La véritable Église

 

CONTE DE NOËL

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

M. de KOMAR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Noël étendait sur la terre son royal manteau de fête, tout de velours blanc, constellé de diamants étincelants.

Là-haut, dans les monts de Savoie, une cloche d’église tintait. À travers le cristal d’une atmosphère glacée, les sons vibraient clairs, joyeux, semblables à un rire argentin jeté par le petit clocher du village de Saint-Sigismond perdu dans les hauteurs.

Par le porche de l’Église grand ouvert, l’autel, tout lumineux, faisait une auréole d’or à l’Enfant-Jésus déposé sur une crèche de paille.

Le long des routes, des ombres noires porteuses de cierges allumés glissaient entre les murailles de sapin. On eût dit de petites étoiles, courant saluer l’envoyé divin.

C’étaient les fidèles qui se rendaient à la messe de minuit.

Le prêtre officiait. Il était jeune encore ; ses yeux noirs brillaient sous l’arcade de ses sourcils sombres et illuminaient son visage au teint mat, que des cheveux d’ébène entouraient. Sa haute stature se dressait imposante dans son surplis blanc. En gestes larges il élevait les bras au ciel, et ses lèvres murmuraient d’une foi ardente les paroles sacrées du rituel.

Autour de lui, la foule prosternée priait avec ferveur, comme si en un idéal commun leurs âmes se fussent fondues. Et cet idéal, c’était la religion d’amour, d’humilité, de charité, dont leur pasteur appelait avec eux la venue. En allocutions inspirées, souvent il avait disserté sur l’Évangile devant eux et sa parole éloquente réveillait en cette poignée d’hommes les vertus fortes qu’il enseignait, et, ce qui valait mieux, qu’il pratiquait à toute heure du jour et de la nuit.

Tous, ils croyaient en un Christ vivant et éternel, toujours présent, toujours prêt à répondre aux appels sincères faits à sa bonté toute puissante.

Le sacrifice de la messe n’était plus pour eux qu’un symbole, mais un symbole dont ils suivaient les péripéties avec l’ardeur que l’on met à assister à un drame poignant. Aussi, quand l’hostie aux mains du prêtre s’éleva au-dessus de la foule, ce fut comme un frisson qui la secoua toute.

Lui, les bras étendus bien haut au-dessus de la tête, le regard perdu en quelque lointaine vision, appelait de toute son âme ce Christ qu’il servait avec amour. Une violente émotion l’étreignait, ses mains tremblèrent ; lorsqu’en un nouveau geste d’appel elles élevèrent le calice, des larmes abondantes ruisselaient le long de son pâle visage, tandis que sa voix murmurait :

– Viens à nous, Christ ! Fais que nous nous aimions, comme tu nous a aimés toi-même !

Tout à coup, un roulement de tonnerre, que les sommets se renvoyèrent en échos, secoua la contrée. Les murs de l’Église tombèrent avec fracas autour de la foule consternée, et l’on vit apparaître, planant sur une nuée de feu, le Rédempteur du monde ! Il arrivait, paré de toute sa majesté sereine, les deux bras étendus au-dessus des fidèles que la stupeur prosterne, et tandis que les légions d’anges et d’archanges emplissent les airs de leur vol lumineux, au-dessus des cimes qui dressent leurs citadelles de glace, se dessine la Croix ! La Croix, cet emblème sublime des vertus éternelles, dont le pied enfoui dans le sol nous apprend la Patience, dont le sommet dressé vers la voûte céleste nous enseigne la Foi, que l’Espérance et la Charité soutiennent par ses bras étendus, tandis qu’au centre converge les rayons de ce joyau céleste : la Vérité.

Puis la voix du Christ s’élève, harmonieuse comme un chant porté sur des harpes éoliennes :

« À ceux qui s’aiment en moi et suivent les Préceptes de mon Père, je viens apporter l’eau vive du baptême de la délivrance. À toi, ô prêtre, qui as montré la voie aux brebis du troupeau que le Ciel t’a confié, je viens porter la clef des portes de mon Église, celle qui est dans les régions pures, la seule qui soit mienne, parce qu’elle vit par l’Esprit ! Celle dont j’ai annoncé l’existence à Pierre, et que les hommes ne réussissent pas à établir sur terre, parce qu’ils se bornent à lui donner un corps et oublient de l’animer d’une âme.

« Qu’importent les temples de marbre qui défient les siècles, qu’importent les rites établis pratiqués sans amour ?

« Ce que vous demande mon Père, c’est l’union en un idéal commun. Cet idéal est la pierre d’angle de son Église. Tout ce qui n’est pas établi en Lui sera divisé et croulera !

« Déjà de la surface du globe montent les échos des discordes religieuses qui déchirent la Fille aînée de l’Église. Déjà sonne le glas de mort de ce qui a été établi dans la lettre et dans l’ignorance de l’Esprit ! L’heure du Jugement vient ! Je suis envoyé pour distraire le froment de l’ivraie !

« Vous tous, ici présents, vous avez su donner l’exemple de vertus dont chacune équivaut à une croix à porter. Vous les avez péniblement chargées sur vos épaules ! Les pieds souvent déchirés par les ronces du chemin, les cœurs saignants, vous avez courageusement gravi votre calvaire ! Mais, au sommet, les portes de mon Église s’ouvriront devant vous, vos croix apparaîtront portées par des archanges, elles vous précéderont dans le cortège que vous allez former pour franchir le seuil de la cité de Dieu.

« Venez ! je vous appelle, vous tous qui  m’avez aimés, qui vous êtes aimés en moi, qui avez abdiqué les rancunes terrestres, les sentiments mesquins d’envie, de médisance, et les jugements téméraires ; l’heure de la délivrance sonne, je vous convie  au réveillon d’amour qui se célèbre ce soir au Ciel. »

Et soudain, de tous ces corps, prosternés le front contre terre, les âmes s’échappèrent légères, radieuses, planant bien haut dans les espaces.

À leur tête le prêtre portant le ciboire symbolique marchait, le front couronné de lumière. Les airs s’emplissaient des mélodies ineffables créées par le vol des anges ; des cloches invisibles sonnaient un carillon de joie.

En un vol audacieux le cortège des élus montait, montait toujours, vers un temple lumineux fait de purs rayons, dont chacun était une vibration d’amour ; et ces vibrations parties de tous les cœurs vraiment bons, des cœurs les plus humbles comme des plus puissants, s’enlaçaient au seuil de l’Église véritable, en colonnes éthérées mais puissantes, formant le seul parvis digne de la maison du Père !

 

 

M. de KOMAR.

 

Paru dans la Revue du spiritualisme moderne

en décembre 1906.

 

 

 

 

 

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