Où, sinon dans un cœur brisé, le Seigneur pourrait-il entrer ?

 

 

 

Ah ! Christ ! Les murs mêmes de la prison soudainement semblèrent chanceler, et le ciel au-dessus de ma tête devint comme un casque d’acier cuisant ; et, bien qu’aussi je fusse une âme en peine, ma peine, je ne pouvais la sentir.

 

Je sus seulement quelle pensée pourchassée hâtait son pas, et pourquoi il regardait la fastidieuse clarté du jour d’un œil aussi intense ; l’homme avait tué ce qu’il aimait : et pour cela il devait mourir.

 

Pourtant chaque homme tue ce qu’il aime, et que chacun le sache : les uns le font avec un regard de haine, d’autres avec des paroles caressantes, le lâche avec un baiser, l’homme brave avec une épée !

 

Les uns tuent leur amour quand ils sont jeunes, les autres quand ils sont vieux, certains l’étranglent avec les mains du Désir, d’autres avec les mains de l’Or : les meilleurs se servent d’un couteau, car si tôt les morts se refroidissent.

 

On aime trop peu, ou on aime trop longtemps, on vend l’amour ou on l’achète ; quelquefois on commet son forfait avec maintes larmes, et quelquefois sans un soupir, car chacun de nous tue ce qu’il aime, pourtant chacun n’a pas à en mourir.

 

Et chaque cœur humain qui se brise dans une cour ou cellule de prison est comme cette cassette brisée qui donna son trésor au Seigneur et remplit l’impure demeure du lépreux du parfum du nard le plus précieux.

 

Ah ! heureux ceux-là dont les cœurs peuvent se briser et gagner la paix du pardon ! Comment l’homme pourrait-il autrement dresser son plan et purifier son âme du péché ? Où, sinon dans un cœur brisé, le Seigneur Christ pourrait-il entrer ?

 

 

 

Oscar WILDE, Ballade de la geôle de Reading, Petits poèmes en prose.

 

Traduction de H. D. Davray.

 

Recueilli dans Cinq mille ans de prière,

textes choisis et présentés par Dom Pierre Miquel,

Desclée De Brouwer, 1989.

 

 

 

 

 

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