L’amant converti

 

 

Chacun est un Aveugle-né,

Qui cherche d’être illuminé

De celui par qui seul notre âme est détrompée ;

Mets donc dessus mes yeux un peu de terre et d’eau,

Et fais-leur voir, Seigneur, que ce qu’ils trouvaient beau

N’est rien qu’un peu de terre en de l’eau détrempée.

 

Raffermis, ô Seigneur, mon âme chancelante,

Toi-même dessille mes yeux ;

Donne-moi de cette eau vivante

Qui monte et fait monter jusqu’au séjour des Cieux,

Cette eau qui fait, Seigneur, qu’en esprit on t’adore,

Et dont quiconque a bu n’a jamais soif encore...

 

Venez, venez à moi, vous tous qui succombez,

Vous qui sous les travaux gémissez et tombez,

Venez, dit le Seigneur, je suis le Débonnaire ;

Pourquoi sous ce lourd faix gémir mal à propos ?

Chargez-vous de mon joug, vous aurez du repos,

Car mon joug est facile, et ma charge est légère.

 

Je n’appréhende plus, Amour, tes vains efforts

Qui peuvent seulement faire mourir le corps

Et n’ont aucun pouvoir de faire mourir l’âme ;

Je crains un autre Dieu, je crains bien d’autres fers,

Et je crains les ardeurs d’une bien autre flamme

Par qui l’âme et le corps brûlent dans les Enfers...

 

Si j’ai tard cultivé, Seigneur, ton héritage,

Je n’en recevrai pas un plus mauvais partage,

D’autres travailleront peut-être moins ou plus :

Mais qu’aucun pour cela n’espère ou désespère,

Le Maître à qui lui plaît dispense le salaire,

Beaucoup sont appelés, et peu de gens élus...

 

Moi-même je dormais, lorsque la main d’un traître

Est venue à semer dans le champ de mon Maître

Une méchante ivraie au milieu du bon grain ;

L’heure de la moisson est enfin arrivée,

Avecque le bon grain cette ivraie est levée,

Arrache-la, Seigneur, de ta divine main.

 

Que le bon grain dans terre ayant bien pris racine,

Pousse une tige en haut du Ciel s’avoisine

Et qui sous un pas humble ait un chef glorieux ;

Que, sans la mépriser, il s’éloigne de l’herbe ;

Qu’entre les plus grands troncs il soit le plus superbe,

Et reçoive en ses bras tous les oiseaux des Cieux...

 

 

 

Charles de VION DE DALIBRAY, Œuvres poétiques, Paris, 1653.

 

Recueilli dans Cinq mille ans de prière,

textes choisis et présentés par Dom Pierre Miquel,

Desclée De Brouwer, 1989.

 

 

 

 

 

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