusieurs années se sont écoulées depuis que son navire a mis à la voile : ce navire devait bientôt rentrer dans un de nos ports !... On ne l’a jamais revu !..... »

L’ENFANT. – « Ma mère, est-ce dans ce temps-là que j’ai perdu mon père ? Est-ce son vaisseau que vous croyez voir encore ? Ma mère, ne me parlerez-vous pas de tous vos chagrins ! »

LA MÈRE. – « Oui, ma fille, c’est ton père que je pleure ! Il a eu les gouffres de l’océan pour cercueil, et chaque fois que j’entends souffler le vent, je pense à la tempête qui nous l’a ravi. Nous sommes ici à l’abri des violences de l’ouragan ; mais je pense à ceux qu’il frappe et ballotte sur les vagues ; je pense aux mâts qui claquent et se rompent, aux cordages qui se déchirent, aux efforts suprêmes des marins, à l’espérance qui les abandonne ! »

L’ENFANT. – « Ma mère, vous m’avez dit que mon père était chrétien ; nous avons prié pour lui le Sauveur et sa sainte Mère : je le crois au ciel, et quand on pense au ciel, notre monde paraît bien vil et bien misérable !... heureux ceux qui sont morts. »

LA MÈRE. – « Oui, ma fille, je le sais….. nos prières auront aidé ton père à entrer au séjour des joies divines. Il ne faudrait pas vouloir le rappeler sur cette terre, où sa lutte contre la tempête a été si courte et où la mienne est si longue ! L’église du Christ bénit et sanctifie les regrets….. Mais elle ne les efface pas ! Je ne devrais cependant pas gémir, chère enfant, puisque je te conserve près de moi. Nous comptons toutes deux sur l’amour d’un Dieu qui a souffert pour les hommes ; nous invoquons une Vierge qui a aussi été une Mère de douleur, nous prions ensemble, et toutes deux un jour réunies à ton père, nous jouirons avec lui d’une félicité éternelle.

Écoutons les accents mystérieux qui traversent les airs. Soufflez, vents chargés d’orages et de funèbres pensées, et apportez-nous la voix de ceux qui dorment au fond de la tombe.

 

 

C. de NUGENT.

 

Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1860.

 

 

 

 

 

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