Intercession

 

 

 

Tout brûlants de miséricorde, ils ont plaidé sans fin pour l’âme, ces poètes, comme s’ils étaient désincarnés, mais moi je prierai pour la chair vulnérable, pour ce parfait instrument de douleur.

 

On l’a déshonorée, lui donnant pour seul domaine le plaisir, pour aspiration le néant ; alors qu’elle est la gaine sanglante du poignard, la substance où la flamme mord, le poids pour lequel s’ouvre l’abîme, la surface où s’exercent les ciseaux, la tenaille du bourreau, ce qui, entre toutes les choses créées, ressent mieux qu’aucune autre sa misère, ce qui tressaille, ce qui réclame, ce qui crie, ce qui a besoin, ce qui est sans orgueil : la matière apte à la souffrance sans mesure. Car il y a un oubli, un allégement pour l’âme dans la pire épreuve, il y a un sommeil pour la mère qui pleure son enfant, pour l’homme qui a ruiné les siens, mais ce corps qu’on frappe et qu’on déchire n’oubliera pas. Il ne s’endormira pas tandis qu’on le torture.

 

Oh ! pitié pour la chair de l’homme et pour la chair du loup ! Rédemption pour toute chair ! L’esprit qui fut son compagnon, son prisonnier et son animateur prendra parti pour elle au dernier jour. Il la cherchera au fond des eaux, au fond des tombes, au plus creux de la terre. Il la réunira, fût-elle poussière et cendre. Il s’en couvrira comme un coteau, au printemps, de sa feuille. Il déploiera devant les anges, devant Dieu, la grande créature martyre qui fut monstre ou beauté.

 

Et tu souffleras ta paix sur elle, l’enflant comme une voile rose, Toi qui dus la revêtir pour Te réduire aux dimensions de la Croix, Tu la désigneras, non plus pour le sacrifice, mais pour la gloire. Tu l’établiras dans la joie. Car, sans elle, nous ne T’aurions point reconnu, Amour. Sans elle, indigent en souffrance, Tu ne nous aurais pas rachetés.

 

 

Je n’ai pas admiré la Terre, où Vous m’aviez placée, souffrante. Je n’ai pas admiré ce grand œil du soleil ouvert sur ma captivité, ni tous ces astres gravitant autour de nos destinées dérisoires. Vos printemps ne m’ont pas suffi. Vos étés m’ont paru cruels. J’ai eu horreur de votre impassible nature, arène immense où s’accomplit l’universelle tuerie.

Mais quand j’ai vu ce qu’était un cœur d’homme, votre chef-d’œuvre et votre amour, un cœur de héros, constellé de pensées sublimes, si faible et si fort à la fois, avec ces vides, ces déserts là où Vous n’étiez pas, et là où Vous descendiez, ces sources d’humilité, ces torrents de miséricorde, cette clarté transparente de l’amour. Quand j’ai vu, dans la créature soumise à Vous, se réverbérer votre image, il m’est parti de l’âme un tel chant de louanges que les murs de l’apparence se sont effondrés. J’ai pénétré dans le monde caché et réel. Les yeux fermés, à tâtons, je suis entré dans la forêt du mystère. Sous des jonchées de feuilles tièdes, de fleurs suaves, j’ai touché l’ineffable, j’ai porté la main sur la douceur. Douceur de Dieu, en qui tout s’apaise. Douceur de Dieu par qui tout vit.

 

 

Paule RÉGNIER.

 

Paru dans Dialogues avec la souffrance, Spes, s. d.

 

 

 

 

 

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