Le feu de l’amour

 

 

J’ai fui les beautés passagères qui captivent les hommes et leur font commettre tant de péchés. J’ai dédaigné de me livrer aux plaisirs de la jeunesse qui asservissent à leur folie impure les âmes sans défense.

 

Je n’ai plus cessé de vous présenter mon cœur que pénètre le désir de vous posséder. Vous l’avez pris sous votre garde pour qu’il ne s’égare pas dans le malheur des convoitises ; vous y avez fixé la mémoire de votre nom et vous avez ouvert à l’œil de mon âme la fenêtre de la contemplation.

 

Dès lors je me suis donné à vous et j’ai tendu vers le chant spirituel, mais mon cœur brûlait déjà du feu de l’amour lorsque sa mélodie a jailli en moi.

 

Si vous n’écartez pas ces motifs de votre face, la multitude de votre miséricorde ne vous portera-t-elle pas à ne pas laisser plus longtemps ceux qui vous aiment souffrir si durement du froid de votre absence ?

 

Ne diminuerez-vous pas mes misères et détournerez-vous votre visage de ma langueur ? Les douleurs et les maux sont le partage de notre corps.

 

Mais la langueur a l’âme pour siège, jusqu’au jour où vous me donnerez ce que j’ai désiré avec tant d’ardeur, ô vous dont l’amour a desséché ma chair et en a flétri la beauté.

 

Sous l’influence de cet amour, mon âme languit jusqu’à ce qu’elle puisse vous voir, ô vous l’objet de tous mes désirs ; jusqu’à ce qu’elle prenne place au plus profond des cieux et s’y repose au milieu de ceux qu’elle a choisis comme compagnons ; jusqu’au moment où, admise parmi les anges qui chantent vos louanges, elle jouira de vous parfaitement et sans fin.

 

Ainsi tout mon être s’est enflammé et le feu de la charité a détruit tout ce qui n’était pas encore liquéfié dans mon cœur et que je détestais ; il m’a débarrassé des joies dangereuses des amitiés mondaines, ainsi que des pensées mauvaises et dignes d’abomination.

 

Ainsi je me suis élevé sans fiction à un amour bien réglé, et cessant de rester endormi dans mes erreurs et de vivre dans l’obscurité, je me suis rassasié de la douceur d’une dévotion où je regrette davantage mes fautes passées.

 

 

Richard ROLLE.

 

Recueilli dans Cinq mille ans de prière,

textes choisis et présentés par Dom Pierre Miquel,

Desclée De Brouwer, 1989.

 

 

 

 

 

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