Aux pieds du souverain Juge

 

 

 

Toute supplication est désormais superflue ; l’apparence s’efface devant la vérité. Chacun va recevoir selon ce qui lui est dû. Tous s’avancent, ou pour la récompense, ou pour le châtiment.

Le jugement universel va faire rayonner ses flammes de toutes parts. Lumière immense, éblouissante, voix qui retentit comme le tonnerre, il désignera les justes et les pécheurs.

Sur les fronts sont inscrits en caractères de feu les péchés qui jadis se déguisaient avec tant d’habileté. Les consciences elles-mêmes vont dévoiler leurs souillures. Puis la troupe des damnés sera séparée de celle des élus.

Voici les innombrables courtisans qui autrefois se tenaient en esclaves autour des trônes. Maintenant ils se présentent comme accusateurs.

Auprès de l’avare s’avance le pauvre, d’un pas chancelant, pâle, faible, courbé sur son bâton. Sa présence condamne le riche impitoyable.

Les hordes sauvages des conquérants arrivent, poussant les vainqueurs vaincus à leur tour. Les rôles sont changés, l’esclave va devenir maître.

Puis se présentent les juges trop faciles à séduire : veuves et orphelins leur font cortège. La prière de ces infortunés crie vengeance contre leurs oppresseurs.

Bientôt les coupables sentiront la morsure de la flamme. Ils ne songeaient pas aux supplices, alors qu’ils commettaient le péché ; ils vont les connaître par leur propre expérience.

Le rideau est tombé : l’orgie de leur vie criminelle est à découvert. Paroles, actions, tout ce qu’ils ont commis d’iniquités apparaît au grand jour.

Ah ! comme ils tremblent en s’approchant du souverain Juge ! Et comme ils frémissent d’horreur lorsqu’ils entendent de sa bouche l’arrêt fatal qui brise leur cœur et inonde leurs yeux de larmes !

Voyez avec quelle terreur se lève le tyran qui sur terre abusa de son pouvoir. Il a les mains souillées d’un sang que rien ne pourra jamais effacer.

Ceux qui vivent au sein des déserts comme les habitants des villes ; peuples et races de tout pays, de tous climats, se pressent et se heurtent devant le même tribunal.

Et les timides descendants de Juda, et les pécheurs de l’antique Gomorrhe, et les valeureux Spartiates, et les fils invincibles de Rome, tous sont réunis pour recevoir leur sentence.

Les immortels comme les morts, tous s’agenouillent aux pieds du Seigneur, demandant son jugement, qui doit éloigner les uns et appeler les autres auprès de lui.

 

 

Mais voici venir les troupes des âmes enfantines, pareilles à de fragiles roseaux. Jeunes palmes des cimetières, blanches hermines des cercueils, elles montent d’un rapide essor vers le ciel, vers le fils immortel de David.

Les anges, déployant leurs ailes avec empressement, leur préparent un frais ombrage sur la route et, de leurs mains pures, leur dressent des lits de repos, de merveilleux berceaux de plumes, ressemblant plutôt à des trônes qu’à des couches où l’on prend son sommeil.

Le sourire aimable de leur Père du ciel est pour ces heureux enfants comme la caresse du zéphir, qui se joue et se balance autour de leurs fronts radieux.

Ils dorment auprès des sources dont l’eau distille comme des perles ; leur tête repose sur de moelleux coussins. Non loin apparaît l’image des fonts baptismaux et l’on entend une douce musique, semblable à celle du paradis.

Puis viennent en priant dévotement les vierges qui n’ont jamais trahi le Sauveur Jésus, les femmes chastes et pieuses, qui dans leur confiance sans bornes se sont consacrées au Tout-Puissant.

Des couronnes de lis blanc sont déposées sur leurs fronts qui rayonnent, et leur communiquent une grâce céleste. Elles chantent la miséricorde de Dieu avec des accents d’une incomparable douceur.

Quelle paix les inonde à présent et illumine leur visage, tandis que les rois, les philosophes du siècle attendent dans l’ignorance le jour qui se lève sans lendemain !

Ô Dieu ! les glorieuses portes des deux sont désormais ouvertes devant les élus ; tandis que les pécheurs se rassemblent en un chœur désolé, et commencent leur marche sur la route des regrets éternels, mais superflus.

Ô malheur ! trois fois malheur ! Dans quelle intensité de souffrances leur regard s’éteint, noyé dans les larmes ! Une fois encore, une dernière fois, il se lève vers le ciel, pour lequel eux aussi avaient été créés, et qu’ils ont perdu pour toujours !...

 

 

José ZORRILLA.

 

Paru dans Les maîtres de la littérature étrangère et chrétienne au XIXe siècle,

par un ancien professeur de rhétorique, Casterman, s. d.

 

 

 

 

 

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