La prière du prisonnier

 

 

On me dit, ô Seigneur, que tu m’as abaissé,

Et moi par tes rigueurs je me sens rehaussé ;

On me dit, ô Seigneur, que tu m’as pris en haine,

Que, pécheur endurci, je lutte contre Toi ;

Et cependant mon âme est tranquille et sereine,

Car c’est en Toi, Seigneur, qu’elle a placé sa foi.

 

Je domine tous ceux dont je suis la risée,

Car Tu brilles en moi comme dans la rosée

Luit le soleil ; tu m’as entouré tendrement

Comme un père, son fils de tant de confiance,

Que Tu m’as, ô Seigneur, chargé par mon tourment

De rendre témoignage à ta sainte croyance.

 

Ta grâce est avec moi, je le sens, ô Seigneur,

Car l’ennemi s’effraie et je suis sans frayeur.

Tout récemment encor j’ai dû traîner ma chaîne

Devant un tribunal par César assemblé.

Ils m’ont interrogé, pleins d’orgueil et de haine :

– « Quoi, c’est vous ? – Oui, c’est moi. » – J’ai dit, ils ont tremblé.

 

Puis ils se sont assis en cercle dans l’enceinte,

Devant eux sur la Table ont posé la croix sainte,

Et l’un m’a dit : Ton nom ? – Fils de ma nation.

– Dis-nous ce que tu fis. – Ma mère qu’on opprime

Fut toujours mon amour, mon adoration. »

Et tous de s’écrier : « L’amour, voilà ton crime ! »

 

Et Ton Fils, ô Seigneur, qui prit un corps humain

Pour venir de l’amour nous montrer le chemin,

Qui dans ces mots divins mit toute sa doctrine :

« Aimez et vous serez les premiers dans les cieux » ;

Ton fils pencha son front triste sur sa poitrine,

Et de ce tribunal il détourna les yeux.

 

Qui peut compter, Seigneur, tous tes maux que j’endure ?

J’ai reçu pour demeure une caverne obscure,

Une caverne humide, un gouffre horrible et noir ;

On a chargé mes mains de deux chaînes pesantes ;

Et moi, c’est deux soleils pourtant que je crois voir,

Et je sens sur mes bras deux ailes frémissantes.

 

Et cependant. Seigneur, mon cœur est soucieux

Quand je pense à l’oiseau qui vole sous les cieux ;

Car j’ai laissé là-bas et ne vois plus qu’en rêve

Bien des cœurs fraternels, bien des êtres chéris :

Et c’est pour eux vers Toi que mon regard se lève,

À défaut de mes bras par les chaînes meurtris.

 

Mon nid abandonné, prends-le sous ta tutelle,

Seigneur ; qu’un séraphin l’abrite de son aile,

Et que chacun des miens puise aux flots toujours clairs

De ta grâce, la foi, l’amour et l’espérance ;

Qu’ils n’attendent pas trop pour voir briser leurs fers.

Donne-leur le bonheur – laisse-moi la souffrance.

 

Souvent, Seigneur, bien loin des murs de ma prison

Par la pensée au moins je parcours l’horizon,

Et ce sont eux toujours qu’elle cherche et réclame ;

Elle vole à ce nid calme et délicieux...

C’est vers ce paradis que s’élance mon âme,

C’est vers ce paradis que se tournent mes yeux.

 

Tu peux, Seigneur, tu peux (à Toi tout est possible)

M’arracher à ces fers, à cette nuit terrible.

Mais pourtant si Tu crois le trépas d’un martyr

Plus que son existence utile à ma patrie,

Alors de ce cachot je ne veux plus sortir :

Accorde-moi la mort, ô Seigneur, je t’en prie.

 

 

 

Corneille UJEJSKI, Plaintes de Jérémie.

 

Traduit du polonais par Y. G.

 

Paru dans le Bulletin polonais en janvier 1895.

 

 

 

 

 

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