Le Sphinx

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Georges ALLIÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le grand Sphinx reposait impassible, muet ; devant lui, anxieux, j’attendais un geste, une parole...

Je vivais cette heure douloureuse et trouble où l’esprit semble naître ; et comme un enfant désireux de connaître toutes choses, j’étais venu vers lui, inquiet et hâtif.

Et devant le géant hiératique, divin, j’attendais, anxieux, un geste, une parole.

... Et voici, s’anima le visage de pierre, et le mot espéré tomba vers moi :

– Parle...

– Puissant gardien des secrets de la vie, vois, ma peine est profonde.

Tel un chercheur infatigable prêt à tous les efforts, j’ai cherché dans le grand savoir humain le secret du bonheur.

À ceux qui sacrifient à l’autel de l’Idée, je l’ai demandé, mais en vain. Chacun d’eux prétendait faussement le connaître ; chacun d’eux me montrait quelque route nouvelle – agréables chemins parfois – mais toutes m’éloignaient du centre vers lequel j’aspire ; toutes me conduisaient au pays du chaos du Doute.

Et de chaque voyage je revenais plus fatigué ; enthousiaste et crédule et joyeux je partais, et je revenais découragé, abattu...

Ô Sphinx mystérieux !... si tu possèdes le dictame, verse-le dans mon cœur triste et endolori !...

Un seul mot s’échappa de ses lèvres, mais qui passa sur moi comme un souffle frais qui ranime :

– Médite...

 

 

Et j’étais de nouveau devant le Sphinx tant de fois millénaire.

– Ô Sphinx, tu as donné à l’âme tourmentée un puissant réconfort ; et pourtant, me voici revenu, faible, désemparé.

J’ai voulu méditer dans la paix et dans le silence. J’ai voulu, seul avec moi-même, rejeter mes impuretés. Mais toutes les pensées que jadis je nourrissais de ma crédulité et de mon enthousiasme, comme autant de démons mauvais et furieux m’ont assailli au fond de ma retraite.

Et j’ai vainement combattu contre leur légion absorbante, importune. Que dois-je faire ? Tu me montras la voie nouvelle, aide mon bras, ô Sphinx !

– Prie, dit-il doucement.

 

 

– Pour la troisième fois, dénué d’espérance, avant que de glisser sur la pente fatale, d’où l’on ne peut plus remonter, je viens te questionner, ô Sphinx !

Je ne puis pas prier... Déjà dans la méditation bienfaisante, calmante, j’avais cherché en vain le remède à mon mal. Et j’ai voulu prier... J’aurais tant désiré qu’une voix sincère et pure montât de mon cœur vers le ciel ! Et mon cœur est resté muet : de mes lèvres tremblantes aucun son n’est sorti.

Et plus malheureux que jamais, je viens vers toi, ô Sphinx ! dénué d’espérance, avant que de glisser sur la pente fatale !

La bouche du géant eut un très doux sourire, plein d’une ineffable bonté.

– Aime, dit-il.

 

 

Je n’ai plus revu le grand Sphinx ; je garde en ma mémoire son image puissante et grave.

Je ne l’ai plus revu, car mon cœur s’est ouvert aux forces de la vie.

« Aime », m’avait-il dit !

Lorsque je prononçai sincèrement ce mot magique, tout un monde nouveau m’apparut et tout ce qui, avant, m’était horreur ou haine, se transforma.

Tous ceux qu’un sentiment insensé d’égoïsme avait éloigné de mon cœur vinrent, leur cœur ouvert, radieux, sympathiques vers moi.

Depuis, je trouve aux fleurs des parfums plus subtils, et jusques aux pierres, les pierres informes, muettes, qui me parlent depuis que les lèvres du Sphinx – lèvres de pierre – m’ont enseigné le secret du bonheur.

Je sens passer en moi les forces bénéfiques, et à chacun de mes efforts, pour réaliser la Parole, j’en dispose sans peine, sans fatigue, simplement ; – ainsi l’enfant, pureté frêle et sainte, répand autour de lui par ses gestes, ses ris, une joie saine, vivifiante.

Et ce nom qu’autrefois je n’osais prononcer, par incroyance ou vain orgueil, et dont je n’eus jamais soupçonné l’incommensurable grandeur, le nom du dieu vivant, du Foyer de lumière, à chaque essor j’en bégaye une lettre – et je me sens alors plus léger et plus fort.

 

 

Ô Sphinx, merci ! J’allai vers toi ignorant et sans force et désolé, tu m’as montré la Voie divine : la Voie d’Amour, de Charité.

 

 

 

Georges ALLIÉ.

 

Paru dans la Revue du spiritualisme moderne en 1906.

 

 

 

 

 

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